Faut-il sacrifier le Liban pour retrouver la Palestine?

 
«Le patriarche maronite n’a pas à s’excuser», juge l’archevêque maronite émérite de Beyrouth, Mgr Boulos Matar. Pour avoir déclaré refuser, dans l'une de ses homélies, que le Liban-Sud devienne une rampe de lancement d’actions «terroristes», le tandem chiite exige des excuses du patriarche maronite. Il n’en est pas question, selon Boulos Matar, qui a rencontré le vice-président du Conseil supérieur chiite, cheikh Ali Khatib, pour lui expliquer le contexte qui justifie, aux yeux du chef de l'Église maronite, cette prise de position.
Le Hezbollah a créé au Liban-Sud une situation de non-droit potentiellement explosive, en prenant l’initiative unilatérale d’ouvrir les hostilités contre Israël, sans passer par les institutions, a affirmé en substance l’archevêque émérite. Est-ce une guerre préventive pour laquelle on cherche à faire passer ces hostilités en faisant valoir que l’armée israélienne se serait retournée de toute façon contre le Liban, après sa guerre à Gaza? Cette explication venue a posteriori ne convainc personne. En réalité, le Hezbollah a voulu créer un front de diversion pour alléger la pression sur Gaza et user le potentiel militaire d’Israël. L’histoire dira s’il a réussi son pari. Ce qui est certain, c’est qu’il s’est permis d’ouvrir la voie à une possible extension de la guerre à tout le Liban, qui aurait été dévastatrice et aurait créé une situation d’anarchie incontrôlable avec l’arrivée potentielle de renforts venus d’autres fronts de l’axe pro-iranien: Irak, Syrie et Yémen.
«Les propos du patriarche sont des propos généraux, confie l’archevêque à Ici-Beyrouth. Ils visent non pas des individus, mais des situations. Un texte doit être compris dans son contexte, et les propos d’un homme doivent être reliés à tout ce qu’il est et dit. On ne peut pas congédier à la légère les propos du patriarche, qui doit redoubler de vigilance dans l’état actuel d’affaiblissement de nos institutions, sans un président qui exigerait l’application des résolutions de l’ONU et protègerait le Liban de toutes les infiltrations».
Pour Mohammad Sammak, le Hezbollah et le mouvement Amal ont commis, sur le plan communautaire, l’erreur commise par les Sunnites au début de la guerre civile (1975-1990), «celle de céder à leurs sentiments, au détriment de l’unité interne des Libanais».

En fait, le véritable débat national est là.  Jusqu’où le Liban peut-il aller dans la solidarité avec le peuple palestinien? Jusqu’à sa propre destruction? Telle est la question soulevée par la parole, jugée «malheureuse» par la communauté chiite, du patriarche Raï.  Le Hezbollah a-t-il le droit de déstabiliser le Liban et de l’exposer à des risques mortels pour sa population et son économie? Tel devrait être le sujet d’un «dialogue national», s’il doit jamais s’ouvrir.  Par «terroriste», le patriarche a désigné une situation «subversive» potentiellement déstabilisante, voire dévastatrice. À bien y réfléchir, c’est en fait au Hezbollah de s’expliquer, faute de s’excuser. À la doctrine iraniene de l'anéantissement d'Israël s'oppose clairement l'attachement du Liban à l'accord d'armistice de 1949.
En revanche, l’archevêque maronite émérite de Beyrouth, Boulos Matar, admet que les élites maronites qui ont pris les rênes du pays «n’ont pas su gagner à leur cause les autres communautés, en particulier les chiites».
De fait, la communauté maronite, qui a reçu le privilège de la présidence du Liban, assume à ses yeux une part de responsabilité dans la disparité dans le développement et l’intégration interne des Libanais. Une disparité que seul le président Fouad Chéhab a tenté de corriger. Hélas, les institutions dont il doté le Liban ont été détournées par une oligarchie transcommunautaire qui a pillé le Liban et ruiné sa population. Et le «développement équilibré des régions», cet effort d’intégration nationale par la voie économique, refrain de tant de déclarations ministérielles, est resté une chimère jusqu’à nos jours. Ainsi, et à titre d’exemple, on attend depuis des années la création d’«autorités de régulation» pour le secteur de l’électricité ou celui du trafic aérien, pour leur permettre d’échapper au clientélisme et au népotisme. Cela, sans mentionner les autres secteurs en souffrance, comme celui de la Justice.
Pour en revenir à la question centrale de la guerre et au nom de l’impartialité dont il doit faire preuve comme gardien du vivre-ensemble, une commission formée de l’ancien député Farid Haykal el-Khazen, de l’archevêque maronite de Beyrouth, Boulos Abdel Sater et du responsable de l’information au siège patriarcal, Walid Ghayad, a été officiellement chargée de réparer la déchirure dans les rapports maronites-chiites provoquée par la déclaration du patriarche Raï.
Celle-ci saura-t-elle s’élever à la hauteur historique nécessaire pour soulever toutes les questions essentielles? Ira-t-elle à l’essentiel ou va-t-on s’enliser une fois de plus dans une phraséologie floue et perdre de vue, pour une unité de façade, les véritables problèmes?
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