Lors de sa dernière apparition, le chef du Courant patriotique libre, le député Gebran Bassil, a voulu confirmer son attachement aux prérogatives du Premier ministre Najib Mikati, refusant toute atteinte à ces dernières en réponse au retour conditionné du tandem chiite aux réunions du Conseil des ministres, qui en avait restreint l’ordre du jour à deux points, le budget et la relance économique.

La démarche du chef du CPL a paru ridicule pour beaucoup, surtout pour ses adversaires politiques qui ont longtemps accusé le président de la République, le général Michel Aoun, et derrière lui le député Bassil, de chercher à phagocyter ces prérogatives et les amender dans la pratique, par refus de se soumettre à la Constitution de Taëf, estimant qu’elle a considérablement réduit les pouvoirs du chef de l’État.

Il est vrai que la critique par certains de la surenchère de M. Bassil concernant ce dossier est permise et compréhensible. Mais la principale question qui se pose concerne la transformation de la présidence du Conseil en souffre-douleur du duo Aoun-Bassil ou du tandem chiite Amal-Hezbollah, à un moment où l’arène sunnite au Liban est témoin d’une grande agitation en raison du repli et de l’éloignement de ses leaders de la scène politique, ce qui n’est pas sans ouvrir l’appétit du reste des composantes pour exploiter cette réalité et tenter de jeter leur dévolu sur les “prérogatives sunnites”.

L’étape la plus marquante où les voix opposées à cette agression contre les prérogatives se sont élevées était sans doute lors des efforts menés par l’ancien Premier ministre Saad Hariri pour former son gouvernement en décembre 2020. Certains étaient allés jusqu’à accuser le président Aoun de chercher à imposer un régime présidentiel dans la pratique, en particulier lorsqu’il avait décidé de soumettre une formule de gouvernement complète avec répartition des portefeuilles, en réponse à la formule complète présentée par M. Hariri.

Les voix opposées à la pratique de Michel Aoun ont continué sur leur lancée durant le processus de formation du cabinet de Najib Mikati. À cette époque, le cercle des anciens Premiers ministres était toujours à l’affût de ces violations, mais aujourd’hui, avec la fin du rôle de ce club et sa désintégration après la formation du cabinet Mikati, c’est le tandem chiite qui outrepasse les prérogatives du président du Conseil, en cherchant à imposer le plus naturellement du monde l’ordre du jour des réunions. Et ce, même si certains souhaitent faire assumer à Najib Mikati lui-même la responsabilité d’avoir fait preuve de négligence vis-à-vis de ces pouvoirs, du fait notamment du mécanisme des " autorisations exceptionnelles " qu’il a adopté au cours des trois derniers mois et qui réduit le pouvoir exécutif aux personnes du président de la République et du Premier ministre, en dépit de la présence d’un Conseil des ministres que M. Mikati n’a pas souhaité réunir pour diverses raisons.

" Les pouvoirs du Premier ministre en vertu des dispositions de la Constitution de Taëf sont vastes et floues ", affirme ainsi le constitutionnaliste Saïd Malek à Ici Beyrouth qui précise sur ce plan : “Ce qui se produit parfois de la part du président de la République et à présent de la part du tandem chiite comme mainmise sur ces prérogatives est dû à la volonté du président du Conseil d’éviter le clash avec ces composantes. Le texte constitutionnel n’a pas besoin d’être amendé ou interprété. Ce dont nous avons besoin, ce sont des hommes d’État qui puissent le mettre en œuvre et empêcher n’importe quel camp de s’en prendre à des pouvoirs constitutionnels réservés ",

Et M. Malek d’ajouter : " Si la présidence du Conseil devient un souffre-douleur, ce n’est pas en raison d’un manque au niveau du texte constitutionnel, mais de la pratique du président du Conseil lui-même. La convocation du Conseil des ministres fait partie de ses prérogatives, de même que le fait de fixer l’ordre du jour des séances. S’il se désiste de sa prérogative de déterminer l’ordre du jour en faveur d’une partie comme cela se produit actuellement avec le binôme chiite, c’est lui qui concède un de ses droits et lâche un pouvoir de la présidence du Conseil. On ne peut pas en vouloir aux textes, alors que c’est la pratique qu’il faut blâmer”.

Pour l’analyste politique Youssef Diab, ce qui se produit ne s’inscrit pas dans le cadre d’une " attaque ciblée historique de la part du président de la République ou des chrétiens contre les prérogatives du Premier ministre ". Selon lui, le problème entre la présidence du Conseil et la personne de Michel Aoun date du retour de ce dernier de son exil parisien, et remonte surtout à son accession à la présidence de la République, dans la mesure où “il tente de mener un coup d’État contre l’accord de Taëf à travers les usages et la pratique, loin des textes”.

“Le problème du tandem chiite avec la présidence du Conseil n’est pas non plus nouveau, ajoute-t-il, le Hezbollah voulant consacrer fermement son hégémonie de facto sur le pouvoir et l’État, et imposer ses choix à tous les Libanais”. “Le problème va au-delà de l’imposition de l’ordre du jour du Conseil des ministres. Le Hezbollah fixe la politique générale du pays, dispose du pouvoir régalien, élit le président de la République, forme les gouvernements et possède la décision de guerre et de paix. Son problème n’est pas uniquement avec les sunnites, mais avec tous les Libanais”, précise Youssef Diab.

“Il est vrai que la présidence du Conseil est affaiblie par l’équipe du président de la République et du Courant patriotique libre ainsi que par le Hezbollah, qui vise ce poste pour ce qu’il représente au plan interne et parce qu’il s’agit d’une extension de la umma sunnite au niveau de la région”, conclut-il.