Le pouvoir n’a pas tardé à sanctionner les Libanais.  Et pour cause: ces derniers ont osé conduire le soulèvement d’octobre 2019 jusqu’aux urnes. Ce faisant, un groupe d’activistes issus de ce soulèvement, qui militaient contre la corruption et qui réclamaient la mise en œuvre de la Constitution, a pu accéder au Parlement.

Nul n’est sans savoir que ce pouvoir ne transige pas avec ses privilèges. C’est la raison pour laquelle il a aussitôt réagi pour opprimer les citoyens et les ramener à l’ordre. Ainsi, le taux de change du dollar a connu une hausse inexpliquée qui ne peut être justifiée que par des manœuvres illégales; des informations ont circulé sur une crise du pain qui pointe à l’horizon; les files d’attente devant les stations-service ont repris de plus belle, laissant augurer une crise imminente; sans compter la menace d’obscurité totale qui plane, l’annonce du chaos sécuritaire, voire l’évocation d’une guerre civile, si les "députés du changement" faisaient front commun pour défier les tentatives de violer la Constitution et les lois, que ce soit en termes de formation du gouvernement ou de l’élection du président de la République, ou en imposant des lois taillées sur mesure en faveur du pouvoir et aux dépens du peuple.

Ce pouvoir ne tolèrera aucun ombrage. Il est habitué à avoir des compères soumis et consentants, qui partagent les butins avec lui et couvrent sa corruption, sa violation de la Constitution, la confiscation de la souveraineté et l’hypothèque du pays au profit de l’axe iranien. Par conséquent, le député du Hezbollah Mohammad Raad s’est empressé de menacer et d’intimider ses "nouveaux collègues", brandissant l’accusation toute prête de trahison et de collusion avec Israël, et de leur imposer son agenda en déclarant, dès la proclamation des résultats, que "si vous refusez un gouvernement d’union nationale, vous conduirez le Liban au précipice. Ne soyez pas le carburant d’une guerre civile".

Raad et ses "alliés" qui ne valent rien sans son soutien, ainsi que l’axe auquel il appartient savent parfaitement que le compte à rebours de leur influence commencera lorsque les forces du changement parviendront à les mettre à nu en adoptant un nouveau style de travail parlementaire qui tranchera avec leurs piètres performances.

Ce compte à rebours sera consacré si les engagements des "députés du changement" se conjuguent avec un mouvement populaire pour dénoncer cette autorité et la contraindre à réduire sa corruption et à mettre en œuvre la Constitution, que ce soit dans le rapport des députés dans la formation du gouvernement ou l’élection du président de la République, soit les deux échéances les plus proches, sans hégémonie ni instrumentalisation des blocs parlementaires qui lui sont asservis à des fins de blocage du processus.

D’évidence, personne ne s’attend à ce que nous passions de l’enfer aux réformes et leurs bienfaits d’un coup de baguette magique. La confrontation est difficile, vu que le Hezbollah a posé l’équation suivante: soit une vaste confrontation politique qui conduirait au blocage des institutions, dont le Parlement avant même qu’il ne commence ses travaux; soit un règlement par un ravalement de façade, de sorte que l’essentiel reste inchangé, en maintenant l’emprise sur le Liban et la confiscation de sa souveraineté aux mains de l’axe iranien.

Cela étant dit, un point de départ doit être initié par les "députés du changement", qui savent ce qui nous attend.

Plus important encore: les surenchères, dans le but d’attirer la majorité parlementaire vers les partis au pouvoir et sur des bases sectaires, seront vaines. Aussi, les tentatives de ces partis de courtiser les "députés du changement" en prétendant partager leurs objectifs de réforme ne fonctionneront pas. Comme il restera interdit d’aborder le sort des armes illégales.

Le véritable travail n’a rien à voir avec les apparitions barbantes et énervantes qui placent au premier plan la représentation communautaire. Le citoyen n’a plus besoin de la protection communautaire, mais plutôt d’un projet d’envergure nationale, qui transcende les droits des sunnites, des maronites, des chiites, des druzes ou de qui que ce soit d’autre.

Certes, nul besoin de discours semblables à ceux ressassés par les personnes qui se considèrent responsables de la patrie, à l’instar du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ou de Gebran Bassil, qui ne manque pas une occasion pour se faire mousser.

En réalité, le véritable travail consiste à utiliser l’action parlementaire pour reconstruire la nation, l’État et les institutions. C’est ce qu’attendent les personnes ordinaires, qui se considèrent les véritables partenaires des "députés du changement", armées de leurs voix, leur enthousiasme et leur espoir en la capacité du peuple à se débarrasser progressivement de ce pouvoir qui l’a appauvri et l’a abreuvé de slogans sectaires sur la "résistance, la fierté, la dignité, les droits de la communauté et la protection contre les réfugiés". Alors que c’est à l’État qu’incombe la responsabilité de préserver les droits de ses citoyens et leurs droits humains.

Le vrai travail nécessite de tirer profit du recul et de l’affaiblissement de l’axe iranien dans plus d’un endroit dans la région et de l’autorité qui lui est inféodée. En d’autres termes, l’influence de l’Iran et de la Syrie, ainsi que de leurs partisans au Liban, doit être jugulée. Pour ce faire, des "députés du changement" doivent coûte que coûte dénoncer toute violation de la Constitution et lutter pour sa mise en œuvre. De même, ils doivent proposer un projet viable au Liban et ne pas céder au chantage que Nasrallah a explicitement annoncé récemment. À défaut, les "députés du changement" seront tenus responsables de la paralysie des institutions, de l’exacerbation des crises et de l’explosion de la situation, s’attirant les foudres de ceux qui ont cru en eux en premier lieu.