Beyrouth semble toujours ne pas saisir le sens, la portée et l’importance de l’initiative du Conseil de coopération du Golfe. 

Le ministre des Affaires étrangères Abdallah Bou Habib doit remettre samedi prochain à son homologue koweïtien, cheikh Ahmad Jaber al-Mohammad al-Sabah, la réponse du Liban officiel au document en douze points présenté par le Koweït au nom du Conseil de coopération du Golfe  (CCG) et de la communauté internationale. L’initiative soulève entre autres la nécessité pour le Liban de respecter la politique de distanciation à l’égard de la politique des axes et l’application des résolutions internationales, notamment la 1559, ainsi que l’impératif d’une réaction ferme de l’État libanais contre l’utilisation du Liban par le Hezbollah comme point de départ pour ses actes hostiles à l’encontre des pays du Golfe.

Dans sa réponse d’une page et demie, le Liban exprime sa position vis-à-vis des douze points de l’initiative et souligne sa volonté de maintenir ses contacts et ses relations de bon voisinage avec son environnement arabe, notamment les pays du Golfe, et d’accroître sa coordination avec eux dans l’intérêt commun des deux parties.

Mais Beyrouth ne semble toujours pas avoir saisi l’importance et la portée de l’initiative.

Confusion autour de la 1559

Concernant ainsi la résolution 1559 du Conseil de sécurité, le Liban affirme l’avoir appliquée, appelant les pays du Golfe à lui proposer une feuille de route pour en parachever l’application, si ces derniers en ont une.

L’application de la résolution aurait due être parachevée par le biais de la stratégie de défense que le président de la République, Michel Aoun, avait proposée dans son discours à la nation fin 2021, appelant toutes les parties à une conférence de dialogue nationale, mais ces dernières ont rejeté l’invitation, indique ainsi le document… Le Liban remplit ses devoirs, applique les résolutions internationales et arabes et respecte  les dispositions de l’accord de Taëf et de la Constitution, comme autorité de référence adoptant la politique de distanciation, se défend Beyrouth.

Or des milieux de l’opposition estiment que cette position du Liban vis-à-vis de la résolution 1559 est confuse et ne répond pas à l’exigence clarté formulée par le groupe international qui se trouve derrière l’initiative koweïtienne. Beyrouth ne semble pas saisir qu’il s’agit sans doute de la dernière occasion de sauver le Liban de sa déliquescence, après l’échec de CEDRE, puis de l’initiative française d’Emmanuel Macron en 2020. Toutes ces initiatives se sont heurtées aux armes du Hezbollah, que le parti chiite cherche à légaliser après avoir réussi à imposer le triptyque “peuple, armée, résistance” au sein de toutes les déclarations ministérielles au cours des quinze dernières années.

Deux options pour Beyrouth

Pourquoi le Koweït a-t-il décidé d’agir au nom du groupe arabe et international ? Les pays du Golfe, Saoudiens en tête, en ont ras-le-bol des exactions du Hezbollah dans leur espace géographique. Pour le compte de l’Iran, le parti chiite intervient sur le plan logistique, militaire et médiatique au Yémen, en soutien aux rebelles Houthis. Or ces pays sont stupéfaits et choqués par l’indifférence et l’apathie de certains responsables libanais vis-à-vis des dégâts causés par le Hezbollah, qui exporte les stupéfiants, les armes et le Captagon sans vergogne en direction du Golfe

Partant, s’il est question de dernière chance, c’est parce que la patience du CCG n’est pas sans limites. Lors de sa rencontre avec le président de la République à Baabda, le ministre koweïtien a été clair concernant ce que les pays arabes, et particulièrement ceux du Golfe, attendent du Liban. Après cette dernière opportunité, si les conditions arabes et internationales ne sont pas  remplies, “chacun devra assumer ses responsabilités et les conséquences de ses choix”, précisent des sources proches du dossier.

Par contre, si le Liban officiel décide de mettre un terme aux ingérences du Hezbollah dans les affaires des pays de la région et d’appliquer les résolutions 1559 et 1701, le CCG est décidé à lui assurer un soutien en bonne et due forme, qui se matérialiserait pas une conférences d’aide en présence de représentants des États-Unis, de France, d’Arabie saoudite, de Russie et d’Iran. En cas de refus, Beyrouth se dirige vers une poursuite inéluctable de l’effondrement et des sanctions arabes, européennes et américaines contre des dirigeants et des responsables politiques. Les noms des personnalités qui seront sanctionnées seraient actuellement à l’étude.

