C’est avec une grande tristesse que nous avons appris le décès survenu le jeudi 26 mai, à l’âge de 72 ans, de Melhem Chaoul, collaborateur d’Ici-Beyrouth et membre de son Conseil stratégique. Melhem Chaoul avait contribué à Ici Beyrouth par ses écrits analysant en profondeur les fondements de la crise dans laquelle se débat le pays. Les obsèques auront lieu le dimanche 29 mai en l’église Mar Elias de sa ville natale Zahlé, à 16 h 30 (Deir Mar Elias al Tawk). À son épouse Nada, à ses enfants, à sa famille, à ses amis, Ici Beyrouth présente ses condoléances émues.

Le 23 juillet 2021 nous quittaient, à quelques heures d’intervalle, l’écrivain Jabbour Douaihy et son ami inséparable, l’intellectuel Fares Sassine. Dix mois plus tard, en ce triste jeudi 26 mai 2022, leur troisième et fidèle compagnon, Melhem Chaoul, les a rejoints dans les sphères d’une réalité plus clémente que celle du Liban à l’interminable agonie.

" Ce sont les meilleurs qui s’en vont ", dit l’adage. Melhem Chaoul, cet éminent sociologue, appartenait de plein droit à cette catégorie des meilleurs citoyens d’un Liban éclairé par la culture et l’humanisme des Lumières, conscient de la valeur éminente du sujet autonome, à l’inaliénable dignité, que des générations d’éducateurs, de penseurs, d’hommes et de femmes de lettres ont su façonner et lui donner le visage, aujourd’hui défiguré, de carrefour d’échange de l’esprit universel, de pierre angulaire d’un Orient arabe lumineux, de foyer cosmopolite de la culture et, surtout, du dialogue interreligieux.

En Melhem Chaoul, le Liban perd un chaînon de plus de la longue lignée de grands esprits qui ont jalonné son histoire et celle du Proche-Orient depuis le XIX° siècle et les débuts de la Nahda (renaissance) arabe. À défaut de pouvoir changer radicalement la société, cette dernière a su, tout au long des générations, produire un homme nouveau qui s’est imposé à elle. L’ami généreux que nous venons de perdre, appartient de plein droit, à ces hommes d’exception qui marquent leur époque et leur milieu.

Sa qualité de membre du comité littéraire du Cercle Culturel Arabe (al nadi al thaqafi) lui offrait l’opportunité de particIper au renouveau de l’arabité et d’agir, aux premières loges, comme acteur de l’organisation du Salon International du Livre Arabe de Beyrouth qui, depuis 75 ans, se tient annuellement.

Melhem Chaoul était le prototype de l’intellectuel libanais, profondément loyal à son pays. Fidèle à une tradition de valeurs morales, ce n’était point un conservateur étriqué tant il demeurait libre de toute crispation identitaire et de toute agrégation à un esprit de corps sectaire. Melhem était d’abord lui-même : un homme libre, un sujet autonome s’assumant pleinement et assumant tous les autres avec lui. Façonné par l’émotivité de l’Orient arabe, il était également pétri de cette culture française qui était si chère à son cœur. Cette francophonie, qu’il aimait, a largement participé à sculpter sa personnalité intellectuelle et lui transmettre le patrimoine d’humanisme qu’elle conserve précieusement. Son regard, aiguisé par toute la rationalité des Lumières, laissait transparaître derrière un sourire discret, toujours ébauché, toute la profondeur affective des pays du Levant.

Éminent sociologue, sa carrière eut principalement pour cadre l’Université Libanaise, dont les étudiants gardent un souvenir impérissable de ce professeur exigeant car conscient du sens ultime de l’éducation, tout comme Sénèque qui disait : " Éduquer consiste à caresser une âme ". Tous ceux qui ont suivi son enseignement, tant au Liban que dans de prestigieuses universités du monde, ont dû être frappés par sa sollicitude d’homme au cœur généreux, se donnant sans compter à son devoir et sa mission.

Mais Melhem n’était pas qu’un universitaire enfermé dans sa tour d’ivoire académique. Il était conscient que l’universitaire, et tout intellectuel, ne serait point fidèle à sa mission s’il ne participe pas au dialogue dans l’espace public. Comme Socrate sur l’agora d’Athènes et dans les palestres, Melhem était de tous les débats dont l’enjeu premier était la dignité constitutive de l’homme, sa liberté et ses droits. Ses collègues d’université, ainsi que son réseau d’amis, demeurent marqués par son engagement citoyen en faveur de son pays, avec le parti du Renouveau Démocratique ainsi qu’aux côtés de feu Samir Kassir et de toutes celles et ceux qui, depuis 2005 et la révolution du Cèdre, ont eu le courage d’affronter la machine de mort qui écrase le Liban et qui l’a mené au bord de la tombe.

Ses amis gardent de lui le souvenir de sa bonté discrète que laissait filtrer son regard brillant et l’ébauche d’un sourire qui ne le quittait jamais.

Le départ des meilleurs continue à vider le Liban de son plus précieux trésor : ses hommes et ses femmes emportés par la fatalité du destin ou forcés de s’expatrier pour assurer la subsistance de leur famille. Ses proches amis garderont de Melhem l’image de ce que le XVII° siècle français appelait l’honnête homme.