"Jamais auparavant, nous n’avons assisté à autant de cafouillage au niveau de l’action judiciaire, à autant de suivisme vis-à-vis de la structure politique en place et à autant d’hésitation au niveau de la pyramide judiciaire, censée mettre un terme à ce désordre", a martelé le patriarche maronite Béchara Raï.

Le patriarche maronite Béchara Raï a tiré à boulets rouges sur la structure politique et judiciaire en place, dénonçant en des termes forts des abus qui ne font qu’accentuer la crise dans laquelle le pays est plongé. Il n’a pas épargné le président de la République, lorsqu’il a souligné l’importance des résultats des législatives libanaises pour l’élection d’un nouveau chef de l’État "qui soit à la hauteur du défi que commande le redressement du Liban". En d’autres termes, il a estimé que le président actuel, Michel Aoun, n’a pas été capable de gérer le pays. Le chef de l’Église maronite a aussi exprimé de fortes réserves au sujet de la formule proposée pour la loi sur le contrôle des capitaux et dénoncé encore une fois "les cafouillages judiciaires", en mettant les autorités compétentes devant leurs responsabilités. Il a notamment stigmatisé la cabale judiciaire contre les banques en s’interrogeant sur le point de savoir si elle s’inscrit dans le cadre d’une "lutte contre la corruption au contre les adversaires politiques" du régime.

L’homélie que Mgr Raï a prononcée à Bkerké était ainsi ponctuée de critiques indirectes contre le camp présidentiel, à qui le patriarcat maronite reproche une gestion inadéquate de plusieurs dossiers. Le patriarche a d’emblée affirmé que les élections ont pour but d’améliorer la situation d’un peuple, et sur cela il a souligné que "les candidats feraient mieux d’expliquer aux citoyens leurs programmes de reformes au lieu de se disputer entre eux, situation dont on a assez". Et de poursuivre: "Des législatives réussies sont la garantie d’une présidentielle réussie. Elles permettront ainsi l’élection d’un chef de l’État qui soit à la hauteur du défi que représente le redressement du Liban".

Il a parallèlement pressé le gouvernement d’entreprendre les réformes financières et économiques nécessaires, en relevant que la "vitesse de l’effondrement est inversement proportionnelle à la lenteur de la mise en œuvre de réformes". "L’élément le plus frappant à ce niveau concerne le projet de loi sur le contrôle des capitaux qu’on essaie de faire passer aujourd’hui, après l’assèchement des coffres des banques, alors qu’il aurait dû être approuvé dès 2019", a-t-il déploré. Il a relevé que ce texte aurait dû également faire partie d’un projet global de réformes et exprimé des réserves sur son contenu.

Ses réserves se rapportent notamment à la commission chargée de définir des mesures financières, dont il conteste la composition "communautaire" et le fait qu’elle "rogne les prérogatives de la Banque centrale". Pour le patriarche maronite, tant que la loi sur le contrôle des capitaux ne fait pas partie d’un plan général de réformes, "elle restera une épée de Damoclès brandie au-dessus de la tête des Libanais". Il a plaidé pour son amendement "de manière qui corresponde à la réalité du Liban, à son économie libre et aux besoins du peuple, sinon elle risque d’isoler le pays du réseau financier international, sans compter que les déposants, les investisseurs, les importateurs et tous les secteurs de la production en paieront le prix".

Et le prélat d’ajouter: "Il appartient aux dirigeants libanais d’expliquer au FMI la situation financière actuelle du Liban, et l’importance des transferts des expatriés qui protègent notre système bancaire libéral". "Si le Liban perd ses universités, ses médecins et ses banques, que restera-t-il du pays qui a toujours été réputé pour ses universités, ses hôpitaux et son système bancaire?", s’est-il interrogé.

