En juin 2011, Michel Aoun, qui présidait à l’époque ce qu’on appelait le bloc parlementaire “du Changement et de la Réforme”, avait déclaré que le " complot " des cabinets du chef du courant du Futur, Saad Hariri, était d’ “appauvrir le Liban et de mettre la main sur ses institutions”, soulignant que " cela est est à présent bel et bien terminé ".

“Nous lui avons pris un one way ticket, il est parti et il ne rentrera pas ", avait ajouté Michel Aoun. Les prévisions de M. Aoun, pour ne pas dire ses souhaits, ne se sont pas réalisés. Saad Hariri est revenu, et redevenu Premier ministre en 2016, après l’accord entre les deux leaders chrétiens (Aoun et le président des Forces libanaises, Samir Geagea) et le leader sunnite sur l’arrivée de M. Aoun à la présidence de la République et du chef du courant du Futur à la présidence du Conseil.

Le fondateur du Courant patriotique libre occulta toutes ses accusations de " corruption " formulées depuis des lustres à l’encontre de M. Hariri et de son clan politique, et la lune de miel entre les deux protagonistes dura des années durant, avant de régresser avec le soulèvement populaire de 2019 et la décision du Premier ministre de démissionner de son poste.

Avec la décision aujourd’hui du chef du courant du Futur de se retirer de la vie politique, la rue aouniste est partagée entre le bonheur de voir " le haririsme politique " tomber, en pensant que sa chute entraînera celle du l’establishment Joumblatt-Berry-Hariri, que les partisans du général Aoun tiennent pour responsables de l’effondrement, et la méfiance à l’égard de l’alternative sunnite potentielle ainsi que la peur d’un plan quelconque visant à dynamiter la scène libanaise dans son ensemble.

La relation entre les aounistes et Saad Hariri a toujours été complexe. En dépit des accusations multiples et équivoques lancées à son encontre et à celle de son équipe politique, qu’ils ont réuni dans l’ouvrage L’Acquittement impossible, ils semblent avoir coulé ensemble des jours heureux dès lors qu’il s’agissait de partager le pouvoir et l’influence.

Les députés aounistes hésitent à se prononcer sur la décision de Saad Hariri, même ceux qui se précipitent en général sur leur plateforme favorite, Twitter, pour tout commenter dans les moindres détails, et préfèrent attendre la position que prendra le chef du CPL, Gebran Bassil, comme point de départ pour échafauder leurs réactions. Un député aouniste ne cache pas à Ici Beyrouth sa crainte quant à l’existence " d’un plan étranger visant à créer une espèce de vide au niveau du leadership sunnite, ouvrant de ce fait la voie aux extrémistes pour occuper ce vide et l’utiliser comme tremplin en vue de déstabiliser le Liban ", estimant que " la concomitance entre le retrait de Saad Hariri de la vie politique et l’annonce de l’ancien Premier ministre Tammam Salam qu’il ne se portera pas candidat aux prochaines élections soulève plus d’un point d’interrogation et exacerbe nos inquiétudes, d’autant qu’il il n’est pas exclu de voir l’actuel Premier ministre, Najib Mikati, leur emboîter le pas”.

Voilà ce qu’il en est du côté du CPL. Pour ce qui est des Forces libanaises, la prudence reste de mise par rapport à l’approche à avoir sur cette question, compte tenu du fait que Meerab est conscient que le public de Saad Hariri est réparti entre ceux qui adoptent la position du chef du courant du Futur depuis 2017 et qui accusent le président des FL de l’avoir poignardé dans le dos d’une part, et ceux qui considèrent que Samir Geagea le représente dans ses options politiques et sa confrontation féroce avec le Hezbollah d’autre part, et qui se pourraient se rallier à lui avec le retrait de M. Hariri.

Des sources politiques bien informées rapportent à Ici Beyrouth que “si M. Geagea sait manoeuvrer correctement, il sera en mesure d’attirer un nombre non négligeable du public sunnite, ce qui lui profitera électoralement dans plus d’une région, contrairement au CPL qui est devenu persona non grata auprès de ce public”. “Le ressentiment et la colère des sunnites à l’égard des aounistes,  tenus responsables de la situation du pays, ont atteint leur paroxysme”, soulignent ces sources.

Elles soulignent par ailleurs " la relation forte de M. Geagea avec l’Arabie saoudite, qu’il a d’ailleurs réussi à préserver contrairement au reste des composantes de ce qui était connu sous l’appellation du 14 Mars, et qui lui permet d’être un acteur-clé dans les phases actuelles et futures, d’autant plus qu’il table sur l’augmentation du nombre de ses députés aux prochaines élections, tandis que les autres blocs parlementaires cherchent, dans le meilleur des cas, à maintenir leur nombre actuel de députés. "

Selon ces sources, " Samir Geagea pense que l’échec cuisant du mandat et les pressions arabes et internationales croissantes sur le Hezbollah ainsi que le retrait de Saad Hariri sont autant de facteurs qui joueront en sa faveur politiquement et électoralement, et il est impatient de les traduire en pratique en mai prochain, lors des élections législatives ".