À travers les siècles, les modes et les mouvements, la trifora (triple baie) a fait preuve de malléabilité en se déclinant sous toutes les formes et les multiples parfums des influences. Elle n’a jamais cédé et a su se réinventer. Métamorphosant ses trois arcades en une courbe unique, elle s’est redessinée au goût du jour pour continuer à s’imposer dans le paysage qu’elle marque incontestablement de son identité.
L’Art nouveau couvre principalement la période de 1890 à 1910, mais c’est surtout la Première Guerre mondiale qui a mis fin à cette expression créative pleine de vie. Ce style est apparu en réaction aux excès de rationalisme et de froideur de l’industrialisation, mais aussi pour s’émanciper de l’académisme tributaire des prototypes de la Renaissance. Ne voulant pas exploiter à nouveau les formes du passé, l’Art nouveau cherche à les dépasser, et propose une alternative à l’historicisme officiel. C’est une quête de l’inventivité et de la créativité, pour exprimer la sensibilité par des modes contemporains.
Sensualité féminine
L’Art nouveau se caractérise par son dessin naturaliste et féminin, ainsi que par sa saturation décorative envahie par les courbures, la puissance des couleurs et l’asymétrie générée par les caprices de la nature. La femme muse est ici éthérée, mystérieuse, sensuelle et érotique. Comme les ondulations et les courbes des entrelacements fluides, elle est vivante, libre, incernable et fuyante. L’Art nouveau se révolte contre l’uniformité et s’épanouit dans la diversité. Réaliser l’unité de l’art et de la vie, telle est sa devise.
C’est une recherche de formes nouvelles accompagnées d’ornementations inspirées de la faune et de la flore, et qui s’empare de la palette de couleurs vives des estampes japonaises qui envahissent les intérieurs mondains. L’ouvrage scientifique Formes artistiques de la nature du biologiste allemand Ernst Haeckel, publié entre 1899 et 1904, a fourni une grande source d’inspiration. Les artistes ont également puisé dans les planches des ouvrages de botanique, d'anatomie et de zoologie, comme dans les illustrations des livres de Jules Verne.
La nature comme modèle
Comme le disait déjà au XIXᵉ siècle Eugène Viollet-le-Duc, l’architecture doit suivre la logique de la nature. Ce sera le crédo de l’Art nouveau cherchant à évoluer avec la même souplesse organique. Les trois architectes emblématiques de ce mouvement se sont positionnés dans la continuité de Viollet-le-Duc. À Bruxelles, c’était Victor Horta. En Catalogne, Antonio Gaudi, architecte de la Sagrada Familia, dira de l’œuvre de Viollet-le-Duc que «c’était sa bible architectonique». En France, Hector Guimard pensera la fonte industrielle à la manière gothique préconisée par son grand maître.
La force de ces architectes artistes est d’avoir réussi à suggérer dans leurs œuvres, des organismes en croissance, plutôt que des produits finis. Ils ont injecté la vie comme la sève qui irrigue les plantes, à travers les nervures et les mouvements dans les ondulations. Ils ont libéré des courbures infinies qui embrassent le bois et la pierre, l’acier et le verre. Victor Horta a joué sur ces matériaux à l’hôtel Tassel à Bruxelles en 1892. Antonio Gaudi l’a fait à Barcelone à la Casa Mila (1910), au parc Gùell (1900-1914) et à la Sagrada Familia.
Un art jeune
L’Art nouveau est un art porté par une génération d’artistes jeunes. En Allemagne, il est appelé Jugendstil, qui signifie justement «style de la jeunesse». Il prend toutes les caractéristiques d’un «art total» en ce qu’il embrasse l’ensemble des domaines allant de l’architecture aux objets du quotidien, en passant par l’affiche, la mosaïque, le vitrail, la sculpture et l’ébénisterie. L’architecte belge Henry Van de Velde a prolongé la dynamique de ses courbes jusqu’à dans sa conception des robes pour femmes. Dans sa publication Le Déblaiement d’art, il a intellectualisé le principe de continuité entre les arts décoratifs et les arts dits nobles.
