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Une condition nécessaire, voire indispensable, mais pas suffisante… C’est ainsi que l’on pourrait qualifier le maintien du général Joseph Aoun à son poste de commandant en chef de l’armée. Il était primordial, dans la perspective d’une pacification du Liban-Sud, en d’autres termes d’une application stricte de la 1701, que l’armée ait à sa tête un commandant qui soit bien connu des instances internationales, qu’il bénéficie de leur confiance, qui soit crédible et qu’il ait fait ses preuves, la troupe étant appelée à jouer un rôle crucial aux côtés de la Finul lorsque l’heure du retour au calme aura sonné.    

Les forces régulières devraient donc être fin prêtes à assumer leurs responsabilités au cours de la prochaine étape, dont le timing et la tournure qu’elle pourrait prendre dépendent de paramètres essentiellement politiques, dans le sens large du terme. La grande question qui se pose aujourd’hui sur ce plan, et qui fait l’objet de supputations les plus diverses, est de savoir quels sont les risques réels d’une conflagration totale, à grande échelle, entre Israël et le Hezbollah. Guerre ou paix? La réponse ne se trouve manifestement pas au Liban, même pas au niveau du parti pro-iranien.

Il s’agit là d’une lapalissade, mais certains ont souvent tendance à l’oublier: la décision d’enclencher ou non une guerre en bonne et due forme est une décision éminemment politique prise dans les plus hautes sphères du pouvoir par un cercle très restreint de dirigeants. Dans notre cas de figure précis concernant le Liban-Sud, trois acteurs peuvent faire un choix sur ce plan: les États-Unis, Israël et l’Iran. Dans quelle mesure chacune de ces trois puissances aurait un intérêt stratégique à opter pour un conflit généralisé sur le terrain libanais et quels sont les enjeux qui se présentent à cet égard?

D’emblée, et à en juger par les apparences, aussi bien les États-Unis qu’Israël, de même que la France et les Nations-Unies, ont annoncé la couleur en fixant comme objectif à atteindre, concernant le Liban, l’application stricte de la résolution 1701, donc le repli de la milice du Hezbollah au nord du Litani, dans le cadre d’un accord global conclu sous égide américaine. Le ministre israélien de la Défense a affirmé il y a quelques jours à ce propos que son pays ne cherche pas à s’engager dans une nouvelle guerre (entendre à la frontière nord avec le Liban) mais a pour but d’aboutir à un accord diplomatique "qui garantirait que le Hezbollah ne menacera pas les Israéliens au Nord". Une position qui ne semble pas particulièrement belliqueuse, du moins en apparence, qui rejoint celle de la communauté internationale, notamment les États-Unis et la France, mais qui ne reflèterait pas nécessairement l’attitude de l’aile la plus radicale du gouvernement Netanyahou. Celle-ci pourrait vouloir en découdre avec le Hezbollah afin de couper court à l’éventuelle émergence d’un "nouveau Gaza" à la frontière nord d’Israël.

Les deux extrêmes se rencontrent, dit-on souvent dans les cercles des commentateurs politiques. L’attitude jusqu’au-boutiste de certains dirigeants israéliens serait ainsi renforcée, le cas échéant, si le camp iranien opte pour le maintien d’une guerre d’usure de longue durée à la frontière sud. L’une des grandes inconnues de la partie de bras de fer qui se joue en effet dans la région, et par voie de conséquence au Liban, porte sur les véritables intentions des Gardiens de la révolution iranienne.

Les pasdaran désirent-ils, ou plutôt ont-ils réellement les moyens, d’aller de l’avant dans leur stratégie expansionniste et déstabilisatrice dans la région, même au risque de provoquer un embrasement généralisé, aux retombées imprévisibles? Il faudrait, à l’évidence, être introduit dans le cercle fermé et restreint des décideurs iraniens pour apporter une réponse à une telle interrogation. Il reste que certains indices laissent songeurs à ce propos dans le contexte présent. Il en est ainsi, d’abord, des tirs de drones menés à répétition par les milices pro-iraniennes contre des positions américaines en Irak et en Syrie. Mais l’indice le plus grave qui pourrait illustrer les intentions réelles des pasdaran réside surtout dans la recrudescence des attaques des Houthis du Yémen contre les navires marchands et les pétroliers en mer Rouge.

Le Pentagone a annoncé dans la nuit de mardi la mise sur pied d’une vaste coalition de dix pays pour faire face au comportement belliqueux des Houthis et sécuriser ainsi le trafic maritime en mer Rouge. Les Houthis ont réagi sans tarder en affirmant leur détermination à poursuivre leurs attaques dans la zone en question. Réaction primaire de dépit, ou reflet d’une véritable volonté de leur parrain, en l’occurrence les pasdaran, d’aller jusqu’au bout dans l’épreuve de force avec l’Occident, plus particulièrement les États-Unis, même si une faction du régime iranien n’est pas favorable à une telle action?

À cette dernière interrogation, l’on pourrait en ajouter deux autres, beaucoup plus fondamentales, et déterminantes pour la suite des événements: y a-t-il réellement deux courants au sein du régime iranien, l’un radical, profondément idéologique et jusqu’au-boutiste, représenté par les pasdaran, et un second dit modéré ou pragmatique, qu’expriment parfois certains pôles du pouvoir à Téhéran? Plus important encore, y aurait-il une sorte de complaisance tacite, impliquant l’acceptation de "l’autre", entre le régime iranien et l’Occident, Israël inclus, dans le cadre évidemment de certaines lignes rouges, notamment nucléaires? La question se pose avec acuité si l’on se rappelle du précédent de l’Irangate, au milieu des années 1980, lorsque les États-Unis et Israël ont livré très secrètement des armes à l’Iran, en pleine guerre avec l’Irak…   

Par ricochet, les perspectives au Liban-Sud sont en fonction des réponses à ces deux interrogations fondamentales précitées. Une réponse positive à la seconde pourrait relancer l’espoir en un arrangement politique au Liban-Sud, semblable à celui de la délimitation des frontières maritimes. Une réponse positive à la première augmenterait les risques d’escalade et de confrontation généralisée. Des risques toutefois atténués par un paramètre de taille: l’équilibre des forces à l’échelle régionale et internationale, plus particulièrement après la mise sur pied de la coalition des dix pays appelée à sécuriser la mer Rouge. Cet équilibre des forces n’est certainement pas pour faciliter la tâche aux aventuristes guidés par un obscurantisme idéologique d’un autre âge. Affaire à suivre… 

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