Aux handicapés de faire parler aussi les urnes
L’échéance des élections législatives qui se sont tenues ce dimanche 15 mai était attendue de tout un peuple dont 15% d’électeurs en situation de handicap qui réclament à cor et à cri depuis vingt ans l’application de mesures pour un droit de vote dans le respect, la dignité et l’autonomie.

Depuis dimanche, les vidéos affluent sur les réseaux sociaux. Celles montrant des électeurs en difficulté physique essayant tant bien que mal de gravir les escaliers d’un centre de vote ou celles encore de scènes déconcertantes filmant des personnes se faisant hisser bon gré mal gré sur des chaises et certaines même sur des brancards. «Ce que l’on a pu déjà observer c’est que les handicapés et les personnes âgées ont été une nouvelle fois ignorés et leurs droits les plus élémentaires ont été bafoués durant ces élections», commente, avec une pointe de lassitude, Sylvana Lakkis, présidente de l’Union libanaise des personnes à handicap physique (ULPH). Farouche militante pour les droits fondamentaux des personnes handicapées et à mobilité réduite, elle était à l’origine du sit-in organisé le 30 mars dernier, aux abords du Grand Sérail, appelant au «droit de vote qui respecte les différences». Le sit-in s’inscrivait dans le cadre de la campagne Haqi (mon droit) dont la mission est de garantir les droits civiques des personnes déficientes.

Trois critères d’évaluation 
Ce fût une journée marathon pour les équipes de Haqi. En ce dimanche électoral, pas moins de 234 superviseurs ont été disséminés dans les différents bureaux de vote à travers le territoire libanais. Ces équipes étaient chargées de contrôler, point par point, l’application des promesses faites par le gouvernement au nombre desquelles l’égalité d’accès aux bureaux de vote, mais aussi de répertorier les abus et les violations. Trois critères d’observation ont été retenus. Le premier est de vérifier que l’emplacement des bureaux de vote se trouvait bien aux rez-de-chaussée. Le deuxième critère tient compte de l’aménagement des salles de vote; leur localisation  dans l’enceinte du bâtiment, la proximité des parkings, les obstacles à l’accès, les zones de passage, l’accès à l’isoloir, au stylo, au bulletin, à l’urne, etc., mais aussi le rôle clef des responsables de bureaux. Enfin, le dernier critère est l’accompagnement des personnes déficientes: viennent-elles seules ou sont-elles escortées? Sont-elles encadrées par des membres d’un parti politique et, le cas échéant, sont-elles sous influence du parti?

Dans l’attente des rapports 
«Aujourd’hui, il est encore trop tôt pour affirmer si les engagements ont été tenus ou pas, car une multitude de chiffres restent encore flous et certaines irrégularités ont été relevées selon les bureaux», raconte Sylvana Lakkis. Une dizaine de jours devrait être encore nécessaire pour dresser un rapport définitif. «Nous sommes dans l’attente des chiffres finaux que sont en train de collecter nos équipes de surveillants envoyées dimanche sur le terrain, explique-t-elle. Un groupe est en train d’éplucher les résultats pour vérifier que le déroulement des élections a bien pris en compte le statut de l’handicapé et classifié les différentes violations de l’accord. Les ministères de l’Éducation et de l’Intérieur s’étaient engagés à ouvrir les rez-de-chaussée des centres de vote. Cela concerne environ 145 lieux au Liban. Nous attendons de voir.» À noter que le ministère de l’Intérieur devrait, de son côté aussi, bientôt publier ses données.


Partis politiques et abus de faiblesse 
«Ce qui nous a déjà apparu, c’est que les violations étaient nombreuses. Elles venaient surtout des partis politiques et des familles de handicapés qui ont exercé des manipulations, voire exploiter l’état de fragilité des personnes», constate Sylvana Lakkis, égrenant les exemples vus, ici et là, sur le net. Certaines scènes sont d’ailleurs affligeantes et montrent des cas flagrants d’abus de faiblesse où l’on voit des personnes déficientes encadrées par des hordes d’individus, affiliées dans la majorité des cas aux partis politiques, qui vont les porter, souvent sans leur consentement, jusqu’à la salle de vote et même voter à leur place. «Une vidéo montre une femme qui a été littéralement amenée sur un brancard, dénonce Sylvana Lakkis. Comme elle est diabétique, on la voit, à un moment, perdre connaissance. Sans s’encombrer d’aucune forme de scrupule, les personnes qui l’accompagnent vont déposer son bulletin dans l’urne et aller jusqu’à lui mettre l’encre sur le doigt. C’est de l’exploitation à des fins électorales.»

L’Association libanaise pour la démocratie des élections (LADE) a d’ailleurs épinglé un cas similaire. Il s’agit d’un homme âgé de 90 ans amené jusqu’au bureau de vote dans son lit médical. Des vidéos qui témoignent des multiples formes de manipulation, d’exploitation et de maltraitance qu’exercent certains partis sur ces personnes fragiles juste pour obtenir leurs voix. «Il leur arrive même de transgresser, sans aucun ménagement, les initiatives prises par l’État. C’est arrivé à plusieurs endroits», ajoute-t-elle.

Un combat de longue haleine 
Pour rappel, la loi électorale votée en 2008/2009 contient une clause sur les droits des handicapés. «Elle a été suivi d’un décret qui explicitait les exigences concernant la tenue d’élections, mais il n’a jamais été appliqué.»
Pour Sylvana Lakkis, l’organisation de ces élections aurait été tout autre si les différentes catégories de la population avaient été prises en compte dans les préparatifs de ces élections et si l’inclusion des handicapés et des personnes âgées à la vie démocratique relevait d’une véritable exigence des institutions publiques. Un état des lieux navrant qui n’entame pourtant pas sa combativité. «Le handicap ne se trouve pas dans la personne, mais dans son milieu et dans ces grands événements de la vie d’une nation qui font fi des minorités et ne leur donnent jamais voix au chapitre.»

Selon la Banque mondiale et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un milliard de personnes dans le monde vivent avec une forme de handicap, soit environ 15% de la population mondiale, «la plus importante minorité du monde», insiste la militante. «Et selon les études mondiales, 45% des gens qui atteignent 60 ans commencent à perdre leurs facultés motrices», conclut-elle. C’est dire la dimension du débat…
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