Les élections des 6, 8 et 15 mai ont propulsé 51 nouvelles figures à la Chambre et ont modifié les tendances politiques partisanes. Des défaites flagrantes, notamment du côté du camp du 8 Mars, ainsi que l’élection de plusieurs figures du mouvement de contestation du 17 octobre 2019 laissent présager un début de changement. Mais les changements n’affectent pas toutes les régions de la même façon et les résultats dans certaines circonscriptions sont quasi identiques. Analyse des principaux résultats par circonscription.

Les rois sont morts, vivent les rois ! A partir de dimanche et pour les quatre prochaines années, les Libanais seront représentés par une nouvelle Chambre, composée notamment de 51 députés élus qui entreront pour la première fois place de l’Étoile.

Les résultats, qui n’ont été publiés dans certaines circonscriptions qu’au bout de 48 heures, tellement le dépouillement a été lent, ont débouché incontestablement sur un nouveau paysage politique.

Mais ces changements dans les rapports de force politique ne sont pas homogènes dans toutes les régions. Même si les résultats sur le plan national montrent de nouvelles tendances partisanes ou anti-partis politiques traditionnels, chaque circonscription a ses spécificités.

Beyrouth

Dans la capitale, divisée électoralement en deux circonscriptions, ce sont les résultats de Beyrouth II (Ras Beyrouth – Dar al-Mraissé- Minet el-Hosn – Zokak el-Blatt – Mazraa – Mousseitbé – Port – Bachoura ) qui montrent le plus grand changement de l’électorat. Le retrait de Saad Hariri de la vie politique libanaise a laissé un vide au niveau du leadership sunnite. Les voix de la communauté se sont réparties entre l’abstention et plusieurs listes. La défaite de Khaled Kabbani, soutenu par Fouad Siniora, est flagrante : il n’a obtenu que 3.433 voix préférentielles. Le seul siège obtenu par cette liste 14 marsiste est le druze que retrouve Fayçal Sayegh du Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt. Le score le plus surprenant est celui d’Ibrahim Mneimné, 1er vainqueur d’un siège sunnite avec 13.281 voix. Il dépasse Fouad Makhzoumi qui vise le grand Sérail et qui n’a obtenu que 10.021 voix, soit 1325 de moins qu’en 2018.

Dans la communauté chiite, il est intéressant de préciser qu’Amine Cherri, candidat du Hezbollah a obtenu 26.363, soit 3.402 voix de plus qu’en 2018 tandis que son colistier du mouvement Amal, Mohammad Khawaja n’en obtient que 5.789, soit 2.045 de moins qu’en 2018.

De l’autre côté de la capitale, à Beyrouth I (Achrafieh, Saifi, Rmeil, Medawar), la défaite du binôme Courant patriotique libre-Tachnag est flagrante : cette liste n’obtient que deux députés, Nicolas Sehnaoui et Hagop Terzian, contre quatre en 2018. Face à eux, le score de Ghassan Hasbani, ancien vice-président du Conseil des ministres et candidat des Forces libanaises pour le siège grec-orthodoxe, montre la prédominance de ce parti dans les quartiers chrétiens. Une alliance entre les FL, Nadim Gemayel et Jean Talouzian, comme en 2018, leur aurait permis d’obtenir un cinquième siège souverainiste à 300 voix près, aux dépens de la liste d’opposition de Tahalof Watani de Paula Yaacoubian.

Concernant les trois listes d’opposition qui s’affrontaient dans la circonscription, leur unification ne leur aurait pas permis d’obtenir un troisième siège.

Mont-Liban

Au Mont-Liban, le vote chrétien s’est relativement modifié avec un affaiblissement du CPL et une poussée des voix en faveur des FL.

Le parti présidentiel (le CPL) avait fait de la circonscription de Mont-Liban I (Kesrouan-Jbeil) son fief depuis le tsunami orange de 2005. Mais à chaque scrutin, le CPL ne fait que perdre en popularité comme le montre les chiffres de cette année : près de 10.000 voix de moins qu’en 2018 et seulement deux députés. Les FL ont également perdu 2000 voix par rapport à 2018, vraisemblablement récupérées par les Kataëb. Quant à la communauté chiite, le Hezbollah reste stable à Jbeil avec 9.500 voix obtenus par Raëd Berro.

