L’armée a réussi à sauver 45 personnes. Six personnes sont décédées. La famille Dandachi accuse les garde-côtes de l’armée d’avoir percuté l’embarcation.

La colère grondait dimanche matin à Kobbé à Tripoli, après le naufrage samedi en soirée au large de Tripoli d’une embarcation avec à son bord plus de 70 passagers clandestins, dont près de 35 personnes de la région al-Bakkar de Kobbé. Quarante-cinq passagers ont été sauvés par des unités de l’armée, a déclaré le commandant des forces navales, le général Haitham Dennaoui, lors d’une conférence de presse pour expliquer les circonstances du drame. Au total, six corps ont été repêchés au nombre desquels celui d’une fillette d’un an et demi, a-t-il précisé, affirmant que les opérations se poursuivaient à la recherche de personnes portées disparues.

"L’embarcation a été fabriquée en 1974, a expliqué le général Dennaoui. Elle est petite, faisant 10 mètres de long et 3 mètres de large. Elle est autorisée à transporter dix personnes. Elle n’était pas équipée de matériel de sauvetage, dont les gilets. Le naufrage était inévitable."

Le général Dennaoui a en outre expliqué que les forces navales ont essayé d’empêcher les passagers clandestins "de monter à bord de l’embarcation, mais ils ont été plus rapides que nous". "Deux patrouilles des forces navales à bord d’une navette et d’une embarcation ont alors suivi la barque", a-t-il poursuivi. Vu que "la charge de la barque était 15 fois supérieure au poids autorisé" et "les conditions climatiques étaient moyennes, "il était inévitable que la barque coule".

"Malheureusement, le pilote de la barque a tenté des manœuvres pour échapper à la navette, a déploré le général Dennaoui. Mais il s’est cogné contre la navette et contre notre embarcation qui est également vieille et formée de fibre de verre." "Donc nous ne pouvions pas prendre le risque de le mettre en danger au risque de le faire couler. Cela était hors de question. Il était également hors de question de recourir aux armes, a-t-il affirmé. Nous avons des images qui montrent le flanc percuté à deux reprises de la navette, alors que le front était resté intact", a-t-il ajouté coupant court aux accusations lancées par des familles de naufragés, accusant l’armée d’avoir percuté l’embarcation causant le naufrage ou encore d’avoir ouvert le feu sur les passagers.

En effet, plus tôt dans la journée, la tribu Dandachi de Kobbé avait accusé "les garde-côtes de l’armée" d’avoir percuté l’embarcation, ce qui a causé le naufrage. Reprochant au commandement de l’armée de n’avoir pas "formé rapidement une équipe marine spécialisée pour rechercher les autres naufragés qui auraient été encore en vie", la tribu Dandachi a dans un communiqué appelé les forces de sécurité et le commandement de l’armée à "ouvrir une enquête" en toute transparence pour tirer au clair les circonstances de ce drame "et pour éviter toute falsification des faits et de la vérité" d’autant que l’opinion publique est déjà au courant des faits d’après ce que les rescapés et les témoins ont raconté. "Nous réclamons les droits de nos parents, fils et de tous les naufragés et appelons à demander des comptes à l’officier qui a donné les ordres" aux garde-côtes.

Exploitation politique

Le général Dennaoui a expliqué en outre que la surcharge de l’embarcation et le fait d’avoir percuté la navette a entraîné des fissures dans la barque. "Celle-ci a donc coulé rapidement, en moins de 5 secondes, a-t-il souligné. Si les navires des forces navales n’étaient pas à proximité de l’embarcation, ils auraient tous péri. Ils ont jeté tous les gilets de sauvetage qui étaient à bord de leurs navires dans l’eau, ce qui a permis de sauver les 45 passagers."

"Malheureusement, nous sommes en période électorale et de nombreuses parties essaient d’en profiter pour lancer des accusations arbitraires", a constaté le général Dennaoui, mettant en garde contre "toute tentative d’immigration clandestine, l’armée disposant désormais de radars permettant de repérer les moindres opérations illégales".

Dans un communiqué publié plus tôt en matinée, le commandement de l’armée avait souligné avoir arrêté R. M. A., soupçonné d’être impliqué dans cette opération clandestine. À ce sujet, le général Dennaoui que celui-ci était incapable d’avancer un chiffre exact du nombre des personnes qui étaient à bord de l’embarcation, vu que trois groupes différents ont été formés par trois passeurs différents.