Le nom «Art nouveau» semble avoir été inventé par Van de Velde. Mais c’est à Paris que le terme s’est répandu, avec l’ouverture en décembre 1895, de la galerie de Siegfried Bing baptisée «Maison de l’Art nouveau». Elle proposait des verreries et des meubles de Tiffany, Lalique, Van de Velde, Gaillard et De Feure.
Par endroit, l’Art nouveau a marqué l’espace publique grâce aux devantures des commerces, les entrées d’immeubles, mais aussi et surtout les bouches du métro parisien de 1900, chefs-d’œuvre du jeune Hector Guimard qui n’avait pas encore trente ans. Certains immeubles parisiens de facture haussmannienne ont endossé les courbures et les asymétries que l’Art nouveau a empruntées à la nature. Cet art sera essentiellement urbain et s’épanouira dans les grandes villes telles que Paris, Bruxelles, Vienne, Glasgow et Barcelone, mais aussi Reims et Nancy.
La trifora libanaise
Au Liban, l’Art nouveau semble n’avoir fait son entrée que dans l’ameublement et les objets décoratifs. Dans le domaine de l’architecture, il faudra attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour voir apparaître quelques arcs venant embrasser d’un seul trait les trois arcades libanaises. Cette période coïncide avec l’apparition, dès les années 1920, d’un nouveau style, l’Art déco qui va vite supplanter l’Art nouveau et dominer le paysage architectural libanais, notamment en milieu urbain. Comme en Europe, même les maisons de campagne Art nouveau ont toujours des commanditaires citadins.
À part la maison du jardin des Arts et Métiers à Beyrouth (Sanayeh), envahie de formes et de couleurs dans une floraison d’asymétries, l’Art nouveau au Liban s’est réduit à des élancées d’arcades subdivisées en trois parties venues remplacer la trifora (triple baie) traditionnelle. Il a rarement débordé sur le fer forgé ou les boiseries de portes et des fenêtres.
Il faut découvrir l’intérieur des appartements pour y trouver les dressoirs, buffets, dessertes et porte-manteaux enrichis de courbures et de formes végétales. Ici et là, apparaissent les orfèvreries, les reliures de livres rehaussées d’ondulations dorées, les lithographies à la Toulouse Lautrec ou Pierre Bonnard, agrémentées de lettres de style Art nouveau à la Jules Chéret. À leur côté encore, des vases et autres objets décoratifs en pâte de verre. Certains sont de vraies pièces de l’artiste naturaliste Émile Gallé, si prisées dans les milieux mondains parisiens de la fin des années 1890.
Souplesse et ergonomie
Les meubles Art nouveau endossent des formes organiques, voire ergonomiques. Le bois sculpté des chaises évoque une impression de mollesse adaptée au corps humain. La ligne est souple, ondoyante et filante, effaçant toute discontinuité imposée par les divisions techniques. Rares sont les pièces qui ont survécu à la guerre libanaise des années 1970 et 1980. Parfois encore, dans des appartements délaissés ou une maison de campagne, se dresse dans un coin de l’entrée un porte-manteau de la Belle Époque.
En Europe, la Première Guerre mondiale a mis un terme brutal à cette recherche créative mêlée d’insouciance, de tendresse, d’espoir et de vie. L’Art déco viendra s’imposer après la guerre, avec ses formes viriles, cubistes et industrielles. Mais assez vite, entre ces deux mouvements, la trifora libanaise a su s’adapter. Métamorphosant ses trois arcades en une courbe unique, elle s’est redessinée au goût du jour pour continuer à s’imposer dans le paysage qu’elle marque incontestablement de son identité.
Un art national
À travers les siècles, les modes et les mouvements, la trifora a fait preuve de malléabilité en se déclinant sous toutes les formes et les multiples parfums des influences. Elle n’a jamais cédé et a su se réinventer. C’est à juste titre qu’un grand intellectuel du mouvement Art déco, John Ruskin, écrivait dans Les Sept Lampes de l’architecture que «l’architecture d’une nation n’est grande que lorsqu’elle est aussi universelle et aussi affermie que sa langue et lorsque les différences provinciales de style ne sont qu’autant de dialectes».
