Le Koweït et les pays du Golfe arabe attendent, samedi, la réponse du Liban à l’initiative lancée par le chef de la diplomatie koweïtienne, cheikh Ahmad Nasser al-Mohammad Al-Sabah, le week-end dernier " pour rebâtir la confiance avec le Liban ". Au cœur de cette initiative, toute une dynamique censée réduire l’influence du Hezbollah et de l’Iran sur le Liban.

Il semble qu’il y ait en fait deux approches arabes quelque peu distinctes, l’une radicale et l’autre plus modérée, de la meilleure façon de résoudre le problème de l’influence du Hezbollah au Liban et de l’ingérence de cette formation dans les affaires arabes, principale cause de la détérioration des liens entre Beyrouth et les monarchies du Golfe.

Des sources diplomatiques arabes concordantes considèrent qu’il sera " difficile " pour le Liban d’exécuter les demandes figurant dans l’initiative koweïtienne, au sujet desquelles le chef de la diplomatie libanaise Abdallah Bou Habib doit remettre une réponse ce samedi 29 janvier lors d’une réunion consultative des ministres arabes des Affaires étrangères au Koweït. Elles estiment que le Koweït a placé la barre trop haute, en formulant des requêtes pas vraiment réalistes, se demandant en outre comme un pays qui est partie prenante dans la crise, à savoir le Koweït, peut en même temps jouer le rôle de médiateur.

Pour ce qui est de la mise en application de la résolution 1559 des Nations unies par exemple, réclamée par le Koweït et qui prévoit notamment le désarmement de toutes les milices, et donc du Hezbollah, les sources soulignent que si cela était envisageable pour le moment par le gouvernement libanais, ce dernier l’aurait mentionné dans sa déclaration ministérielle. Or, il ne l’a pas fait, alors qu’il a évoqué la résolution 1701, prévoyant une cessation des hostilités entre Israël et le Hezbollah après la guerre de 2006.

Trois choix

Selon ces sources, la position du Liban est très difficile vis-à-vis de la feuille de route koweïtienne, car les trois choix qui se posent à lui ne sont pas en sa faveur. S’il l’accepte telle quelle, il entre dans une confrontation interne. S’il la rejette, c’est à une confrontation avec les pays du Golfe arabe qu’il aura affaire, sachant que les relations avec ces derniers sont déjà très tendues. Le troisième choix, qui est peut-être " le moins pire ", c’est d’engager un dialogue avec les pays du CCG, sachant qu’ils ont clairement précisé qu’ils voulaient des réponses claires et non-évasives, et de vrais résultats.

Cette porte de sortie sauverait la face aux leaders libanais, lesquels montreraient qu’ils veulent une solution, sans pour autant céder aux invectives. Cependant, même dans le cadre d’un éventuel dialogue, le Liban sera en position de faiblesse, du fait de sa situation économique et politique actuelle, estiment les sources précitées.

En fait, l’initiative, présentée par le ministre Al-Sabah comme étant un message " du Koweït et du Golfe, un message arabe et international ", serait plus précisément une feuille de route établie par les seules monarchies du Golfe, avec à leur tête l’Arabie saoudite.

Si aucun pays arabe n’appuie l’influence du Hezbollah au Liban, bien au contraire, il semble qu’il y ait deux " approches " arabes différentes de ce problème. Celle, radicale et intransigeante, des pays du Golfe arabe, qui veulent régler ce problème au plus tôt, même si cela doit se faire d’une manière qui coûte cher au pays. Et celle, plus compréhensive et modérée, d’autres États arabes, qui préfèreraient un règlement réaliste, avec le moins de dégâts possibles pour l’ensemble de la population libanaise.

Et même parmi les pays du Golfe, certains sont beaucoup moins rigides que l’Arabie saoudite dans leur approche du dossier libanais, notamment les Émirats arabes unis, selon les sources arabes précitées.

De mêmes sources, on établit également une distinction au niveau de l’approche des pays occidentaux qui suivent de près la situation au Liban. Elles croient ainsi savoir que la France, par exemple, pencherait pour des démarches fermes mais " prudentes " vis-à-vis du contrôle du Hezbollah, alors que les États-Unis pourraient appuyer l’approche radicale des pays du Golfe.

Dans ce contexte, une source française a précisé à Ici Beyrouth que " Paris a clairement exprimé sa position lors de la visite du président français Emmanuel Macron dans le Golfe en décembre, et encourage tout ce qui peut permettre de renforcer le dialogue et la désescalade ".

