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Le père Selim Abou, ancien recteur de l’Université Saint-Joseph, ne s’y était pas trompé en choisissant comme titre L’esprit d’un peuple pour son remarquable ouvrage sur le président-martyr Béchir Gemayel – un essai d’anthropologie, paru en 1984. Quarante-et-un ans après son assassinat, le 14 septembre 1982, à Achrafieh, le fondateur et ancien leader des Forces libanaises Béchir Gemayel, élu président de la République le 23 août 1982, reste toujours profondément ancré dans "l’esprit", dans l’inconscient collectif, d’une très large faction de Libanais, pas seulement chrétiens, d’ailleurs… Surtout parmi les jeunes d’aujourd’hui. 

Bien que n’ayant pas connu Béchir Gemayel, et encore moins la période des années 80, de nombreux jeunes âgés de moins de trente ans, et même des adolescents, se retrouvent dans le discours que tenait le président-martyr, non seulement au niveau de la présence palestinienne et des rapports avec la Syrie, mais plus particulièrement sur le plan de la perception de la réalité libanaise et de la vision de ce que devrait être l’État – un État digne de ce nom – sur le plan de la gestion de la chose publique.

Comme le relevait Annie Laurent dans un article de présentation de l’ouvrage de Selim Abou, Béchir Gemayel apparaissait comme un "révolutionnaire, impatient de bouleverser tout ce qui a fait le ‘Liban de papa’, à savoir le népotisme, le clientélisme, la corruption "… Précisément les maux dont pâtit aujourd’hui, entre autres, le Liban des années 2000. Rien d’étonnant, par voie de conséquence, que Béchir Gemayel continue de représenter, 41 ans après son assassinat, "l’esprit" d’un peuple et d’une jeunesse qui aspirent à une bonne gouvernance et à l’édification d’un État, dans toute l’acception du terme.

C’est, à n’en point douter, sur cette base que la fondation Béchir Gemayel a lancé l’an dernier le Prix Béchir Gemayel pour honorer des personnalités de la société civile qui se sont distinguées par leur action au service de la population. La seconde édition de ce Prix a fait l’objet d’une émouvante cérémonie conviviale, voire "familiale", organisée mercredi soir à la résidence du président Béchir Gemayel, à Bickfaya.

 Youmna Gemayel: Purifier la mémoire   

Moment de grande émotion au début de la cérémonie lorsque l’ancienne assistante de Béchir Gemayel, Isis Daher, a chanté, aussitôt accompagnée de l’assistance, l’une des chansons emblématiques à la mémoire de Béchir Gemayel.    

La présidente de la Fondation, Youmna Béchir Gemayel, a ensuite prononcé une allocution dans laquelle elle a retracé les grandes lignes de la conduite politique du président-martyr, notamment sur le plan de la résistance libanaise et de la lutte en vue de "la souveraineté, la liberté et l’indépendance du Liban", avec pour finalité "une vie digne pour tous les Libanais". Mme Gemayel a mis l’accent dans ce cadre sur le devoir de mémoire, passage obligé pour "purifier la mémoire du passé douloureux afin d’aboutir à la réconciliation et au pardon".

S’adressant aux lauréats du Prix Béchir Gemayel pour le "devoir de mémoire", Mme Gemayel a déclaré: "Vous n’avez pas eu peur de proclamer la vérité, aussi dure soit-elle. Le pardon ne signifie pas oublier le passé, mais il signifie avoir le courage de faire face au passé pour éviter de commettre les mêmes erreurs. Le Liban a besoin aujourd’hui, plus que jamais, de se souvenir du passé afin de ne pas oublier. C’est pour cette raison que nous avons choisi comme thème du Prix de cette année, le devoir de mémoire"

Les cinq lauréats     

Pour le Prix Béchir Gemayel 2023, les cinq lauréats sont: le cinéaste Ziad Doueiry, réalisateur du film L’Insulte, qui avait été nominé pour l’Oscar du meilleur film étranger en 2018 (le film raconte magnifiquement le vécu d’un militant des Forces libanaises, dont le rôle est joué par Adel Karam, et d’un cadre palestinien qui entretient des rapports fiévreux avec le militant FL); Issam Khalifé, qui a consacré toute sa vie à la lutte pour les causes des étudiants et des professeurs de l’Université libanaise (au début des années 1970, lorsqu’il était l’un des principaux leaders du mouvement estudiantin de l’époque, avant de présider par la suite la Ligue des professeurs de l’Université libanaise); Jean Nakhoul, journaliste à la MTV, qui a produit des émissions sur la mémoire de la guerre; notre consœur Gisèle Khoury, qui n’a pu être présente à la cérémonie pour des raisons de santé (elle a été représentée par notre confrère Jad Akhawi) ; et enfin, à titre posthume, l’ancien ministre Sejaan Azzi, qui a été au début de la guerre l’un des principaux collaborateurs et conseillers de Béchir Gemayel, et qui avait fondé la Radio Liban libre, organe des Forces libanaises.

En raison de son absence à l’étranger, Ziad Doueiry a adressé à l’assistance par vidéoconférence un message dans lequel il a notamment relaté que lors de l’élection de Béchir Gemayel à la présidence de la République, en 1982, il habitait Beyrouth-Ouest et il était à l’époque farouchement hostile aux Forces libanaises et au parti Kataëb. Il avait alors considéré que le jour de l’élection de Béchir Gemayel était une journée noire pour lui. Il avait par la suite quitté le pays, et quelques années plus tard, il avait effectué une ouverture en direction du camp adverse (les FL et les Kataëb). Il avait alors appris à apprécier les qualités d’homme politique de Béchir Gemayel. "J’ai alors acquis la conviction que si Béchir Gemayel avait gouverné, le Liban n’aurait jamais atteint la crise et l’état d’effondrement dans lesquels il se débat aujourd’hui", a souligné Ziad Doueiry.

Signalons dans ce cadre que les lauréats du Prix Béchir Gemayel 2022 étaient le Dr Robert Sassy, directeur de l’hôpital de la Quarantaine, pour ses efforts déployés afin de reconstruire l’établissement après l’explosion du 4 août ; Me Nasri Diab, qui a pris en charge les dossiers des familles des victimes ; William Noun, pour son engagement sans relâche afin que justice soit faite après le drame du 4 août, et Kassem Istanbuli, pour son action en faveur de la relance de la vie culturelle à Tripoli.

Notons que la fin de la cérémonie a été marquée également par un moment d’émotion avec une nouvelle chanson sur Béchir Gemayel, chantée par Raya Tutungi, sur des paroles de Bassam Abi Antoun et une composition musicale de Joseph Hanna Karam.                         

 

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