L’arrestation à Téhéran dimanche dernier par les autorités judiciaires de la chercheuse franco-iranienne Fariba Adlekhah, incarcérée pour avoir enfreint les conditions de son assignation à résidence, et " porté atteinte à la sécurité nationale ", n’a rien de nouveau.

Il n’est pas surprenant non plus de voir le ministère iranien du Renseignement arrêter la militante civile et avocate des familles des victimes des manifestations contre le régime, Farida Moradkhani, nièce du guide suprême Ali Khamenei, la semaine dernière.

Ces mesures se répèteront dans la République de la wilayat el-faqih, de même que dans les " Républiques de la misère " qu’elle nourrit ou établit là où s’étendent ses armes répressives, toujours sous le label du risque " d’atteinte à la sécurité nationale ".

Dans ces républiques, le pouvoir judiciaire se trouve impuissant ou forme un bouclier pour protéger les puissants et empêcher qu’ils ne soient tenus responsables ou jugés, tandis qu’il se montre intransigeant face aux plus démunis, qui se trouvent accusés de menacer la sécurité nationale sitôt qu’ils tentent de réclamer leurs droits.

Cette accusation toute prête est brandie pour museler les contestataires, de Téhéran à Bagdad, Damas, Sanaa et Beyrouth.

Ces personnes méritent d’être arrêtées au regard du coup qu’elles portent aux fondements de l’humiliation et de la servitude.

Et pour cause: elles planchent essentiellement, de manière délibérée ou spontanée, sur la sensibilisation collective et sociétale, afin que le citoyen prenne conscience que son argent lui appartient, que l’électricité n’est pas un luxe mais l’un de ses droits de l’homme, au même titre que l’eau, les médicaments, les soins et sa miche de pain.

Dans les " Républiques de la misère ", là où la pauvreté se retrouve forcément liée à l’oppression, les opprimés se voient récompensés pour leur patience et leur résilience, tandis que les opposants et les contestataires qui s’élèvent contre l’absence du minimum syndical pour une vie digne sont châtiés, justement pour avoir dérogé à la loi du waliy el-faqih, qui exerce un contrôle sur ces républiques, soit directement, soit par le biais de ses ramifications locales.

Le châtiment s’applique à tous ceux qui ne trouvent plus que la rue pour tenter de faire entendre leurs voix, que ce soit au pouvoir ou au monde entier, afin qu’ils puissent, avec leurs familles, continuer à vivre. De tels effrontés constituent une menace et portent atteinte à la sécurité nationale.

Peu importe comment ils portent atteinte à la sécurité nationale alors qu’ils sont pieds et poings liés par la répression et la faim. Le plus important est que le simple fait de contester est suffisant pour les jeter dans les geôles où l’on se charge de les humilier, les mater… ou tout bonnement de les faire disparaître, si toutefois ils échouent à assimiler la leçon, et qu’ils sont nombreux dans les pays de la résistance, de la confrontation et de ladite " moumanaa "…

En réalité, ce dont ils sont accusés c’est d’avoir aspiré à mieux et dérangé le pouvoir en place qui persiste à les garder dans les bas-fonds, grâce à un pouvoir issu d’une démocratie tronquée et d’élections frauduleuses, à des fatwas dénuées de toute légalité, au service des intérêts des politiques expansionnistes subversives et de la poursuite de l’hypothèque du pouvoir et, de ce fait, du contrôle du pays et de la population.

Personne ne s’inquiète du sort de ces derniers s’ils font partie du commun des mortels. Leur arrestation peut faire un certain bruit s’ils appartiennent à une catégorie supérieure, caractérisée par des activités civiles et des critiques à l’encontre du régime qui pille les ressources du pays pour s’autofinancer ainsi que ses projets avec les deniers publics et assurer le bien-être de ceux qui profitent de la manne du pouvoir.

Il est difficile de convaincre ceux qui sont aux commandes au sein des " Républiques de la misère " que les personnes qu’ils arrêtent pour atteinte à la sécurité nationale possèdent des droits et ne sont pas des espions qui conspirent contre eux. De même, il est difficile de les convaincre que réprimer et exploiter la justice à cette fin, même si cette manœuvre réussit au début, finit inéluctablement par un retour de bâton.

Peut-être la fameuse intervention à l’antenne de la chaîne al-Manar appartenant au Hezbollah, qui a réussi à transpercer le filtre et la résistance de la chaîne résistante, prouve-t-elle que l’oppression dans les " Républiques de la misère " est vouée à disparaître, notamment lorsque la frontière entre les droits et la conspiration devient clairement délimitée et que la personne censée appartenir au milieu de la résistance ou qui s’est présentée comme faisant partie des " résistants " pour éviter d’être accusée de traîtrise, prend conscience de cette délimitation et pousse un cri de révolte lors de la diffusion d’une émission religieuse sur le fait de savoir si le rasage ou non de la barbe est halal. Dans son intervention, cette personne s’est demandée si le taux de change du dollar, qui s’élevait à 33 000 livres libanaises, s’inscrivait dans le registre de ce qui était autorisé ou interdit, de même que la souffrance des personnes qui se retrouvent sans électricité, ni nourriture, ni médicaments.

Cette personne n’a pas manqué de souligner que les gens meurent de faim, appelant à diffuser des " programmes éducatifs pour aider à lutter pour survivre”, tout en soulignant, avant que la chaîne ne mette un terme à son intervention, qu’elle s’exprime parce que " les gens meurent et que les pauvres se dévorent les uns les autres ".

Il va sans dire que la direction d’Al-Manar s’est fendue d’une explication, notamment après la propagation de cette intervention sur les réseaux sociaux et les vives critiques et réactions ironiques qu’elle a suscitées à l’encontre de la chaîne, qui vit dans un autre monde. La chaîne a publié un communiqué dans lequel elle a déclaré que le téléspectateur " résistant " avait rappelé pour présenter des excuses en disant qu’il ne s’agissait de rien de plus qu’un " défoulement ". En outre, la chaîne a classé la circulation de la vidéo dans la case de l’instrumentalisation et de la conspiration, si bien que l’auteur de l’appel se serait selon elle retrouvé pris de court, comme Al-Manar, " par l’exploitation de son cri et de sa douleur, lui qui a précisé sur sa page qu’il n’autorisait personne à utiliser ce passage à d’autres fins ".

Cependant, nul parmi ceux qui suivent la situation au sein des " Républiques de la misère " qui gravitent dans l’orbite iranien n’a été surpris par cette intervention et la justification qui l’a suivie. La grande surprise restant celle qui attend les dirigeants de ces républiques qui s’obstinent à appauvrir leurs populations et à les humilier dès que leur pouvoir est ébranlée… en raison de leurs politiques subversives qui provoquent des réactions et des contestations difficiles à juguler.

Ils réussissent souvent à amortir le choc. Les répliques sont prêtes, non seulement à l’aide de slogans tels que " mort aux États-Unis " et " mort à Israël ", mais aussi avec des missiles lancés de manière anonyme à partir du Liban-Sud .

Le plus important est d’inventer des priorités avec des appellations qui éludent les soucis du quotidien au profit d’enjeux majeurs, en premier lieu desquels figure la libération de Jérusalem.

D’ici là, que vivent les " Républiques de la misère "… et que meurent leurs citoyens… qu’ils aient porté atteinte à la sécurité nationale… ou pas…