Un mécanisme précis

Réagissant aux informations de presse selon lesquelles les propositions koweïtiennes, si elles ne sont pas appliquées par les autorités libanaises, pourraient bientôt prendre la forme de résolutions officielles de la Ligue arabe à propos du Liban, les sources diplomatiques arabes ont indirectement écarté cette éventualité pour le moment, en rappelant que de " telles décisions sont généralement prises sur la base d’un mécanisme clair et précis " :  " Lors d’une réunion officielle de la Ligue, une idée est proposée, puis approuvée, ensuite une proposition de résolution est discutée, en présence du représentant du pays concerné, à savoir le Liban dans ce cas. Cela ne pourrait pas par exemple avoir lieu lors de la réunion ‘consultative’ prévue à la fin du mois au Koweït, à laquelle le ministre Bou Habib doit participer, et au cours de laquelle il est supposé présenter la réponse libanaise aux questions figurant sur la feuille de route koweïtienne ", selon la même source.

Les sources arabes notent qu’une résolution exprimant la solidarité arabe avec le Liban était traditionnellement adoptée lors des réunions ministérielles et sommets arabes, mais depuis l’escalade verbale du Hezbollah contre les pays arabes et la montée crescendo de ses interventions dans leurs affaires intérieures, de nouveaux termes ont été utilisés dans les résolutions, qualifiant notamment le Hezbollah de " terroriste ", des termes vis-à-vis desquels le Liban exprime des réserves. Elles soulignent dans ce cadre qu’aucune résolution de la Ligue arabe au sujet du Liban ne peut être prise sans l’approbation de celui-ci. Cela pourrait très difficilement se produire, surtout compte tenu des points de vue discordants entre les leaders libanais.

De plus, la possibilité de sanctionner le pays de cette manière, surtout alors qu’il passe par une des phases les plus difficiles de son histoire, sera rejetée par certains pays arabes, croient savoir les sources précitées. Plusieurs membres de la Ligue, à l’instar par exemple de l’Irak ou de l’Égypte, ne l’accepteront pas.

Les sources arabes n’écartent cependant pas un rôle ultérieur de la Ligue arabe. Elles rappellent dans ce cadre que la tentative de la Ligue d’intervenir en novembre lors de la crise entre le Liban et les pays arabes du Golfe, suscitée par les propos de l’ancien ministre de l’Information Georges Cordahi sur le Yémen, n’avait pas obtenu d’échos positifs. Les autorités libanaises n’avaient pas réagi à cette démarche, qui avait pourtant estimé que toute solution était tributaire de la démission du ministre Cordahi. Il a fallu, pour de nombreuses raisons, attendre la réunion entre le président français Emmanuel Macron et le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman, pour que le ministre démissionne. À l’issue de cette réunion, le chef de l’Élysée avait annoncé un engagement sur la restauration des liens entre Beyrouth et le royaume, à condition de limiter la possession d’armes aux institutions légales de l’État.

Quant à l’annonce de la décision de l’ancien Premier ministre Saad Hariri de suspendre sa participation à la vie politique libanaise, qui est intervenue au lendemain de la visite du ministre koweïtien à Beyrouth, elle aurait été prise bien avant cela et ne serait pas directement liée à la démarche des pays du Golfe, selon les mêmes sources arabes.

Elle n’est toutefois pas indissociable de " la volonté saoudienne de faire prévaloir ses positions au Liban ", le froid qui a marqué les relations du leader sunnite avec Riyad ayant joué un grand rôle dans la décision qu’il a prise. Cependant, ajoutent les sources, il n’est pas dit que les Saoudiens remportent ce pari, et il se pourrait que ce soit au contraire leurs principaux détracteurs, à savoir le Hezbollah et l’Iran, qui en bénéficient.

On rappelle que la visite du ministre koweïtien à Beyrouth était la première d’un responsable des pays du Golfe depuis la crise qui a éclaté suite aux propos tenus par l’ancien ministre Cordahi et qui avait conduit ces pays à rappeler leurs ambassadeurs au Liban fin 2021.

Les " demandes " remises par le diplomate koweïtien englobent notamment le respect de l’accord de Taëf et des résolutions 1559 et 1701 du Conseil de sécurité, la mise en œuvre des réformes politiques et financières, le retour à la politique de non-ingérence dans les affaires des pays arabes, la nécessité pour l’État libanais de détenir le monopole des armes, le contrôle des frontières et des points de passage et le renforcement des mesures de sécurité à l’aéroport pour empêcher le trafic de drogue vers l’Arabie saoudite.

Lire aussi : L’initiative koweïtienne et le “patient” libanais

 

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