Écoutez l’article

 

Les mises en garde de l’envoyé spécial du président français, Emmanuel Macron, pour le Liban, Jean-Yves Le Drian, sont tombées dans l’oreille d’un sourd. Son double cri d’alarme portant sur "la disparition de l’État libanais" lors de la visite qu’il avait effectuée au Liban, en 2020, au lendemain de l’explosion dévastatrice au port de Beyrouth, le 4 août, ainsi que sur la disparition politique du Liban, lors de son dernier passage à Beyrouth, n’ont pas réussi outre mesure à ébranler la position de l’axe obstructionniste concernant la présidentielle. Lors de sa dernière visite au Liban, les 28 et 29 mai, M. Le Drian avait indiqué que le "Liban politique cessera d’exister, tant que la crise persiste et en l’absence d’un président de la République" et qu’il n’en restera que le "Liban géographique".

M. Le Drian faisait référence aux profondes divisions entre les différentes forces politiques qui refusent à faire des compromis ou à trouver un terrain d’entente en vue d’élire un président de la République. Un président qui "ne défiera aucune partie, œuvrera à combler ces clivages, établira des relations avec l’étranger, s’engagera à respecter la déclaration tripartite de New York (États-Unis, France et Arabie saoudite), adhérera à l’accord de Taëf, se conformera aux résolutions internationales et mettra en œuvre les réformes nécessaires". À son retour en France, le diplomate français remettra à M. Macron un rapport soulignant l’"insouciance" des dirigeants politiques libanais, alors que le pays risque de s’effondrer. Ce rapport constituera l’un des principaux points à l’ordre du jour du sommet franco-américain que tiendront Joe Biden et Emmanuel Macron, le 9 juin, à l’Élysée.

Avant l’arrivée de Jean-Yves Le Drian à Beyrouth, le chef du Parlement, Nabih Berry, avait fait part de son intention de maintenir sa proposition. Celle-ci consiste à organiser un dialogue national de sept jours qui sera suivi de séances parlementaires successives jusqu’à ce qu’un président de la République soit élu. Simultanément, le Hezbollah avait réitéré son soutien à la candidature de Sleiman Frangié. Une position qui a poussé un diplomate à se demander sur "l’intérêt du dialogue" et sur "les points sur lesquels il portera, tant que la formation pro-iranienne insiste sur la candidature de Frangié".

Plus encore, le tandem Amal-Hezbollah a voulu, via M. Le Drian, faire parvenir un message à la France et aux membres du Quintette (États-Unis, France, Arabie saoudite, Égypte et Qatar), selon lequel "la question présidentielle est étroitement liée à la résolution des problèmes régionaux". Aussi "aucune discussion sur n’importe quel sujet n’aura-t-elle lieu tant qu’un accord sur un cessez-le-feu à Gaza n’a été conclu".  Face à cette position ferme, toutes les initiatives, y compris celle du bloc de la Modération nationale, restent vaines.

La visite de M. Le Drian avait pour but d’évaluer la situation et d’alerter les partis politiques sur la gravité de la situation. Elle avait également pour objectif d’envisager un mécanisme pour l’élection d’un président qui sera accepté par les différentes parties. L’envoyé spécial a, en outre, souligné que sa visite s’alignait sur les efforts déployés par le Quintette. Il a insisté sur l’importance des consultations afin de résoudre l’impasse présidentielle, malgré les objections de l’opposition qui insiste à suivre le processus électoral, conformément aux dispositions de la Constitution.

Il convient de noter que l’axe de la moumanaa – le Hezbollah et ses alliés – bloquent l’échéance présidentielle pour servir des agendas externes et régionaux. Son objectif est de profiter de la vacance présidentielle pour récupérer ce qu’il a perdu à Taëf en capitalisant sur le nouvel équilibre des forces. En d’autres termes, cette faction cherche à modifier le système, la structure et la composition du pays afin de sécuriser davantage de pouvoirs, faisant fi de la détérioration qui en résulte et qui pourrait conduire à l’effondrement de l’État.

D’ailleurs, la visite de M. Le Drian est un dernier avertissement avant le potentiel effondrement total du Liban. L’appel au dialogue lancé par M. Berry a constitué un point de discorde majeur. Toutefois, le diplomate français a noté une souplesse dans la position du chef du Parlement, qui a évoqué des concertations plutôt qu’un dialogue, se ralliant ainsi à l’initiative du bloc parlementaire de la Modération nationale.

En réponse, l’opposition a demandé à M. Le Drian de veiller à ce que le discours tenu par M. Berry soit traduit en action. De son côté, le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, a exprimé sa "prudence" face au changement de position de M. Berry. Il a ainsi rappelé que le chef du Parlement s’était déjà prononcé en faveur de l’initiative de la Modération nationale, avant de revenir rapidement sur sa position, lorsque l’opposition l’a appuyée.

Pour l’opposition, le retrait de la candidature de Sleiman Frangié est considéré comme une étape cruciale vers une avancée dans le dossier de la présidentielle, tout comme le rejet du dialogue en tant que condition préalable à l’élection présidentielle et l’élection d’un président qui soit accepté par toutes les parties à partir d’une liste restreinte de candidats.

En revendiquant une prétendue victoire à Gaza, le camp dirigé par le Hezbollah chercherait à exploiter cette victoire au niveau local et régional, sous prétexte d’avoir "vaincu" une grande puissance régionale et une armée réputée pour être invincible.

Il n’en reste pas moins que dans les cercles politiques proches du Hezbollah, on souligne que la position de la formation pro-iranienne sera influencée par le résultat des élections américaines. Et pour cause, puisqu’une éventuelle élection de Donald Trump pousserait le Hezbollah à renoncer à la candidature de Sleiman Frangié et à accepter un règlement conforme aux conditions américaines. En revanche, si Joe Biden est réélu, la formation pro-iranienne poursuivra ses confrontations, durcira ses positions et reportera l’élection présidentielle.