Les résultats des législatives libanaises ont été accueillies avec satisfaction dans les milieux diplomatiques occidentaux où l’on prévoyait, voire redoutait, le retour de la même majorité au pouvoir. Non seulement parce qu’à cause du Hezbollah, celle-ci représente un camp à l’antipode des exigences de l’édification d’un État central fort et indépendant, mais aussi parce qu’elle s’est surtout montrée incapable au fur et à mesure que la crise économique et financière s’exacerbait, de faire passer les intérêts du Liban avant les siens et de lancer le chantier de réformes attendues.

Cependant, même si le nouveau Parlement né des élections du 15 mai 2022 regroupe un important bloc de souverainistes et de réformistes reflétant un souffle populaire nouveau, les Libanais ne sont toujours pas au bout de leurs peines. Car la capacité de blocage du Hezbollah et de ses alliés reste très élevée. Il suffit de replonger dans le passé politique récent du tandem Amal-Hezbollah et de leur allié chrétien, le CPL du président Michel Aoun, pour deviner que ce trinôme s’efforcera de compenser ailleurs les pertes qu’il a essuyées lors de la consultation populaire. Les tractations pour la désignation d’un nouveau Premier ministre, puis pour la mise en place d’un nouveau gouvernement constitueront leur premier test d’intention. C’est à travers cette première échéance post-électorale que les trois vont essayer de démontrer que le mot de la fin leur appartient toujours, quel que soit le choix effectué par les électeurs. Et c’est ce que les chancelleries étrangères sont en train de scruter aujourd’hui, en se basant sur les nouveaux paramètres qui se sont dégagés du scrutin du 15 mai et qu’il serait bon de rappeler :

– Les Forces libanaises ont réussi à constituer un groupe parlementaire homogène plus important que celui du CPL qui se vantait d’être le plus grand bloc chrétien à la Chambre depuis 2005. L’écart de voix chrétienne entre les deux est important dans la mesure où il reflète un état d’esprit chrétien qui ne peut pas être négligé lors de la présidentielle d’octobre.

– La perte par le Hezbollah et ses alliés de leur majorité qui était constituée de 74 députés en 2018. Leur bloc est aujourd’hui composé de 59 députés.

– La percée importante réalisée par les figures issues du mouvement de contestation du 17 octobre 2019, en dépit des divisions entre les collectifs qui le composent.

– Le recul du leadership sunnite avec le désengagement politique et parlementaire du Courant du Futur et l’incapacité des anciens Premiers ministres, Fouad Siniora et Nagib Mikati à mobiliser la rue sunnite.

Autant d’éléments qui font que les résultats du scrutin du 15 mai sont de nature à compliquer davantage la situation politique libanaise, notamment au sein du Parlement où des divisions verticales, similaires à celles qui existaient entre les deux camps du 8 et du 14 Mars sont à prévoir.  Ces divisions seront entre deux mouvances, celle qui veut protéger et légitimer les armes du Hezbollah et celle qui milite pour un État de droit dans un pays souverain où la décision de guerre et de paix revient seulement aux autorités légales et non à une milice.

Elles sont de nature à peser fortement dans les tractations pour la nomination d’un Premier ministre, la formation d’un gouvernement et l’entente autour d’une figure politique qui succèdera à Michel Aoun, sachant que cette dernière échéance est tributaire de plusieurs autres facteurs, en rapport notamment avec des considérations d’ordre régional ou international.

La gestion politique de l’élection d’un président de la Chambre devrait donner un avant-goût des positionnements susceptibles d’influer sur le reste des échéances auxquelles le nouveau Parlement sera confronté. Un groupe important de députés est actuellement hostile à un retour de Nabih Berry à la tête de la Chambre. Les forces de l’opposition ont déjà fait savoir qu’elles ne voteront pas pour lui et une partie d’entre elles ont déjà engagé des concertations relatives à l’élection d’un successeur à M. Berry.

Elles sont également hostiles à la formation d’un gouvernement d’union nationale et n’accorderont pas la confiance à un gouvernement au sein duquel le Hezbollah et ses alliés dominent, mais sont favorables à un cabinet de technocrates que rejettent le chef du CPL Gebran Bassil et le Hezbollah.

Face à ces complications, on s’attend de sources diplomatiques à ce que le gouvernement de Nagib Mikati expédie "activement" les affaires courantes jusqu’à l’échéance présidentielle, une étape qui est censée compléter dans un pays en crise la tendance au changement, mais dont les contours restent pour le moment flous.