Pour le directeur exécutif de la Fondation Samir Kassir, Ayman Mhanna, seule une justice indépendante peut garantir la liberté de la presse au Liban. En attendant qu’une telle loi soit votée, il estime que le projet de loi sur les médias, oublié dans les tiroirs du Parlement depuis 12 ans, doit être actualisé et voté.

Le mouvement de contestation populaire du 17 octobre 2019 n’a pas réussi à libérer la presse au Liban du joug politique auquel elle est soumise, certains responsables restant toujours "intouchables" sur le plan médiatique. C’est ce qu’a souligné le rapport de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse, selon lequel le pays du Cèdre a perdu 23 places par rapport à l’année dernière, passant ainsi de la 107ᵉ à la 130ᵉ place sur 180 pays.

Rendu public mardi, le document pointe du doigt l’armée électronique du Hezbollah qui mène des campagnes d’intimidation contre les journalistes sur les réseaux sociaux. Comment expliquer ce déclassement ? Celui-ci est-il uniquement dû à l’armée électronique du Hezbollah ? Comment reprendre les choses en main ? Ayman Mhanna, directeur exécutif de la Fondation Samir Kassir, répond aux questions d’Ici Beyrouth.

Quelle lecture faites-vous de ce rapport ?

Ce rapport décrit l’avilissement que nous dénonçons. Au quotidien, la Fondation Samir Kassir et le centre Skeyes listent toutes les violations de la liberté de la presse au Liban, l’instrumentalisation de la justice et la culture de l’impunité. Ce sont des problèmes qui s’accumulent et qui, naturellement, ont abouti à un déclassement du Liban. Lorsqu’un assassinat, comme celui de Lokman Slim, est passé sous silence, lorsque aucune enquête sérieuse n’est menée au sujet des multiples exactions physiques commises contre les journalistes aussi bien par les agents des Forces de sécurité intérieure, les militaires, la police du Parlement que par les partisans des partis politiques, nous ne pouvons pas être étonnés de l’expansion de la culture de l’impunité et l’inaction totale de la justice sur ce plan. Le rapport montre la conséquence naturelle de l’instrumentalisation de la justice, qui ne se réveille que lorsque des membres du gouvernement ou des personnalités politiques proches de l’autorité au pouvoir se font attaquer par les journalistes. Or quand la justice n’est pas indépendante, on ne peut pas espérer avoir une presse libre et indépendante.

L’armée électronique du Hezbollah est pointée du doigt dans ce rapport. Est-elle la seule responsable de ce déclassement ?

Absolument pas. Le rapport énumère tous les critères selon lesquels tous les pays du monde sont évalués : violations physiques directes contre les journalistes, indépendance de la justice, pluralisme dans le domaine des médias, indépendance financière des médias, état des lois relatives aux médias, situation des syndicats qui défendent les journalistes, etc. Sans pour autant vouloir attribuer cette chute libre à une seule personne, il est indéniable que le Liban connaît cette crise depuis 2015 et le mandat du président Michel Aoun n’a rien fait pour améliorer la liberté de la presse. À cela s’ajoutent l’assassinat de Lokman Slim, l’armée électronique du Hezbollah, les discours de haine et les menaces lancés en ligne par les représentants des différents partis politiques contre leurs opposants, sans compter la mainmise économique des grands intérêts politiques sur la presse.

Comment, d’après vous, reprendre les choses en main ?

L’indépendance de la justice reste un point essentiel à débattre et à mettre en place. En attendant qu’une telle loi puisse voir le jour, il serait crucial de s’intéresser au projet de loi sur les médias qui croupit dans les tiroirs au Parlement depuis 12 ans et qu’il faudrait impérativement actualiser et voter. De plus, cette manie de poursuites judiciaires politisées et menées contre les journalistes et cette culture de l’impunité devraient prendre fin. Dans le même ordre d’idées, il faudrait repenser de fond en comble le modèle économique des médias qui sont, pour la plupart, directement financés par des intérêts politiques, bancaires ou économiques. Ce qui réduit leur indépendance et met donc en jeu la liberté de leur ligne éditoriale.

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