Avec l’augmentation draconienne du prix des abonnements aux générateurs électriques, il va bientôt falloir vendre un bras pour avoir un peu de courant. Ce mois d’avril, les 5 ampères devraient atteindre les 150 dollars. Une situation qui va pousser une partie de la population à se retrouver dans le noir, incapable de payer.



L’absence de scrupule des propriétaires de générateurs est sans limite. Non contents de ponctionner chaque mois une partie importante du budget des ménages, ils sortent désormais les menaces. "Payez nos tarifs ou retrouvez-vous dans le noir", ont-ils annoncé ces derniers jours à une population plus que jamais prise en otage. Pas un habitant ne souhaiterait se passer d’eux. Mais comment faire, quand l’État ne fournit que quelques heures d’électricité par jour?

Au mois d’avril, les tarifs des générateurs ont explosé. Se basant sur les tarifications publiées par le ministère de l’Énergie, les propriétaires des générateurs qui rechignent à installer des compteurs envisagent de faire payer 150 dollars les 5 ampères à Beyrouth. À Tripoli, ils en réclament 250, selon un habitant de la ville. En monnaie américaine. Payer l’équivalent en livres libanaises selon le taux de change du jour sur le marché noir risque de devenir l’exception.

Pour expliquer leur insatiable avidité, les propriétaires de générateurs avancent l’excuse de la hausse du prix du mazout, qu’ils doivent évidemment répercuter sur les tarifs du kilowatt. Un argument qui passe de plus en plus mal auprès de la population, qui en majorité ne pourra plus payer son électricité.

Traiter avec des "mafieux"
"Nous avons 11 heures d’électricité par jour. Et quasiment rien pendant la nuit, ce qui est embêtant en cette période de ramadan. Ils sont sensés nous fournir deux heures le matin de 4h à 6h, mais depuis quelques temps ils rognent 5 minutes chaque jour, ce qui fait qu’ils coupent désormais vers 5h20!", se désole un habitant de Tripoli, contacté par téléphone. "Nous avons vraiment l’impression de traiter avec des mafieux, poursuit-il. Nous n’avons pas le droit de changer de fournisseurs. Ils nous mettent la pression si nous essayons de le faire. Je connais des gens qui ont retrouvé certains de leurs équipements électriques endommagés après qu’ils aient résilié leurs contrats."

Traiter avec des "mafieux", avoir l’impression de "se faire sacrément avoir". Telles sont les impressions qui reviennent souvent lorsque les générateurs sont évoqués. "Ce n’est pas logique, lance une habitante de Hamra, à Beyrouth. En 2021, je payais 250 dollars tous les deux mois pour 25 ampères. Depuis début 2022, je paie la même chose, mais tous les mois, et en dollars frais obligatoirement. Le mois dernier, j’ai payé 250 dollars pour deux semaines!"

Elle raconte que dans l’immeuble, personne n’a de compteurs. "Nous payons les ampérages, souligne-t-elle. J’ai franchement l’impression de payer pour ceux qui consomment le plus. Nous avons eu une réunion récemment avec tous les voisins. J’ai demandé l’installation de compteurs. L’un d’eux a refusé. Il fait partie de ceux qui consomment énormément avec sa grande famille. C’est vraiment injuste. C’est comme si je me faisais voler."

Même constat chez une autre habitante de Hamra. "Dans mon quartier, le propriétaire des générateurs ne veut surtout pas installer de compteurs. C’est frustrant, parce que nous n’avons aucun recours pour les pousser à le faire", s’indigne-t-elle.

Les compteurs, une obligation légale
La loi oblige en fait tout propriétaire de générateur à installer un compteur pour chaque client. Mais comme beaucoup d’autres, cette obligation légale n’est pas respectée. Ainsi, le ministère de l’Économie ne compte que 15 inspecteurs aptes à effectuer des contrôles… sur l’ensemble du territoire.

"Dans le quartier, personne ne veut mettre de compteur", confie le responsable d’une compagnie de générateur à Achrafieh. "Le propriétaire a dit qu’il allait en installer, mais personne n’y croit. S’il le fait, les gens ne paieront que ce qu’ils consomment. Leurs factures baisseront et il récupèrera moins d’argent. D’une manière ou d’une autre, les compteurs devraient être obligatoires. Tout le monde paie beaucoup trop cher pour l’électricité!", constate-t-il.

À Achrafieh toujours, les clients se demandent comment ils vont pouvoir continuer à payer. "Quand je suis arrivé dans le quartier il y a quelques mois, je payais 2 millions pour 10 ampères. Maintenant c’est 4 millions, et nous avons de moins en moins d’électricité, à peine une dizaine d’heures", raconte un habitant. "J’ai la chance d’être payé en dollars. Donc je peux me le permettre, mais je ne sais vraiment pas comment font les autres…".

De rares chanceux
Quelques rues plus loin, un autre riverain a eu la chance de pouvoir se faire installer un compteur. "Le fournisseur classique était vraiment mauvais, confie-t-il. Nous avions toujours des problèmes. L’électricité sautait tout le temps… quand on en avait! Je suis passé chez quelqu’un d’autre qui m’a mis un compteur. La facture a bien chuté: autour de 2 millions pour une quinzaine d’heures avec 10 ampères. Avec l’augmentation des prix du mazout, l’addition va être un peu plus salée, mais ce sera toujours mieux qu’avec les autres."

Dans le quartier, plusieurs personnes racontent qu’elles, ou certains de leurs proches, ont déjà décidé qu’ils ne paieront pas la prochaine facture, quitte à se priver définitivement de ce mal nécessaire qu’est devenue l’électricité des générateurs.

"Le patron m’a dit qu’il allait couper l’accès au générateur à tous ceux qui ne paient pas. Ce mois-ci, on va perdre la moitié de nos clients, soit environ 150, explique le responsable de la compagnie de générateur. Récemment, les 5 ampères étaient passés à 2 millions, ce qui était déjà énorme. Avec tout ce qui se passe dans le pays, personne ne peut plus se payer l’électricité, c’est vraiment triste. Quelle situation difficile."

Après l’argent, la politique
Pour certains propriétaires de générateurs, l’avidité ne s’arrête pas à l’argent. Deux d’entre eux ont décidé de se présenter aux élections législatives. À Beyrouth I, Chamoun Chamoun fait partie d’une liste parrainée par le Courant patriotique libre, un parti qui promet de rendre au pays son électricité. Assez paradoxal, vu que depuis plus d’une décennie, les ministres de l’Énergie relèvent de ce parti. Quant au candidat, il refuse systématiquement l’installation de compteurs et continue de proposer des prix exorbitants.

À Baabda (Mont-Liban III), Abdo Saadé est à la tête d’une liste indépendante. Contacté par téléphone pour discuter du "problème" des générateurs, celui qui dans la vie est justement le président du syndicat des propriétaires de ces mêmes générateurs répond sèchement: "Je ne parlerai pas des générateurs, uniquement des élections."

Force est de constater qu’avec une telle gestion, la crise est loin d’être terminée. Au détriment, encore une fois, des habitants.