La Chambre se réunira jeudi à 14h afin d’examiner une motion de censure présentée par le groupe des députés des Forces libanaises contre le ministre des Affaires étrangères Abdallah Bou Habib, dont le département est soupçonné d’avoir manipulé la répartition des électeurs sur les bureaux de vote en Australie pour empêcher une partie d’entre eux, notamment les partisans des FL, d’exercer leur droit de vote.

Mais les enjeux liés à la démarche des Forces libanaises (à laquelle le président du Parlement Nabih Berry avait rapidement donné une suite favorable en convoquant un débat de politique générale) sont multiples et sont directement liés aux bras de fer et à la polarisation politiques qui se sont amplifiés au fur et à mesure que la date des législatives et de la présidentielle approchait.

Le Palais de l’Unesco où la réunion parlementaire se déroulera jeudi risque de ce fait de se transformer en une arène pour un combat de coqs au cours duquel chaque partie va essayer de neutraliser l’autre par un knock-out politique. Les Forces libanaises sont bien déterminées à questionner le ministre, proche de leur rival chrétien, le Courant patriotique libre (CPL) en perte de vitesse au plan populaire, au sujet des manœuvres visant à disséminer les voix des électeurs en Australie où les FL disposent d’une forte assise populaire, pour les décourager et réduire ainsi le nombre de votants.

Ils gardent en tête l’expérience déplaisante des "urnes perdues" de 2018 provenant comme par hasard des bureaux de vote où les voix des électeurs FL étaient prépondérantes, notamment en Australie. La fraude, selon eux, se prépare aujourd’hui en amont, même si le ministère s’est défendu de toute tentative de manipulation. Celui-ci avait expliqué que le consulat à Sydney s’était contenté de retranscrire les adresses et les codes postaux qui lui étaient parvenus et que c’est sur la base de ces données que la répartition sur les bureaux de vote s’était opérée. Abdallah Bou Habib devait réitérer ces explications lors d’une réunion centrée sur cette affaire et convoquée par le chef de gouvernement Nagib Mikati, en présence du ministre de l’Intérieur Bassam Maalaoui.

Le CPL avait réagi en accusant le parti de Samir Geagea d’"exploitation politique et électorale d’une affaire montée de toutes pièces, en dépit des clarifications du ministère des Affaires étrangères et du gouvernement". Ils lui ont aussi attribué la volonté d’utiliser la question du vote des expatriés pour "mener campagne contre le régime et contre le chef du CPL Gebran Bassil, en l’accusant d’être le commanditaire de la dissémination inopportune des électeurs libanais d’Australie".

Un nouveau bras de fer se joue aujourd’hui entre les deux partis chrétiens. Alors que des proches des FL expliquent que ce parti a voulu par sa démarche corriger une erreur qui a été commise, le CPL pourrait essayer de la tourner à son avantage, indique-t-on de sources parlementaires. Selon ces sources, Gebran Bassil pense détenir maintenant une carte en mains qui l’aiderait à régler des comptes politiques, en coinçant aussi bien les Forces libanaises que Nagib Mikati, ou encore Nabih Berry. Le CPL en veut au Premier ministre qui s’oppose à ce que des nominations administratives, diplomatiques et judiciaires qu’il souhaite effectuer sans tarder, soient approuvées par le gouvernement avant les élections. Un proche de Gebran Bassil confie que ce dernier est pour que Abdallah Bou Habib pose la question de confiance.

Selon l’article 66 de la Constitution, les ministres "sont solidairement responsables devant la Chambre des députés de la politique générale du gouvernement et individuellement de leurs actes personnels".

En d’autres termes, le sort de l’équipe Mikati est en jeu car si le chef du gouvernement se désolidarise de son ministre, le gouvernement risque de sauter et si les ministres refusent que Abdallah Bou Habib pose la question de confiance et se montrent solidaires avec lui, il serait demandé au cabinet dans son ensemble de poser la question de confiance. Si Abdallah Bou Habib et le gouvernement restent, les FL auraient perdu, ce qui risque de se répercuter négativement sur elles au niveau électoral. Dans tous les cas, les FL et le président de la Chambre, avec qui les relations du CPL sont mauvaises, seraient piégés car ils ne voudraient en aucun cas que le gouvernement  tombe ou chancelle, ce qui rendrait service à Gebran Bassil, qui en veut aussi à Nagib Mikati parce qu’il a fait barrage selon lui au limogeage du gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé et au plan de l’électricité tel qu’il a été conçu par son équipe.