Écoutez l’article

La Journée des martyrs de la presse libanaise, le 6 mai de chaque année, permet, certes, de rendre hommage à la mémoire de nos confrères tombés au champ d’honneur de la liberté d’expression et du devoir d’informer… Mais elle pourrait aussi, parallèlement au symbolisme de cette commémoration, fournir l’occasion de partager avec l’opinion publique et les milieux médiatiques une réflexion sur la fonction et le rôle du journaliste, dans toute leur dimension.

L’on a souvent tendance à oublier que le journalisme est un métier qui ne peut s’exercer dans un esprit de fonctionnariat, en considérant le professionnel qui assume cette vocation – car il s’agit bien d’une vocation – comme un simple employé, contraint de s’astreindre strictement à des horaires de bureau. D’aucuns pourraient relever d’emblée que, pour les gens du métier, une telle observation est sans doute vitale, mais elle ne concerne en rien l’opinion publique. Si cette réflexion mérite toutefois d’être soulignée à l’adresse du citoyen lambda, c’est en raison de son impact certain sur les différents aspects de la vie quotidienne, sur la vie politique, la bonne gouvernance et les pratiques démocratiques, d’une manière générale.

En clair, il ne s’agit pas simplement dans notre cas de figure de rapporter des faits ponctuels tels qu’ils se présentent, souvent de manière déformée et peu significative. Si, précisément, des journalistes sont tombés en martyrs, c’est parce qu’ils ont refusé de se limiter à cet aspect fortement réducteur du métier. Pour eux – comme pour de nombreux autres – leur mission revêtait une dimension beaucoup plus stratégique. Elle consistait (elle consiste toujours) à expliquer en profondeur l’actualité, certes, mais surtout à défendre des causes justes et nobles, à rapporter les débordements d’un occupant ou d’un agresseur (comme ce fut le cas ces derniers mois au Liban-Sud), à stigmatiser tout comportement répressif de la part d’une milice ou d’un pouvoir en place, à s’élever contre tout ce qui porte atteinte à la dignité de l’individu ou aux libertés publiques et individuelles.

Cette journée du 6 mai vise ainsi à rappeler, chaque année, que certains journalistes ont payé de leur vie leur ferme attachement à cet aspect particulier de leur métier. C’est sous cet aspect qu’il est opportun de rappeler que leur sacrifice concerne aussi directement tout citoyen qui endure ces mêmes maux dénoncés haut et fort, au fil des ans, par les martyrs de la presse.

Il y aurait aussi, d’une certaine façon et par extrapolation, une leçon de civisme à tirer de cette journée particulière du 6 mai… Une leçon de vie, en quelque sorte. En clair, il serait fortement souhaitable que le journaliste, à l’instar de tout citoyen, fasse l’effort de se doter d’un profond esprit critique afin de s’élever, à l’échelle nationale, contre toute occupation, tutelle ou tout comportement autocratique, et, à l’échelle de la vie quotidienne, contre la supercherie, l’opportunisme aveugle, l’arrogance, les attitudes irrespectueuses et toute posture qui bafoue intentionnellement, à des fins arrivistes, les compétences avérées, l’expérience et le savoir d’autrui.

En cette journée du 6 mai, c’est en réitérant l’attachement à ce fondamental esprit critique et à cet engagement à multiples facettes – combiné à une nécessaire honnêteté intellectuelle – que l’on honorera le martyre de ceux qui ont payé de leur vie leur détermination à dénoncer tout ce et tous ceux qui portent atteinte à la dignité, au bien-être et l’épanouissement de l’individu.