Abordant ensuite les affaires judiciaires en cours, le chef de l’Église maronite a fait état de "soupçons accrus sur les procédures engagées par la magistrature, devenue un instrument utilisé par le pouvoir politique contre la justice". "Nous sommes en droit de nous poser la question de savoir si nous sommes devant une lutte contre la corruption ou contre les adversaires politiques, a insisté le patriarche. Comment se fait-il que l’autorité judiciaire n’ait toujours pas tranché dans l’affaire de l’explosion au port de Beyrouth? Pourquoi ne s’est-elle toujours pas prononcée sur les recours prononcés contre le juge d’instruction (Tarek Bitar), afin qu’il puisse poursuivre son enquête. Pourquoi l’Inspection judiciaire ne planche-t-elle pas sur les dossiers des magistrats qui lui avaient été présentés", en allusion aux recours contre la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, proche du camp présidentiel et engagée dans une cabale contre le secteur bancaire.

"Jamais auparavant, nous n’avons assisté à autant de cafouillage au niveau de l’action judiciaire, à autant de suivisme vis-à-vis de la structure politique en place et à autant d’hésitation au niveau de la pyramide judiciaire, censée mettre un terme à ce cafouillage", a conclu Béchara Raï.

" Non à une rallonge du mandat Aoun "

Dans une interview accordée en soirée à la LBCI, le patriarche est revenu sur les thèmes abordés le matin dans son homélie. Il a dénoncé une " justice politisée et sectaire ", plaidant pour le respect du principe de la séparation des pouvoirs. " J’avais appelé dans le passé à une enquête au sujet de la Banque du Liban et de toutes les administrations et les caisses autonomes. Mais qu’on poursuive une seule personne et qu’on ferme les yeux sur toutes les autres est inadmissible ", s’est-il indigné.

Interrogé au sujet du sexennat et de la présidentielle prévue avant le 31 octobre prochain, Mgr Raï a estimé qu’il faut " dès à présent déterminer les candidats potentiels à la magistrature suprême, afin qu’il soit possible d’opter pour un président capable de prendre les choses en mains ". Il s’est prononcé dans ce contexte de nouveau contre un renouvellement du mandat Aoun en soulignant que la Constitution ne prévoit pas ce cas de figure. " Nous devons élire un nouveau chef de l’Etat deux mois avant la fin du mandat ", a-t-il insisté.

Mgr Raï a refusé d’évaluer le mandat du président Aoun. " Qu’il l’évalue lui-même ", a-t-il lancé. Ses propos recelaient des critiques indirectes contre Michel Aoun mais cette fois c’est le concept de président fort, cher au CPL, qu’il a déconstruit. " Le président fort, a fait remarquer le chef de l’Église maronite, est celui est impartial. Si nous trouvons une personnalité pareille, je pourrai alors annoncer : Le voilà le président fort ".

Il a par ailleurs relevé que " le chef de l’Etat au Liban n’a pas de prérogatives lesquelles sont concentrées aux mains du gouvernement qui ne forme pas une entité homogène. C’est pour cette raison qu’il n’est pas possible de prendre de décisions et que la partie qui détient les armes gouverne ", en allusion au Hezbollah. Il s’est prononcé pour un amendement des clauses de l’accord de Taëf afin de remédier à cette lacune, avant de relever qu’ " une entente ne signifie pas qu’une partie peut se permettre de provoquer des troubles dans le pays si une décision adoptée ne lui plaît pas ". " Certains dénaturent les concepts d’entente et de démocratie ", a-t-il martelé dans une nouvelle allusion au Hezbollah.

Il s’est prononcé encore une fois contre une prolongation du mandat de la Chambre.  " Le temps du blocage des routes est révolu. Il faut que les Libanais votent pour les candidats dont l’allégeance va au Liban et qui ne briguent pas un siège parlementaire pour s’enrichir ", a soutenu Mgr Raï.

Concernant les propos du chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, qui avait plaidé pour " une Parlement à l’image de la Résistance ", le patriarche a été catégorique en affirmant " refuser que l’image du Liban soit changée ". " Mais, a-t-il poursuivi, je suis d’accord avec lui lorsqu’il déclare que personne, aussi haut placé soit-il ne peut gouverner seul le Liban ". C’est ce que M. Raad avait indiqué le matin au cours d’un meeting électoral de sa formation au Liban-sud.

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