Au niveau des forces anti-Hezbollah, une alliance entre Farès Souhaid et les FL n’aurait pas changé les résultats et le camp souverainiste n’aurait eu que ses deux députés, à moins d’une entente pour faire élire le candidat chiite à la place de Ziad Hawat par un report de voix.

Au Metn, l’électorat du CPL n’a pas changé. Mais la tactique des Forces libanaises qui a consisté à présenter la candidature de l’ancien ministre Melhem Riachi ainsi que le refus du Tachnag de s’allier avec le CPL ont fait perdre au parti présidentiel le siège grec-catholique d’Eddy Maalouf, protégé du président Aoun. Ibrahim Kanaan conserve son siège malgré toutes les stratégies du parti orange et du camp présidentiel. Est-ce une nouvelle preuve de l’affaiblissement de Gebran Bassil au sein de son parti face à des frondeurs qui se préparent à la fin du mandat présidentiel ?

Les Forces libanaises effectuent d’autre part une percée au Metn avec plus de 18.600 voix réparties sur deux députés élus. Fait significatif : les FL détrônent les Kataëb qui obtiennent 16.614 voix. Quant à Michel el-Murr junior, il ne récupère le siège de son grand-père que parce qu’il était sur une même liste avec le Tachnag.

A Baabda, le CPL a clairement perdu une grande partie de son électorat. Il en était même conscient au moment des candidatures puisque le parti n’a présenté qu’Alain Aoun, déclenchant la fureur du député sortant Hikmat Dib qui a claqué la porte du mouvement aouniste. Les FL renforcent leurs bases en obtenant 14.756 voix, 1.258 de plus qu’en 2018. Le PSP a par contre perdu 1.077 voix entre les deux scrutins.

Du côté du tandem chiite, tout comme à Beyrouth II, le candidat du Hezbollah Ali Aamar se renforce de 1160 voix tandis que le mouvement Amal perd 1.486 voix à travers son candidat Fadi Alamé. Enfin, les listes de la contestation n’ont pas réussi à percer à cause de leurs divisions, notamment entre la liste menée par Khalil Helou et celle de Michel Helou. Avant la formation des listes, des négociations avaient eu lieu mais une entente n’a pas été trouvé sur certains points fondamentaux, comme la souveraineté ou l’économie libérale.

Enfin, dans la Montagne druzo-chrétienne, le résultat le plus surprenant est la défaite de Talal Arslane qui perd le siège qu’il occupe depuis 30 ans au profit de Mark Daou du parti Taqqadom, candidat sur la liste de la mouvance du 17 octobre 2019 qui obtient le plus haut score à Aley avec 11.656 voix préférentielles, dépassant également Akram Chehayeb de près de trois cents voix.

En 2018, seuls deux listes avaient atteint le seuil électoral requis : le tandem CPL-Arslane avait obtenu 4 sièges, et le camp du 14 Mars les 9 autres. Cette année, malgré l’alliance CPL-Arslane-Wahab, le 8 Mars perd un siège et plus de 10.000 voix, notamment 3.000 pour César Abi Khalil à Aley, malgré plus de 4.000 voix en plus obtenus par Talal Arslane et Wi’am Wahab.

Le 14 Mars a également perdu 15.578 voix, même si les candidats élus de cette liste ont fait de meilleurs scores qu’en 2018. La stratégie de la liste a payé en concentrant les voix préférentielles sur certains candidats, comme Marwan Hamadé qui engrange 4000 votes préférentielles supplémentaires et remporte la bataille de justesse avec seulement 893 voix d’écart par rapport à son adversaire Wi’am Wahab.

Nord

Le Liban-Nord était la scène de deux différentes batailles. D’une part, le leadership sunnite à Akkar, Tripoli, Minié et Denniyé. Et d’autre part, le leadership présidentiel chrétien à Batroun, Koura, Zghorta et Bécharré.

Le CPL et le camp du 8 Mars ont profité des divisions parmi les anciens membres du Futur et des tensions entre le mouvement de Hariri et les Forces libanaises pour obtenir deux sièges supplémentaires et renforcer la couverture sunnite de l’axe de la Moumanaa. Une alliance entre ces anciens alliés du 14 Mars leur aurait permis d’obtenir un siège souverainiste en plus.

Les candidats d’opposition issus du mouvement de contestation d’octobre 2019, très actifs sur le terrain durant les manifestations, se sont également répartis entre différentes listes et n’ont pas pu atteindre le seuil minimal pour obtenir au moins un siège.

