Les derniers développements au Yémen, où les rebelles houthis appuyés par l’Iran et soutenus activement par le Hezbollah, ont essuyé de sérieux revers au cours des derniers jours, sont-ils de nature à avoir des répercussions directes ou indirectes sur le Liban ? Décryptage. 

Sans trop se soucier de toutes les retombées de son équipée militaire au Yémen (ou ailleurs dans la région) sur la scène libanaise, le Hezbollah est revenu à la charge vendredi pour condamner le " silence meurtrier " du monde face " aux massacres odieux commis " dans ce pays par la Coalition arabe emmenée par Riyad et Abou Dhabi.

Le parti répondait à la frappe aérienne attribuée à la coalition contre une prison tenue par les rebelles à Saada, au Yémen, qui avait fait 70 morts et une centaine de blessés dans la nuit de jeudi à vendredi, opération démentie par les forces arabes, qui accusent les Houthis de " désinformation ". Dans un communiqué, cité par l’agence de presse officielle saoudienne SPA, l’alliance militaire anti-rebelles a dit avoir examiné ces allégations, avant de conclure qu’elles étaient  " fausses ", comme le rapporte l’AFP. D’autre part, le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a fortement condamné ces attaques, et a réclamé " des enquêtes rapides, efficaces et transparentes " sur ces événements afin d’assurer que leurs auteurs rendent des comptes.

Une riposte de la coalition ?

La frappe de vendredi s’inscrit-elle dans le cadre de représailles à l’attaque de drones survenue lundi à Abou Dhabi ? D’autant que l’ambassadrice émiratie à l’ONU, Lana Zaki Nusseibeh, avait affirmé que la coalition a " une réponse proportionnée dans toutes ses opérations militaires ". L’attaque d’Abou Dhabi avait effectivement été revendiquée par les Houthis, en riposte aux combats menés au Yémen, où la Brigade des Géants, formée par les Émirats arabes unis, avait opéré des avancées notables, chassant les rebelles de la province pétrolifère yéménite de Chabwa, voisine de la région de Marib (également riche en pétrole) et capitale de la province voisine et dernier bastion du gouvernement dans le nord du Yémen. Ce revers avait assené un coup important à la campagne des Houthis, qui se préparaient depuis plusieurs mois à saisir le contrôle de Marib.

Il est à rappeler que la coalition intervient au Yémen " à la demande officielle et constitutionnelle du président yéménite reconnu internationalement " depuis 2015 pour appuyer les forces gouvernementales contre les rebelles, qui avaient pris le contrôle de Sanaa en 2014, puis de vastes pans du territoire, indique le journaliste saoudien Bader al-Qahtani à Ici Beyrouth. En effet, Riyad et Abou Dhabi avaient lancé, entre autres, une opération sous le nom de " Tempête décisive ", la nuit du 25 mars 2015, pour remettre au pouvoir le président yéménite Abdrabbo Mansour Hadi, renversé par l’insurrection houthie.

Toutefois, de nombreuses divergences se sont manifestées entre les deux alliés, provoquant une baisse de participation des Émirats aux opérations militaires. Compte tenu des développements et de la redistribution des cartes dans la région, l’alliance saoudo-émiratie s’est rescellée il y a quelques mois afin d’empêcher l’avancée des rebelles dans la région. Par la suite, les forces de la coalition sont passées de la défensive à l’offensive, grâce à " un afflux d’armement de précision américain, reçu par l’Arabie saoudite, pour toucher des sites stratégiques qui mettraient les Houthis en mauvaise posture ", confirme Khalil Hélou, général à la retraite et analyste politique.

Le rôle du Hezbollah

Il n’est un secret pour personne que le Hezbollah, parti ouvertement pro-iranien, est militairement impliqué au Yémen, aux côtés des Houthis et contre la coalition et les forces gouvernementales yéménites. " Le Hezbollah est une organisation terroriste qui vient en aide à une autre organisation terroriste – les Houthis – par le biais de ressources humaines, financières et stratégiques sur le terrain, ainsi qu’à travers des campagnes médiatiques programmées à l’encontre des pays du Golfe ", explique ainsi Hussein Shobokshi, journaliste et analyste politique saoudien à Ici Beyrouth.

La participation du parti chiite à la guerre du Yémen n’est pas sans avoir des répercussions stratégiques et politiques sur le Liban, lequel " se retrouve incapable de mettre un terme à ces activités qui constituent une menace pour l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et autres pays du Golfe ", dit-il.

Et l’analyste saoudien d’ajouter : " Cette complaisance du gouvernement libanais envers le Hezbollah mènera sans doute à plus d’isolement du pays du Cèdre par la communauté internationale aux niveaux diplomatique et économique ".

Même son de cloche pour un politologue proche du dossier qui affirme que les Émirats et autres pays du Golfe restent " sceptiques vis-à-vis du Liban ", puisque " Beyrouth constitue une base très importante pour les Houthis ". Et ce en dépit des efforts menés par le cabinet Mikati pour tenter de rééquilibrer les relations avec les pays du Golfe. À la demande de M. Mikati, le ministre de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui, a ainsi pris des mesures contre des congrès d’opposants bahreïnis et saoudiens organisés dans la banlieue sud de Beyrouth sous l’égide du Hezbollah, et a redoublé d’efforts dans sa lutte contre le trafic de captagon à destination de l’Arabie saoudite. La visite à Beyrouth samedi du chef de la diplomatie koweïtienne constitue une démarche positive dans ce sens de la part des pays arabes.

Pour Ali Hamadé, journaliste et politologue, les attaques de cette dernière semaine n’ont aucun impact direct sur le Liban de manière générale. En effet, il précise à Ici Beyrouth que " le Liban n’est concerné par la guerre du Yémen que dans la mesure où le Hezbollah intervient aux côtés des Houthis pour diriger la force des frappes et des missiles ". Et de poursuivre : " Au niveau local, des répercussions négatives sur le gouvernement libanais pourraient apparaître seulement en cas de désaveu du Premier ministre Najib Mikati, mais ce scénario ne se réalisera pas ".

Bader al-Qahtani souligne quant à lui l’importance pour le Liban d’adopter " une position ferme et courageuse " à l’égard du Hezbollah et de ses armes illicites. Selon lui, " le pays dispose de tous les atouts pour se relever de la crise qu’il traverse, à condition de se débarrasser de l’hégémonie nocive du Hezbollah et de l’axe iranien ".

Le message est clair. Y aura-t-il seulement quelqu’un à Beyrouth non pas pour se contenter de le recevoir, mais capable de s’attaquer au fond du problème, à savoir la consécration d’un statut de neutralité pour le Liban ?

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