C’est ainsi qu’au Liban, comme en Catalogne et en Hongrie, l’Art nouveau a dérogé à sa règle universaliste pour élaborer une architecture nationale qui s’épanouira encore plus dans l’Art déco. Beyrouth exportera ces formes nouvelles vers les autres villes du Levant, comme elle l’avait déjà fait du temps où elle était la capitale du vilayet ottoman.
L’Art nouveau couvre principalement la période de 1890 à 1910, mais c’est surtout la Première Guerre mondiale qui a mis fin à cette expression créative pleine de vie. Ce style est apparu en réaction aux excès de rationalisme et de froideur de l’industrialisation, mais aussi pour s’émanciper de l’académisme tributaire des prototypes de la Renaissance. Ne voulant pas exploiter à nouveau les formes du passé, l’Art nouveau cherche à les dépasser, et propose une alternative à l’historicisme officiel. C’est une quête de l’inventivité et de la créativité, pour exprimer la sensibilité par des modes contemporains.
Sensualité féminine
L’Art nouveau se caractérise par son dessin naturaliste et féminin, ainsi que par sa saturation décorative envahie par les courbures, la puissance des couleurs et l’asymétrie générée par les caprices de la nature. La femme muse est ici éthérée, mystérieuse, sensuelle et érotique. Comme les ondulations et les courbes des entrelacements fluides, elle est vivante, libre, incernable et fuyante. L’Art nouveau se révolte contre l’uniformité et s’épanouit dans la diversité. Réaliser l’unité de l’art et de la vie, telle est sa devise.
C’est une recherche de formes nouvelles accompagnées d’ornementations inspirées de la faune et de la flore, et qui s’empare de la palette de couleurs vives des estampes japonaises qui envahissent les intérieurs mondains. L’ouvrage scientifique Formes artistiques de la nature du biologiste allemand Ernst Haeckel, publié entre 1899 et 1904, a fourni une grande source d’inspiration. Les artistes ont également puisé dans les planches des ouvrages de botanique, d'anatomie et de zoologie, comme dans les illustrations des livres de Jules Verne.
La nature comme modèle
Comme le disait déjà au XIXᵉ siècle Eugène Viollet-le-Duc, l’architecture doit suivre la logique de la nature. Ce sera le crédo de l’Art nouveau cherchant à évoluer avec la même souplesse organique. Les trois architectes emblématiques de ce mouvement se sont positionnés dans la continuité de Viollet-le-Duc. À Bruxelles, c’était Victor Horta. En Catalogne, Antonio Gaudi, architecte de la Sagrada Familia, dira de l’œuvre de Viollet-le-Duc que «c’était sa bible architectonique». En France, Hector Guimard pensera la fonte industrielle à la manière gothique préconisée par son grand maître.
La force de ces architectes artistes est d’avoir réussi à suggérer dans leurs œuvres, des organismes en croissance, plutôt que des produits finis. Ils ont injecté la vie comme la sève qui irrigue les plantes, à travers les nervures et les mouvements dans les ondulations. Ils ont libéré des courbures infinies qui embrassent le bois et la pierre, l’acier et le verre. Victor Horta a joué sur ces matériaux à l’hôtel Tassel à Bruxelles en 1892. Antonio Gaudi l’a fait à Barcelone à la Casa Mila (1910), au parc Gùell (1900-1914) et à la Sagrada Familia.
Un art jeune
L’Art nouveau est un art porté par une génération d’artistes jeunes. En Allemagne, il est appelé Jugendstil, qui signifie justement «style de la jeunesse». Il prend toutes les caractéristiques d’un «art total» en ce qu’il embrasse l’ensemble des domaines allant de l’architecture aux objets du quotidien, en passant par l’affiche, la mosaïque, le vitrail, la sculpture et l’ébénisterie. L’architecte belge Henry Van de Velde a prolongé la dynamique de ses courbes jusqu’à dans sa conception des robes pour femmes. Dans sa publication Le Déblaiement d’art, il a intellectualisé le principe de continuité entre les arts décoratifs et les arts dits nobles.
Le nom «Art nouveau» semble avoir été inventé par Van de Velde. Mais c’est à Paris que le terme s’est répandu, avec l’ouverture en décembre 1895, de la galerie de Siegfried Bing baptisée «Maison de l’Art nouveau». Elle proposait des verreries et des meubles de Tiffany, Lalique, Van de Velde, Gaillard et De Feure.