Le régime à Beyrouth se trouve dans une position complexe face à l’initiative koweïtienne. S’il l’accepte, il devra subir les foudres du Hezbollah, qui ébranlera aussitôt la stabilité et la paix civile du pays. S’il la refuse, il devra faire face à une réaction arabe et internationale dure. Le pays sera définitivement classé au rang des États-faillis, à mettre sous protectorat internationale ou sous le coup du chapitre 7 de l’ONU, jusqu’à ce que les résolutions internationales soient appliquées dans toutes leurs dispositions et la souveraineté de l’État et le monopole de la violence légitime rétablis.

Le Hezbollah et ses limites

Le Hezbollah se trouve lui aussi dans une situation de confusion. Il est incapable, face à ces données, et à l’ombre de la situation économique et de la crise qui touche aussi ses partisans, de s’extirper de cette posture, ou d’atermoyer et de trouver des prétextes et des justificatifs concernant le maintien de ses armes, qui ont perdu toute légitimité et toute fonction libanaises, sinon celle de constituer un instrument d’hégémonie sur l’État et les citoyens au service de Téhéran.

C’est dans ce contexte que le chef du courant du Futur, l’ancien Premier ministre Saad Hariri, a annoncé son retrait de la vie politique et la suspension des activités de son parti. Le Liban serait entré dans une ère de confrontation, et M. Hariri ne souhaiterait pas servir de faux-témoin à l’étape actuelle.

Jusqu’à présent, le Hezbollah a ignoré l’initiative koweïtienne, une personnalité politique proche de la banlieue sud allant même jusqu’à dire aux pays du Golfe “d’aller se faire voir chez les Grecs…” Une rétorque similaire à la réaction du chef du bloc parlementaire du Hezbollah, le député Mohammad Raad, à l’époque de la déclaration de Baabda, sous le mandat Sleiman. Le parti chiite était ensuite revenu à de meilleurs sentiments, se disant prêt à discuter de l’initiative du président Sleiman… mais uniquement pour mieux l’étouffer par la suite.

Les attaques contre les patrouilles de la Finul prouvent concrètement que le Hezbollah rejette l’initiative des pays du Golfe, notamment l’application de la résolution 1559, dans la mesure où ses armes seraient celles de la “résistance”.

Si Beyrouth accepte de collaborer avec le CCG et applique l’initiative koweïtienne, un nouvel accord de Doha devrait suivre. Sinon, la confrontation paraît inévitable et le Liban devrait se retrouver sous un blocus financier, sécuritaire, militaire et politique, affirment des sources proches du dossier.

Ces sources ajoutent qu’elles voient mal le Hezbollah abandonner ses armes ou la mission qu’il remplit pour le compte de l’Iran. Il ne peut pas refuser de mettre à exécution l’agenda de Téhéran dans la région. Il est dans ce sens un “proxy” de l’Iran, une milice-satellite, un corps d’expédition chargé de mener la bataille des Pasdaran à l’étranger ; un groupe de mercenaires, en bref, à la solde des Gardiens de la révolution, souligne un expert militaire. C’est ainsi que l’Iran mène ses guerres au Yémen, en Syrie, en Irak, au Liban ou à Gaza, par une guerre de guérilla, sans engager ses forces directement. Le sort des armes dépend donc des désirs du waliy el-faqih et, partant, du sort des négociations avec la communauté internationale sur le dossier du nucléaire iranien. Le Hezbollah ne possède donc aucune marge de manoeuvre, aucun pouvoir de décision propre au sujet de son arsenal.

Pour toutes ces raisons, il ne faudrait donc pas se faire trop d’espoir quant à la possibilité que le Hezbollah s’implique dans tout processus de solution à ses dépens. Qu’à cela ne tienne, des pays européens, comme la France, suivent de près l’évolution de la situation au Liban et l’initiative koweïtiennes avec Washington et Moscou, ne cachent pas leur volonté d’organiser une conférence internationale avec tous les États concernés, qui déboucherait sur une tutelle de l’ONU sous le chapitre 13. Une séance du Conseil de sécurité pourrait également être réservée au Liban, dans la mesure où toutes les parties s’accordent sur le fait que l’effondrement du Liban constitue désormais une menace pour la sécurité et la stabilité régionale et internationale, et nécessité sans doute des décisions sous le chapitre VII pour élargir les compétences de la Finul et contribuer à sauver le pays.

Au summum de sa “force”, le Liban n’a jamais de sa vie été aussi mal en point, autant en besoin d’assistance à pays en danger.

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