Le retour à Beyrouth de l’ambassadeur d’Arabie saoudite, après cinq longs mois d’absence, continue de faire couler beaucoup d’encre. Plusieurs lectures sont données du timing, à un mois de l’échéance électorale dont l’issue sera déterminante pour l’avenir du Liban.

Quelles qu’elles soient, ces lectures convergent toutes vers l’échéance électorale. L’une d’elles est en rapport direct avec la rue sunnite, et plus particulièrement la base électorale du chef du Courant du futur, Saad Hariri, que l’ancien Premier ministre, Fouad Siniora, essaie de mobiliser après le désengagement politique et électoral du premier. Fouad Siniora s’était activé pour former des listes électorales dans plusieurs régions afin de combler le vide laissé par le retrait de Saad Hariri de la course électorale, s’attirant les foudres des cadres et de la base haririens.

Une semaine avant son arrivée vendredi à Beyrouth, M. Boukhari, qui se trouvait encore à Riyad, a appelé Fouad  Siniora pour lui présenter ses voeux à l’occasion du début du mois du Ramadan. Cet appel avait aussi suscité moult interprétations. La question était de savoir pourquoi Siniora, lui seul parmi toutes les personnalités sunnites au Liban, a bénéficié de cette marque d’attention. Riyad aurait anticipé le retour de M. Boukhari au Liban pour adresser un message à qui de droit et souligner ainsi que l’Arabie saoudite porte une attention particulière à sa relation avec Siniora. Par conséquent, s’il y avait encore des doutes sur la personnalité qui constitue une priorité pour l’Arabie saoudite en cette période pré-électorale, cet appel les avait bel et bien dissipés.

Quiconque suit d’ailleurs de près les efforts qui avaient été déployés par Siniora pour peaufiner les listes électorales qu’il a parrainées, notamment à Beyrouth II, se serait vite aperçu de l’intérêt que ce dernier accorde au soutien arabe en général, et à celui des pays du Golfe en particulier, afin de dissiper la perturbation causée par l’absence de Saad Hariri de la scène politique libanaise.

Au cours des dernières semaines, tout laissait penser que la communauté sunnite se désintéressait des élections, d’autant qu’elle manquait cruellement du soutien arabe traditionnel, sous prétexte que rien n’est à espérer des élections en raison de l’influence du Hezbollah, qui ne serait pas affectée par les résultats quels qu’ils soient. Seul Fouad Siniora était allé à contre-courant, mettant en garde contre les conséquences du repli sunnite et de la non-participation de la communauté au prochain scrutin. Il devait rappeler sans relâche que cela "permettra au Hezbollah de contrôler les deux tiers des sièges au nouveau Parlement, de former le nouveau gouvernement à sa mesure, de faire accéder un président de son choix à la tête de la République et d’amender la Constitution afin de légaliser complètement ses armes".

Quel est l’impact du retour des ambassadeurs du Golfe à Beyrouth, notamment l’ambassadeur saoudien? À cette question, Siniora répond à Ici Beyrouth: "Ce retour est très révélateur d’un changement qui s’est opéré. Les frères arabes ont pris conscience de l’importance d’un retour du Liban dans le giron arabe et l’action qu’ils mènent aujourd’hui confirme le retour du pays à son environnement naturel". Et d’ajouter: "L’arrivée des diplomates arabes à un mois des législatives et quelques mois avant la présidentielle est, à mon sens, tout à fait naturelle et nécessaire pour le Liban. C’est le sésame que nous devons utiliser pour renforcer encore davantage les relations étroites entre le Liban et ses frères arabes." En d’autres termes, il considère qu’il s’agit d’une deuxième chance donnée aux autorités officielles pour concrétiser leur discours relatif à leur détermination à ne rien laisser perturber les rapports du pays avec les monarchies du Golfe. Une détermination affirmée à plusieurs reprises par le chef du gouvernement, Najib Mikati, et le ministre de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui.

Dans ce contexte, il faudra surveiller la position du Hezbollah et sa réaction à long terme au retour des ambassadeurs des pays du Golfe à Beyrouth en cette période électorale. Son chef, Hassan Nasrallah, l’a critiqué dans son discours, lundi dernier, estimant qu’il est lié à un financement des opposants à son parti pour empêcher celui-ci d’accéder au Parlement. Il n’a pas dépassé ce seuil dans ces critiques, alors que dans le passé il se déchaînait contre l’Arabie saoudite. C’est cette analyse qui est également relayée dans les milieux médiatiques proches du parti, où l’on répète que ce retour vise à "soutenir ce qui reste du camp du 14 mars et les groupes de la société civile face à la coalition du Hezbollah, de ses alliés et du Courant patriotique libre, dans le but d’ouvrir des brèches significatives dans les murs dressés par les partis affiliés à la résistance aux élections". On lui attribue aussi la volonté d’affaiblir le Hezbollah et le Courant patriotique libre dans leurs milieux respectifs, dans la perspective des prochaines échéances politiques, afin de réduire drastiquement leurs chances d’imposer un nouveau Premier ministre, de contrôler la formation d’un nouveau gouvernement et d’imposer un président de la République en octobre prochain.

Dans les milieux proches du Hezbollah, il ne fait aucun doute qu’une nouvelle phase a débuté avec le retour des ambassadeurs des pays du Golfe à Beyrouth. L’une des caractéristiques majeures de cette nouvelle phase est que le président Siniora constitue une priorité déclarée dans les intérêts de Riyad, pour qui la mobilisation de l’ensemble de la communauté sunnite, dans la perspective des élections de mai, est fondamentale.