Dans la pauvre capitale du Nord, les résultats les plus surprenants sont les défaites de personnalités sunnites, notamment Fayçal Karamé et Moustapha Allouche. Le zaïm tripolitain perd le siège familial malgré son alliance naturelle avec des personnalités du 8 Mars comme Jihad Abdel-Samad.

D’autre part, les FL et Achraf Rifi percent à Tripoli en obtenant trois sièges, dont le siège grec-orthodoxe avec uniquement 79 voix préférentielles en faveur de Jamil Abboud. Les anciens membres du courant du Futur n’ont réussi qu’à récupérer trois des cinq sièges de députés sortants en se présentant sur deux listes différentes. Contrairement au Akkar, une alliance entre les FL, Achraf Rifi et les anciens soutiens de Saad Hariri aurait fait perdre un siège souverainiste à Tripoli.

Dans la circonscription des présidentiables, les Libanais s’attendaient à une lutte féroce au niveau de Batroun pour le siège de Gebran Bassil, qui récupère finalement son siège malgré son affaiblissement de plus de 3300 voix. Mais la surprise fut à Bécharré, fief des FL, qui perd un de ses deux députés, Joseph Ishac, en faveur de Melhem Tawk, qui se présentait sur la même liste que Tony Sleiman Frangié. De même, la liste unifiée de l’opposition issue des mouvements de contestation d’octobre 2019 perce dans le fief zghortiote des Marada avec Michel Douaihy.

Tout comme en 2018, les FL n’ont obtenu que trois sièges. Au dernier scrutin, c’est Fadi Karam qui avait perdu son siège car quatrième sur la liste FL en termes de taux de voix préférentielles. Cette fois-ci, le classement des deux candidats est inversé, permettant à Fadi Karam de retrouver la place de l’Étoile. Le parti n’avait besoin que de 1 466 voix supplémentaires sur l’ensemble de la circonscription pour obtenir un quatrième siège aux dépens du CPL. Une alliance entre les FL, les Kataëb, Michel Moawad et Majed Harb n’aurait pas obtenu un siège supplémentaire.

Par ailleurs, le PSNS ne représente plus le caza du Koura qui est représenté par les FL, les Kataeb et le CPL. Enfin à Zghorta, Michel Moawad détrône les Frangié en obtenant la première place.

Sud

Le sud-Liban, bastion de la Moumanaa chiite et chrétienne, a été secoué à Jezzine et à Marjayoun-Hasbaya.

A Sud I (Saida-Jezzine), l’éviction du CPL et la défaite de ses deux cadres, Ziad Assouad et Amal Abou Zeid, est un coup dur pour le camp présidentiel. Ce fief orange depuis 2005 a basculé dans le camp des FL, alors que le parti de Samir Geagea n’avait jamais pu percer dans cette région. La défaite du courant aouniste est notamment dû à l’affaiblissement de Ziad Assouad qui perd près de 50% de son électorat en 4 ans (7210 voix préférentielles en 2018 contre 3639 en 2022), mais également à l’absence d’alliés sunnites de poids qui auraient peut-être permis à la liste d’atteindre le quotient électoral requis puisqu’il ne manquait que 2412 voix pour obtenir le premier siège.

Le deuxième coup dur est affligé au président de la Chambre, Nabih Berry, qui perd un allié et son représentant à Jezzine Ibrahim Azar. Le député sortant perd 3769 voix par rapport à 2018, probablement des votes de la communauté chrétienne, ce qui empêche sa liste d’atteindre également le quotient électoral.

La disqualification de ces deux listes dans cette circonscription au plus haut coefficient électoral (20%) a laissé le champ libre aux Forces libanaises. Leur principale candidate, Ghada Ayoub, obtient 7953 voix préférentielles et sort gagnante en tête de cette bataille. Ses voix préférentielles représentent 26% des voix de Jezzine, alors que le parti de Samir Geagea n’a même pas atteint le seuil électoral en 2018. Le score de la liste permet également aux FL d’obtenir un deuxième siège avec l’élection de Saïd Asmar.

