" Liban-message " est une qualification du pays du Cèdre depuis son utilisation pour la première fois par le Pape St Jean-Paul II en 1997. Vingt-cinq ans plus tard, le message semble vaciller sur ses fondements libanais. Les funérailles de Shirine Abou Aklé à Jérusalem le vendredi 13 mai ont illustré en Palestine tout le sens de cette notion en harmonie avec les déclarations d’Al Azhar sur la citoyenneté et d’Abu-Dhabi sur la fraternité.

Il n’est pas question ici de se gargariser, ad nauseam, de la notion du Liban-Message comme aiment à le faire les amateurs de la double-pensée et de la fourberie politiques.

Demain, dimanche 15 mai 2022, le sort du Liban se décidera dans les urnes du suffrage universel. Les citoyens sont-ils conscients de l’enjeu qui se profile et de l’énorme responsabilité qui leur incombe ? Chacun ira au bureau de vote, muni de ses propres motivations.

Cependant, la planète entière a pu suivre, hier les funérailles de la journaliste palestinienne Shirine Abou Aklé à Jérusalem. Il faut être aveugle, sourd et muet pour ne pas comprendre le sens des images que nous avons vues. Je ne parle pas de la violence féroce déployée par les forces israéliennes d’occupation qui n’ont pas reculé devant l’acte sacrilège de profaner une dépouille mortelle en attaquant le convoi funèbre et en tabassant la foule, y compris les concitoyens de Shirine qui portaient son cercueil sur leurs épaules pour l’amener à l’église.

L’image que nous avons vue est limpide. Shirine, chrétienne de confession latine, est portée à l’église grecque-catholique par des musulmans qui ont fait résonner l’invocation Allah Akbar (Dieu est Grand) sous les voûtes et sous le regard de plusieurs ambassadeurs de l’Union Européenne. Puis, la dépouille fut portée au cimetière orthodoxe du Mont-Sion où elle repose aux côtés du libanais Georges Antonios de Deir el Kamar (1892-1942) dont la stèle funéraire porte l’inscription suivante : " Peuples arabes prenez garde et réveillez-vous ". Cette mise en garde d’outre-tombe fut inscrite six ans avant la création de l’Etat d’Israël sur la terre de Palestine.

Pourquoi évoquer ceci à la veille d’un scrutin législatif déterminant pour l’avenir du Liban ? Pour la raison très simple que nos yeux ont vu et nos oreilles ont entendu ce que peut signifier le mot NATION. La Palestine, révélée par les images du vendredi 13 mai, n’est plus celle du panarabisme ou de l’internationale révolutionnaire du milieu du XX° siècle. C’est la Palestine d’une nation, celle d’un peuple fier de son identité.

La meilleure preuve nous fut donnée par la foule amassée à l’extérieur, notamment devant l’entrée de l’Hôpital Français. C’était l’heure de la prière musulmane du vendredi. Nous avons tous vu l’incroyable. La foule, pour honorer la mémoire de Shirine, brandissant de grandes croix fleuries, entama l’invocation Allah Akbar suivie de la Fatiha ou première sourate du Coran qui constituent un rituel essentiel des prières pour les défunts. La même foule, et non une autre, poursuivit ses cantillations par des prières chrétiennes : le " Pater Noster " d’abord, suivi de " l’Ave Maria " puis de la doxologie trinitaire " Gloire au Père, au Fils et à l’Esprit-Saint, un seul Dieu unique " selon la formulation des chrétiens du monde arabe. C’était à peine croyable.

Certains, tant musulmans que chrétiens, ont été choqués par un tel mélange, mais personne n’a prêté grande attention à leurs ruminations de haine effarouchée. Une telle image doit interpeller les libanais fiers de clamer, sans savoir ce qu’ils disent, que leur pays est un message pour le monde. Le message était visible et audible sur leurs téléviseurs. Ce message est simple : la citoyenneté unifie la nation de ceux qui sont divers et différents. L’identité nationale et l’unité politique qu’elle implique transcendent tout dialogue inter-religieux ou islamo-chrétien. Syncrétisme dans les prières à Jérusalem ? Non, ce n’était pas une prière composée pour la circonstance : incolore, inodore, insipide et sans identité religieuse. C’était le cri d’un peule de prisonniers à l’identité précise, un cri lancé à la face du monde que la nation lançait du fond de sa geôle, un cri tonitruant qui affirmait l’unité du peuple de Palestine, scellée dans le malheur et la souffrance par la botte de l’occupant.

Demain 15 mai, quand les citoyens libanais iront voter, qu’ils se rappellent les images de Jérusalem. Qu’ils se rappellent que leur pays ploie sous la servitude imposée par l’étranger avec l’aide de collaborateurs internes.

Le scrutin du dimanche 15 mai est une occasion unique pour faire entendre au monde entier la volonté d’un peuple de constituer une nation libérée de toute tutelle imposée et, surtout, du sectarisme politique qui permet à tout un chacun de trahir la nation au nom de la confession.

Une telle occasion ne se répétera pas deux fois. Lundi matin 16 mai, les jeux seront faits et le destin du pays scellé pour plusieurs générations à venir.