Dans les différents milieux politiques, on a suivi avec grand intérêt l’iftar auquel le secrétaire général du Hezbollah avait invité vendredi soir les chefs des Marada Sleiman Frangié et du Courant patriotique libre (CPL) Gebran Bassil. L’initiative s’explique par une volonté de la formation pro-iranienne de souder les rangs du 8 Mars, qui avait implosé dans le sillage du soulèvement du 19 octobre 2019 et des bouleversements politiques qui l’ont suivi.

Si au cours des deux dernières années, le Hezbollah a laissé le froid s’installer entre ses alliés, limitant ses interventions à un rabibochage minimum, les enjeux d’une reconstitution du 8 Mars semblent essentiels à ses yeux aujourd’hui, à l’approche des échéances électorales, alors qu’un front arabo-occidental commence à prendre forme en face de lui, avec tout ce que cela peut impliquer sur le plan politique local.

Après plus de deux années d’un immobilisme local mortel, les choses ont commencé à bouger politiquement au Liban, à partir du moment où la France et l’Arabie saoudite notamment ont relancé leurs efforts conjoints en faveur du pays.

Le retour de ambassadeurs d’Arabie saoudite Walid Boukhari et de Koweit Abdel Soleiman el-Qinai à Beyrouth, et surtout la qualité des convives à l’iftar politique donnée par M. Boukhari lundi en sa résidence à Yarzé sont autant de signes indicateurs d’un changement substantiel au niveau de la diplomatie arabe et occidentale par rapport au Liban. Un changement qui dépasse incontestablement le cadre humanitaire dans lequel le retour des ambassadeurs arabes a été situé. Et cela, le Hezbollah l’a très bien compris.

Sa contre-attaque intervient à deux niveaux: elle a commencé à travers le discours électoral de ses candidats, à partir du moment où les premiers signes d’un dégel au niveau des relations de Beyrouth avec les pays du Golfe ont commencé à apparaître et où le chef du gouvernement Nagib Mikati et son ministre de l’Intérieur Bassam Maoulaoui se sont mis à faire barrage fermement aux campagnes du parti chiite contre les monarchies de la péninsule arabique. La formation pro-iranienne, considérée par de nombreux Libanais comme faisant partie de la structure politique responsable de la décrépitude de l’État et de l’effondrement financier et politique du pays, a ciblé exclusivement les États-Unis et leurs alliés au Liban, en présentant la bataille électorale dans le contexte d’une guerre qu’ils lancent contre l’axe qu’ils représentent.

Elle ne pouvait pas cibler Riyad dont le retour au Liban était officiellement placé sous le signe d’une relance de l’initiative franco-saoudienne humanitaire en faveur du Liban et dont la contribution est fondamentale à la mise en œuvre d’un plan de relance économique et financier. Le ton des critiques adressées par Hassan Nasrallal à l’adresse de l’Arabie saoudite, lors de son discours télévisé lundi, étaient bien en deçà de celui de ses attaques au vitriol habituelles contre le royaume wahhabite, même si le chef du Hezbollah n’a pas caché son exaspération face au réengagement saoudien au Liban. Il les a concentrées au volet électoral, se contentant de dénoncer " un flot d’argent saoudien ", destiné selon lui à assurer la victoire du camp du 14 Mars.

Le second niveau se rapporte à une recomposition du camp du 8 Mars face à ses adversaires politiques. Celle-ci est fondamentale pour la formation pro-iranienne qui cherche à resserrer davantage son emprise sur le pays et qui ne cache pas pour cela sa détermination à obtenir une majorité confortable à la Chambre, avec son allié, le CPL, surtout que ce parti chrétien ne peut espérer un groupe parlementaire décent qu’avec le levier des voix chiites.

L’iftar autour duquel Hassan Nasrallah a réuni Sleiman Frangié et Gebran Bassil donne le " la " à ce niveau. Le chef du Hezbollah a choisi le jour de l’arrivée de Walid Boukhari à Beyrouth pour réunir les deux chefs maronites rivaux et sa formation a fait exprès d’ébruiter l’info et de faire publier la photo des deux hommes, sans le reste des convives. On ne sait toujours pas qui était invité à ces agapes en dehors bien entendu des partisans du tandem chiite.

Celles-ci devraient être suivies d’autres, regroupant cette fois autour d’une même table, le président de la Chambre Nabih Berry et Gebran Bassil qui a déjà fait savoir que son groupe ne votera pas en faveur d’une reconduction de M. Berry à la tête du nouveau Parlement, passé le scrutin du 15 mai. Dans les milieux proches du CPL, on s’abstient d’infirmer ou de confirmer une participation de M. Bassil à un iftar avec Nabih Berry, même si leurs formations respectives sont engagées dans la bataille électorale avec le Hezbollah sur les mêmes listes, sauf dans la circonscription de Jezzine-Jbeil (Liban-sud I)

Pour l’heure, le Hezbollah n’a réussi aucune percée significative sur le plan du rétablissement du 8 Mars. Même Sleiman Frangié continue de soutenir qu’il n’existe pas de problèmes personnels avec les dirigeants du CPL mais qu’il est nécessaire de faire la distinction entre les divergences politiques et les conflit personnels. Une distinction qui l’a poussé à exiger que les retrouvailles avec Gebran Bassil se déroulent après la clôture du délai officiel pour l’enregistrement des listes électorales, afin que celles-ci ne soient pas interprétées comme une volonté de sceller des alliances électorales avec le parti fondé par le président Michel Aoun.

Les efforts du Hezbollah devraient s’intensifier après les élections, comme il lui reste beaucoup de pain sur la planche. Car, en plus de rapprocher les "chefs ennemis", cette formation doit s’employer à ramener dans le giron du camp dont il tire les ficelles certaines formations alliées, dont notamment le Tachnag qui a tourné le dos au CPL dans le Metn (Mont-Liban I) pour s’engager dans la bataille électorale sur la liste de Michel Élias Murr, ou encore l’Organisation populaire nassérienne d’Oussama Saad, qui lui a bel et bien rompu les ponts avec le Hezbollah.

La formation pro-iranienne entend toujours avoir la majorité à la Chambre, grâce à ses alliances, en raison de l’importance du choix du successeur de Michel Aoun au moment où les changements substantiels se succèdent dans la région et dans le monde. Elle veut barrer la voie à une résurgence du 14 Mars face au projet iranien qu’elle défend et empêcher que cette coalition, soutenue à ses yeux par l’Arabie saoudite, la France et les États-Unis ne lui impose un nouveau président ou des choix économiques et financiers auxquels elle s’oppose.