Tout le monde, ou presque, se souvient un tant soit peu de la fameuse fable de La Fontaine Les Animaux malades de la peste. L’intrigue de cette fable présente quelques légères similitudes avec la petite histoire du funeste projet de loi sur «la stabilisation financière et le remboursement des dépôts» (communément appelée «Gap Law»): pour éviter de reconnaître et de dénoncer clairement la véritable source du mal, on se rabat sur la solution de facilité – la moins «risquée» sur le plan sécuritaire – en rejetant de manière inique la responsabilité de la catastrophe sur un bouc-émissaire fortement désavantagé par les moyens de défense à sa disposition.
Les experts financiers continueront pendant longtemps à débattre de la pertinence ou de la profonde iniquité du document avalisé vendredi par le gouvernement. Là n’est pas notre propos et nous ne nous plaçons donc pas sur ce terrain glissant… Mais à partir d’une position de principe (purement théorique, il est vrai…) on ne peut s’empêcher de relever certains aspects qui poussent à l’indignation.
L’État, en tant qu’institution constitutionnelle, est moralement, et pratiquement, responsable de ce «gap» financier dont il veut faire assumer la plus grande part de responsabilité aux actionnaires des banques et aux déposants. Certes, le projet de loi prévoit que l’État assumera une part des montants requis pour rembourser les déposants. Sauf que cet État reste régi par les mêmes dirigeants et chefs de file qui ont, eux, provoqué l’effondrement financier et économique dont ils veulent faire assumer les conséquences à ceux-là mêmes dont ils ont pompé l’épargne! Quelle garantie a-t-on, à ce stade, que ces mêmes dirigeants, ou leurs nouveaux complices, n’annonceront pas, par une nuit sans lune, que l’État n’a pas les moyens d’assumer l’engagement pris présentement et qu’il est contraint, de ce fait, soit de se désister purement et simplement de son engagement, soit d’imposer de nouveaux impôts substantiels que supporteront – comble de l’ignominie et du cynisme – les déposants d’aujourd’hui à qui on arrachera ainsi d’une main l’argent qui leur aura été accordé de l’autre.
Mais le plus grave dans le projet approuvé par une partie du cabinet Salam se situe à un tout autre niveau, en tous points répréhensible. L’Exécutif demande en effet aux actionnaires des banques et aux déposants d’assumer à leurs dépens la plus grosse part des conséquences de la «faille» financière sans que ceux qui l’ont directement provoquée soient inquiétés outre mesure. La partie invisible de l’iceberg – la plus volumineuse, la plus dangereuse, la plus nuisible – est totalement occultée…
Cela s’applique, à titre d’exemple, au cas de certains hauts responsables officiels qui avaient imposé en 2017 une nouvelle échelle des salaires, particulièrement onéreuse, au sein de la fonction publique afin d’en faire profiter plusieurs milliers de leurs partisans affectés à des emplois fictifs, entrainant de ce fait un lourd déficit qui a été l’une des causes du «Gap» financier. Le principal «instigateur» de cette large générosité supportée par le Trésor s’est en outre distingué pendant près de trois décennies par un vaste pompage des fonds publics au profit de sa clientèle partisane ainsi qu’à son propre profit, de sorte qu’il aurait pu à lui seul résorber une partie non négligeable du trou budgétaire.
Que dire en outre de cette faction politique qui a été en charge pendant plus de dix ans du portefeuille de l’Énergie et qui a accumulé au niveau de ce secteur, pendant cette période, un déficit de près de 40 milliards de dollars, selon diverses sources, avec comme résultat éblouissant (sans jeu de mots…) une pénurie quasi totale du courant électrique. Mais là aussi, nous sommes confrontés à des «intouchables»… Que les déposants mettent donc la main à la poche…
En parlant d’«intouchables», la palme sur ce plan revient sans conteste au parti doté d’une mission divine transnationale qui, tout au long de ces dernières années – presqu’une décennie – a imposé à la Banque centrale une large politique de soutien aux prix des carburants, du blé et des médicaments importés qu’il acheminait en contrebande en Syrie dans un double but : engendrer des bénéfices substantiels grâce à cette politique de soutien (d’où le large «Gap» financier), et soutenir, toujours aux frais du contribuable libanais, l’ancien régime dictatorial de Bachar el-Assad.
À l’évidence, le pouvoir en place n’a pas le courage politique de réclamer aux pilleurs des fonds publics et aux contrebandiers en chef de couvrir une partie conséquente du déficit chronique qu’ils ont eux-mêmes provoqué en traitant l’État comme une vache laitière. Dans l’incapacité d’assumer ses responsabilités en la matière, le pouvoir se rabat, comme dans la fable de La Fontaine, sur la solution de facilité: puiser dans les fonds propres des banques et des déposants… Les pilleurs publics et les contrebandiers divins peuvent donc dormir en paix.




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