Le Conseil d’État a annulé mardi une décision du gouvernement, prévue dans sa stratégie de redressement et qui aurait détruit le secteur bancaire et privé les déposants de leurs fonds.

Le Conseil d’État a annulé mardi une décision du Conseil des ministres de mai 2022, prévue dans le cadre de sa stratégie de redressement financier et qui aurait surtout détruit le secteur bancaire et privé les déposants de leurs fonds.

Il s’agit d’un article de cette stratégie, qui prévoit d’une manière lapidaire la suppression pure et simple d’une "grande partie des engagements de la Banque du Liban – c’est-à-dire des engagements de l’État – à l’égard des banques".

Le but de cette mesure, dans l’optique gouvernementale, est de "réduire le déficit des capitaux de la banque centrale, libellé en devises étrangères". En réalité, celle-ci lui permet, de manière machiavélique, de faire d’une pierre deux coups, autrement dit de détruire le secteur bancaire pour faire passer son plan – tout aussi contesté – de restructuration bancaire et de faire assumer aux déposants tout le poids de la crise financière.

Cette mesure vise de la sorte à décharger l’État de toute responsabilité dans la crise financière et la dilapidation des fonds publics (les recettes du Trésor) et privés (l’argent des banques et des déposants auprès de la BDL), alors qu’il en est le principal responsable, à cause de politiques ratées que les autorités, toujours réfractaires à la mise en œuvre de réformes, continuent malheureusement de suivre.

Au cas où elle aurait été maintenue, non seulement cette mesure aurait porté le coup de grâce au secteur bancaire, mais elle l’aurait également mis en confrontation directe avec les déposants.

Le recours avait été présenté par l’Association des banques du Liban (ABL) auprès du Conseil d’État, en juin 2022, soit un mois après l’adoption de la stratégie de redressement en Conseil des ministres.

L’ABL y réclame la suspension puis l’annulation de l’article relatif à la suppression des engagements de la banque centrale en devises auprès des banques, "en raison de sa violation de la Constitution et des lois".

Dans son exposé des motifs, l’association souligne notamment que "lorsque la crise s’est déclenchée en 2020 et que les déposants ont été interdits de retirer leur argent en devises, il est apparu que l’État libanais a puisé, 11 ans durant, entre 2010 et 2021, dans les dépôts bancaires pour financer ses dépenses".

Elle rappelle que six ministres s’étaient opposés en Conseil des ministres à l’article qui fait l’objet du recours "parce qu’il porte préjudice aux actionnaires et aux déposants qui constituent le secteur bancaire libanais". L’article contesté prévoit également une fermeture de "la position ouverte nette dans une monnaie étrangère" (Net open FX position), qui est le solde net de tous les actifs, passifs et éléments hors bilan dans cette monnaie.

"Le ministre des Affaires des déplacés (Issam Charafeddine) avait même consigné ses réserves par écrit, parce que cet article a été inclus, sans débat, dans la stratégie de redressement", selon l’ABL.

"Préjudiciable"

Le Conseil d’État, sous la présidence du juge Fadi Elias, a considéré dans son jugement, que la démarche de l’ABL était recevable sur le fond et la forme, en dépit d’une longue contre-argumentation du gouvernement libanais qui défend de manière éhontée sa décision de supprimer les fonds des déposants et son droit de le faire.

Dans la forme, le Conseil d’État a retenu dans sa décision "le caractère préjudiciable" de cette "mesure administrative". Il a souligné que celle-ci ne représente pas un acte futur que le gouvernement compte entreprendre, mais une décision prise a posteriori, avec effet rétroactif, pour pouvoir annoncer que l’appropriation non déclarée des dépôts, entreprise par l’État entre 2010 et 2021, est devenue définitive et exécutoire.

Il s’est fondé sur une jurisprudence du Conseil d’État français pour souligner que "toute décision qui établit une règle qui contrevient au pouvoir réglementaire des décisions juridiques peut faire l’objet d’un recours en invalidation".

S’il a aussi jugé recevable le recours de l’ABL, c’est parce que celui-ci "porte sur un article précis" et non sur l’ensemble de la stratégie du gouvernement et parce que le texte contesté "fait assumer aux déposants les charges que l’État est censé lui-même assumer".

"Le fait qu’une juridiction administrative contrôle la légalité d’une décision administrative contestée, laquelle porte atteinte à la propriété privée, relève des prérogatives directes de cette juridiction. Elle n’a rien à voir avec les négociations engagées par le gouvernement avec le Fonds monétaire international", a insisté le Conseil d’État, qui a reconnu la légitimité de la démarche menée par l’ABL, "habilitée à se prononcer sur les projets et les lois en rapport avec les affaires financières et bancaires".

Selon le Conseil d’État, l’article contesté aurait "annihilé le secteur bancaire et créé, d’une manière irresponsable, un conflit entre les banques et les déposants".

"Anticonstitutionnel"

Dans le fond, le Conseil d’État a jugé que l’article contesté "est en contradiction avec la Constitution, notamment l’article 15 qui dispose que l’autorité exécutive est tenue de respecter la propriété privée et le système économique libéral (…), d’autant que le texte en question prévoit une saisie des fonds privés dont l’État a disposé librement".

"Une fraude"

Il est aussi "en contradiction avec les articles 85, 90 et 113 du Code de la monnaie et du crédit qui interdit à l’État de s’endetter auprès de la Banque du Liban, la banque de l’État libanais, et contraint celui-ci de couvrir toutes pertes accumulées par la BDL". "Or l’État a emprunté plus de 60 milliards de dollars qui représentent les fonds des déposants dans les banques libanaises et a enfreint son obligation légale de couvrir les pertes qu’il a fait subir à la banque centrale. L’article contesté tend à légitimer ces deux infractions", a souligné le Conseil d’État qui a sans ambages accusé l’État "de fraude".

"L’article contesté est vicié à cause d’une fraude en vertu de laquelle il transforme la nature de l’acte par lequel l’État a disposé des fonds des déposants, qui est un emprunt, en une appropriation définitive", a relevé le Conseil d’État avant d’expliquer que le texte en question "contrevient également au principe de l’égalité dans le processus qui consiste à assumer les charges, (…..) lesquelles ne sont même pas réparties équitablement entre tous les citoyens. Elles sont seulement assumées par les déposants".

"Détournement de pouvoir"

Le Conseil d’État a en outre relevé un "détournement de pouvoir" par la biais de l’article contesté, "l’objectif annoncé étant un plan de redressement du secteur financier, alors que le but réel est de confisquer les dépôts illégalement empruntés par l’État auprès de la banque centrale". Il a en outre mis en relief le fait que "le gouvernement n’a pas prévu, en dépossédant les déposants de leurs fonds, des mesures ou des plans pour indemniser ces derniers, ce qui constitue une atteinte flagrante au droit de propriété, consacré par la Constitution et la Déclaration internationale des droits de l’Homme". Il l’a accusé de ne pas s’être conformé non plus "aux lois votées par le Parlement", notamment en ce qui concerne le financement du déficit du Trésor au cours des dix dernières années, ainsi que le règlement des conséquences de la politique suivie par l’État.

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