Échauffourées avec l’armée

Peu après la conférence de presse, les habitants de Tripoli sont descendus dans la rue et des échauffourées ont eu lieu dans l’après-midi entre des unités de l’armée et des familles de naufragés qui avaient lancé des injures à l’encontre du ministre des Affaires sociales, Hector Hajjar, dépêché par le Premier ministre Najib Mikati, sur les lieux.

Les familles des victimes ont par ailleurs demandé à tous les ministres et députés de la région de quitter la capitale du Liban-Nord, menaçant de recourir à l’escalade.

C’est dans ce cadre que les tensions ont atteint leur paroxysme au barrage d’el-Rifa – Tripoli entre des proches des victimes et des habitants de Tripoli d’un côté et les forces de l’armée de l’autre côté, ainsi qu’aux alentours de la résidence du ministre de l’Intérieur Bassam Maoulaoui, où la route a été coupée, et dans le périmètre de l’hôpital gouvernemental de Tripoli. À Kobbé, des pierres ont été lancées en direction du club des officiers a été pris d’assaut par des habitants de la région.

En fin d’après-midi, les habitants furieux déchiraient les portraits des hommes politiques et des candidats aux législatives. Ils ont également coupé à l’aide de pneus enflammés plusieurs routes de Tripoli. L’autoroute menant de Tripoli au Akkar a également été coupée à l’aide de voitures, ainsi que la route Cola-Kaskas, à Beyrouth, en guise de solidarité avec les familles des naufragés.

Ce n’est qu’en début de soirée que le calme a commencé à regagner progressivement Tripoli, les jeunes s’étant retirés des rues et l’armée s’étant déployée en force.

Les urgences de l’hôpital gouvernemental de Tripoli ont été saccagés par des proches de naufragés en colère.
Photo SawratCom

" Génocide "

Réagissant au drame, le chef de l’État Michel Aoun a appelé les autorités judiciaires et militaires concernées à ouvrir une enquête pour tirer au clair les circonstances du drame. Même son de cloche chez le président de la Chambre, Nabih Berry, qui a exhorté les autorités sécuritaires et judiciaires compétentes "à mener leur enquête dans les plus brefs délais et en toute transparence", comme à imposer aux auteurs du crime les sanctions les plus sévères. Quant au Premier ministre Najib Mikati, qui a suivi les opérations de sauvetage de près, il a appelé les citoyens à "ne pas tomber dans le piège des gangs qui exploitent les conditions sociales" pour leur proposer des voyages illégaux.

De son côté, le ministre de l’Intérieur, Bassam Mawlawi, a affirmé sur son compte Twitter qu’il poursuivra "les investigations jusqu’à faire la lumière sur la vérité". "Nous voulons la justice, la responsabilité et une enquête effectuée de manière transparente, qui sera acceptée par les proches des victimes, a-t-il ajouté. Nous œuvrerons pour rendre justice à notre ville qui a été longtemps démunie, malgré tous ses sacrifices offerts pour le pays."

Pour sa part, l’ancien Premier ministre Saad Hariri a appelé à l’ouverture "d’une enquête rapide qui révèlerait les circonstances et déterminerait les responsabilités". Les Libanais vivent à l’ombre "d’un État failli", a écrit M. Hariri sur son compte Twitter, soulignant que le citoyen "a recours aux navires de la mort pour fuir au péril de sa vie l’enfer de l’État". Et l’ancien chef de gouvernement d’ajouter, qu’à travers ses victimes Tripoli annonce cette déchéance de l’État. "Les victimes du bateau de la mort témoignent de la gravité de la situation. Nous n’accepterons pas qu’elles soient abandonnées au fond de la mer face à la ville", a-t-il martelé.

Le naufrage a également été déploré par de nombreuses autres personnalités notamment le ministre de la Défense, Maurice Slim, l’ancien Premier ministre Tammam Salam, l’ancien ministre, Achraf Rifi, et Fayçal Karamé, député sortant de Tripoli et candidat aux prochaines législatives, qui a fait assumer "à l’État et au gouvernement la responsbailité" du naufrage, soulignant que "l’État, volontairement ou involontairement, est en train de mener un génocide à l’encontre les Libanais ".

 

Route coupée à l’aide de pneux enflammés dans la région al-Bakkar à Kobbé.
Photo SawratCom