Par endroit, l’Art nouveau a marqué l’espace publique grâce aux devantures des commerces, les entrées d’immeubles, mais aussi et surtout les bouches du métro parisien de 1900, chefs-d’œuvre du jeune Hector Guimard qui n’avait pas encore trente ans. Certains immeubles parisiens de facture haussmannienne ont endossé les courbures et les asymétries que l’Art nouveau a empruntées à la nature. Cet art sera essentiellement urbain et s’épanouira dans les grandes villes telles que Paris, Bruxelles, Vienne, Glasgow et Barcelone, mais aussi Reims et Nancy.
La trifora libanaise
Au Liban, l’Art nouveau semble n’avoir fait son entrée que dans l’ameublement et les objets décoratifs. Dans le domaine de l’architecture, il faudra attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour voir apparaître quelques arcs venant embrasser d’un seul trait les trois arcades libanaises. Cette période coïncide avec l’apparition, dès les années 1920, d’un nouveau style, l’Art déco qui va vite supplanter l’Art nouveau et dominer le paysage architectural libanais, notamment en milieu urbain. Comme en Europe, même les maisons de campagne Art nouveau ont toujours des commanditaires citadins.
À part la maison du jardin des Arts et Métiers à Beyrouth (Sanayeh), envahie de formes et de couleurs dans une floraison d’asymétries, l’Art nouveau au Liban s’est réduit à des élancées d’arcades subdivisées en trois parties venues remplacer la trifora (triple baie) traditionnelle. Il a rarement débordé sur le fer forgé ou les boiseries de portes et des fenêtres.
Il faut découvrir l’intérieur des appartements pour y trouver les dressoirs, buffets, dessertes et porte-manteaux enrichis de courbures et de formes végétales. Ici et là, apparaissent les orfèvreries, les reliures de livres rehaussées d’ondulations dorées, les lithographies à la Toulouse Lautrec ou Pierre Bonnard, agrémentées de lettres de style Art nouveau à la Jules Chéret. À leur côté encore, des vases et autres objets décoratifs en pâte de verre. Certains sont de vraies pièces de l’artiste naturaliste Émile Gallé, si prisées dans les milieux mondains parisiens de la fin des années 1890.
Souplesse et ergonomie
Les meubles Art nouveau endossent des formes organiques, voire ergonomiques. Le bois sculpté des chaises évoque une impression de mollesse adaptée au corps humain. La ligne est souple, ondoyante et filante, effaçant toute discontinuité imposée par les divisions techniques. Rares sont les pièces qui ont survécu à la guerre libanaise des années 1970 et 1980. Parfois encore, dans des appartements délaissés ou une maison de campagne, se dresse dans un coin de l’entrée un porte-manteau de la Belle Époque.
En Europe, la Première Guerre mondiale a mis un terme brutal à cette recherche créative mêlée d’insouciance, de tendresse, d’espoir et de vie. L’Art déco viendra s’imposer après la guerre, avec ses formes viriles, cubistes et industrielles. Mais assez vite, entre ces deux mouvements, la trifora libanaise a su s’adapter. Métamorphosant ses trois arcades en une courbe unique, elle s’est redessinée au goût du jour pour continuer à s’imposer dans le paysage qu’elle marque incontestablement de son identité.
Un art national
À travers les siècles, les modes et les mouvements, la trifora a fait preuve de malléabilité en se déclinant sous toutes les formes et les multiples parfums des influences. Elle n’a jamais cédé et a su se réinventer. C’est à juste titre qu’un grand intellectuel du mouvement Art déco, John Ruskin, écrivait dans Les Sept Lampes de l’architecture que «l’architecture d’une nation n’est grande que lorsqu’elle est aussi universelle et aussi affermie que sa langue et lorsque les différences provinciales de style ne sont qu’autant de dialectes».
C’est ainsi qu’au Liban, comme en Catalogne et en Hongrie, l’Art nouveau a dérogé à sa règle universaliste pour élaborer une architecture nationale qui s’épanouira encore plus dans l’Art déco. Beyrouth exportera ces formes nouvelles vers les autres villes du Levant, comme elle l’avait déjà fait du temps où elle était la capitale du vilayet ottoman.
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