C’est sous l’intitulé «Réveiller notre résistance intellectuelle et culturelle» que le recteur Salim Daccache s.j. a prononcé cette année 2024 (149ᵉ anniversaire de la fondation de l’USJ) le traditionnel discours de la Saint-Joseph. La cérémonie s’est tenue dans le grand amphithéâtre du campus de sciences et de technologie de l’USJ – Mar Roukoz, en présence notamment de Abbas Halabi, ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, Mgr Paolo Borgia, nonce apostolique, et du père Michaël Zammit, supérieur provincial de la Compagnie de Jésus au Proche-Orient et au Maghreb, ainsi que de la communauté enseignante et administrative de l’USJ.
L’auditoire a pu écouter le programme d’action multiforme de l’Université Saint-Joseph, pour résister aux défis académiques et à l’affaiblissement de l’identité libanaise qui menace tout le Liban. Au nombre des actions de résistance figurent les prestations du service social et des bourses universitaires de l’USJ, dont le budget actuel a dépassé les 17 millions de dollars.
Après la belle méditation traditionnelle consacrée à saint Joseph, le recteur est entré dans le vif du sujet, réaffirmant les engagements de l’USJ sur les plans académique, culturel, social et national.
Dans son discours, le père Daccache a annoncé qu’un calendrier de la commémoration de «l’année jubilaire» 2025, marquant les 150 ans de l’USJ, sera dévoilé le 30 avril prochain, «si des menaces de guerre ne viennent pas modifier nos plans». Ce même jour sera dévoilé également le protocole d’accord pour la fondation d’une USJ-Côte d’Ivoire, à Abidjan.
Le sang versé, signe de continuité
Sur la mission de l’USJ, et après avoir rappelé «le tournant de 1975, la menace de fermer l’université et le sang versé des années 1975-1990, qui ont été des moments de confirmation de continuité de l’œuvre universitaire», le recteur a affirmé que cette mission restera «de délivrer un message d’ouverture, de respect de la diversité, de vénération des valeurs humaines, d’engagement citoyen au service de la collectivité, d’amour de la liberté et de refus de la servitude».
«La détermination de notre université à honorer ces valeurs en a fait un levier de résistance intellectuelle et culturelle, a confirmé le recteur. Le mot 'résistance', qualifié d’académique et de culturel, je ne suis pas le premier à l’utiliser. En revenant aux écrits des recteurs Jean Ducruet et Sélim Abou, nous apprenons que 'résister' c’est ne pas céder devant les moyens violents ou contraignants qui menacent les piliers de l’existence du Liban et de l’université, c’est ne pas accepter le vide intellectuel et culturel créé par des aventures contraires au sens de la fondation du Liban, c’est aussi refuser les dérives de l’enseignement universitaire lorsque l’université cesse de remplir sa mission nationale et culturelle, et est menacée par les tentations matérielles et financières.»
Et le père Daccache de conclure ce point en affirmant: «Si nous devons être aujourd’hui encore des résistants, c’est que la menace pèse toujours sur l’enseignement supérieur, sur le Liban et sa survie comme État, sur son système de valeurs et son contrat social.»
Menaces internes et externes
Des menaces internes et externes qui pèsent sur l’USJ, le recteur citera pour commencer celles qui relèvent du domaine académique: la «parcellisation» du savoir et sa marchandisation. À l’externe, il parlera tour à tour du «vide intellectuel et moral» qui menace la société libanaise, de «l’émigration forcée» et enfin la perte du sens de l’État.
«Le vide moral et intellectuel que nous vivons aujourd’hui au Liban, dira-t-il, s’accompagne d’un problème plus profond qui met en cause notre identité libanaise (…). L’affaiblissement de l’identité libanaise commune, analyse-t-il, favorise des identités de groupes imaginées et imaginaires, renfermées sur elles-mêmes et agressives, fanatiques et réactionnaires.»
Sur la menace de «l’émigration forcée», le recteur relève «qu’elle tourne au cauchemar». «Pour la seule année 2022, 52.000 personnes ont quitté définitivement, précise-t-il, et ce chiffre est devenu 76.000 en 2023. En 25 ans, le Liban a perdu 75% de ses diplômés.»
Le destin de l’État
«Sur le destin de l’État libanais», le père Daccache assure que c’est «la cause principale pour laquelle nous devons lutter et résister intellectuellement et politiquement est la restauration de l’État libanais». Abordant la question de l’élection présidentielle, il en souligne l’absolue nécessité. «Qu’il soit maronite ou non, glisse au passage le recteur, sans doute excédé par le confessionnalisme à outrance dont certains maronites font preuve, ce président est une garantie de souveraineté et d’égalité entre nous et un gage de la solidité du contrat social entre Libanais.» Il nuancera ce mot en ajoutant: «Mais pour moi, ce doit être un maronite.»
Parvenu à ce point, le recteur relèvera «les pas effectués pour être du niveau d’une véritable université». La «résistance» de l’USJ, dira-t-il, que ce soit sous la forme de réalisations actuelles où de pistes futures, s’effectue sur quatre niveaux distincts: académique, culturel, social et citoyen.
Au niveau citoyen et politique, enchaîne le père Daccache, l’USJ envisage de créer une chaire Philippe Salem et une Académie de formation à la citoyenneté qui est une contribution de l’USJ au changement et au désir de retrouver le vrai sens de la politique comme service de la société. Le lancement de cette Académie de formation à la citoyenneté a été marqué par une leçon magistrale de Joe Maïla; la première promotion des 35 étudiants y a achevé sa formation du diplôme universitaire d’engagement civique et de démarche citoyenne. Le recteur annoncera également le démarrage de la chaire Pierre Gannagé, ainsi que celui de la Chaire d’Amérique latine en direction de la diaspora et de la chaire Abbé Youakim Moubarac en direction du dialogue interreligieux. C’est lui-même qui la présidera, précisera-t-il.
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