La circonscription du Sud II (Zahrani – Tyr), fief de Nabih Berry, n’a pas connu de grands changements. La liste du président de la Chambre a été réélu dans son intégralité sans variations de scores significatives. Mais l’opposition, qui se présentait en rangs dispersés sur trois différentes listes a obtenu un total de 22.706 voix, soit 592 voix d’écart avec le quotient requis. Une liste d’opposition unie aurait pu permettre de percer dans cette circonscription, surtout avec les 2.135 votes blancs de citoyens qui cherchaient une meilleure option. Évidemment, une unité ne peut se faire si les programmes politiques des candidats, notamment sur les questions de souveraineté et d’armes illégales, ne se retrouvent pas.

La circonscription du Sud III (Marjayoun-Hasbaya-Nabatieh-Bint Jbeil) fut le théâtre d’une bataille fiévreuse entre le tandem Hezbollah-Amal et une liste de l’opposition unifiée. Le pari de l’opposition a réussi car leur union a permis de percer, non pas en obtenant un siège comme les pronostics laissaient penser, mais bien deux sièges dans ce bastion du Hezbollah et de la " résistance à l’ennemi sioniste ". Elias Jradé et Firas Hamdan ont, non seulement été élus dans ce fief, mais ont surtout défait Assaad Hardane du PSNS, éliminant totalement cette mouvance politique de la Chambre, et Marwan Kheireddine, allié de Nabih Berry et Talal Arslane, et banquier conspué lors de la Thawra après que ses gardes du corps aient tabassé un activiste économique. La défaite du PDG de la banque AL-Mawarid, dont le nom avait fait la une des pandoras papers, est un coup dur pour le président de la Chambre qui voit ses alliés disparaitre au fur et à mesure.

Békaa

La plaine de la Békaa a surtout été affectée par le retrait de Saad Hariri de la vie politique, notamment dans la Békaa-Ouest et Rachaya.

Dans la capitale de la Békaa, les tendances politiques n’ont pas changé depuis 2018. Seuls les FL voient leur base électorale augmenter (18.679 voix contre 14.917 en 2018). La défaite de Myriam Skaff une nouvelle fois confirme la déliquescence de la famille politique Skaff depuis le décès de son mari en 2015.

A Baalback el-Hermel, c’est Antoine Habchi des FL qui crée la surprise, non seulement en récupérant son siège, mais en obtenant 17.000 voix – 1.694 voix ont été également données au cadre FL Elie Bitar – malgré toutes les tentatives d’intimidation de la part du Hezbollah au cours de la campagne et le jour des élections.

Un autre chiffre à relever est les 11.705 voix préférentielles de Jamil el-Sayed. En 2018, l’officier avait remporté la bataille en se plaçant en première position avec 33.223 votes préférentiels. Où sont donc passés les 22.000 électeurs manquants ? Est-ce que Jamil el-Sayed avait profité en 2018 d’un report de voix du Hezbollah pour faire passer un message à Nabih Berry, son meilleur ennemi ?

Par ailleurs, les souverainistes perdent un siège sunnite à cause du retrait du courant du Futur. Si Antoine Habchi et le courant du Futur avaient réussi à former une liste unie contre le Hezbollah, sans le parti Citoyens et citoyennes dans un État, ils auraient pu remporter un deuxième siège et réduire la couverture chrétienne ou sunnite de la formation pro-iranienne.

Plus au Sud, dans la Békaa-Ouest-Rachaya, la plus grande surprise vient de la défaite d’Elie Ferzli, personnalité pro-Assad et actuel vice-président de la Chambre jusqu’à samedi. Un des principaux alliés de Nabih Berry, Elie Ferzli perd plus de 50% de son électorat, qui était vraisemblablement aouniste et qui s’est reporté sur Charbel Maroun, candidat de la formation de Gebran Bassil cette année.

Dans le camp souverainiste, tout comme dans le reste du pays, le PSP, même s’il a récupéré presque tous ses sièges au Parlement, perd en électeurs. Waël Abou Faour n’obtient que 9.202 voix cette année, contre 10.677 au dernier scrutin.

Cette première analyse de l’électorat confirme des changements dans les rapports de force politique au sein des différentes communautés libanaises. La principale interrogation reste au sein de la communauté sunnite qui ne s’est pas trouvée un remplaçant à la famille Hariri.

Les résultats par urnes, une fois publiés, devraient nous donner une image encore plus claire du panorama et des tendances politiques. Peut-être qu’un leadership transcommunautaire pourrait s’en dégager.

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