Elles semblent si loin les élections législatives du 15 mai. On a l’étrange impression qu’elles n’ont pas eu lieu ou, du moins, que ce fut un beau rêve nostalgique de démocratie. Le navire Liban prend l’eau de partout. Quand va-t-il toucher le fond?

L’image vaut la peine d’être rapportée. À l’Ordre des médecins de Beyrouth se tenaient en ce dimanche 29 mai les élections ordinales. Grande cohue des votants. Au milieu du hall d’entrée, une doctoresse âgée, drapée de son voile, assise sur un siège bas harangue ses confrères les exhortant, les conjurant en arabe de chasser la "manzoumé" ("clique"). Elle ajoutait en français " point à la ligne ". Cette distinguée et honorée collègue exprimait ce que tout le pays a répété durant la campagne électorale du dernier scrutin législatif qui a vu entrer sous la coupole du Parlement treize nouvelles figures en principe libres de toute servitude à l’égard de la "clique". C’est maigre comme résultat. Qui a gagné? Comme dans l’émission L’École des Fans de Jacques Martin, tout le monde semble avoir gagné, personne n’aurait perdu. C’est du moins ce que tout le monde s’évertue à annoncer triomphalement. Ceci amène à se poser une question ironique: Les voies constitutionnelles sont-elles à même de pouvoir changer quoi que ce soit dans un pays frappé de malédiction? Tout le monde se fait à l’idée que Monsieur Nabih Berri occupera bientôt le perchoir de président de la Chambre, comme il le fait sans discontinuité depuis 1992 en vertu de son appartenance à la communauté chiite devenue otage et instrument stratégique des mollahs de Téhéran.

Le système libanais prouve, encore une fois, sa monstrueuse solidité. Les dictatures militaires sont tombées en Orient, d’autres les ont remplacées. L’immonde Daech ainsi que ses géniteurs des réseaux de l’islamisme politique ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Le royaume d’Arabie, si puritain, au wahhabisme si fondamentaliste et si intolérant, s’ouvre à la modernité et à son mode de vie trépidant. Le système libanais demeure aussi solide que l’airain. Le peuple passe son temps en guerres picrocholines entre de minuscules chefs qui veulent faire croire que la planète entière se préoccupe de leur sort. Le peuple s’est exprimé dans les urnes, mais la "clique" n’a pas encore dit son dernier mot. Elle continue ouvertement à piller en se moquant royalement des procédures. Lors de la dernière émission de l’animateur Marcel Ghanem, on a vu et entendu l’inconcevable. L’ancien ministre Nicolas Nahas, ainsi que deux hauts fonctionnaires présents sur le plateau, ont déconstruit devant nos yeux incrédules les turpitudes du dossier EDL, gouffre sans fond des finances publiques, poule aux œufs d’or pour un des gangs de la "clique". L’inénarrable ministre de l’Énergie, présent sur les lieux, a semblé être un simulacre de son propre portefeuille, une sorte de masque cachant mal le vrai chef d’orchestre. Ce dernier est un homme atteint de la boulimie du pouvoir à tout prix. Une telle concupiscence à jouir de la libido dominandi (volonté de puissance) est caractéristique de certains tableaux cliniques bien connus des spécialistes en psychologie.

Treize nouvelles figures au Parlement. Certains ont pavoisé en disant que la révolution du 17 octobre avait enfin pu forcer les portes de la forteresse de Monsieur Berri. Sans vouloir décevoir qui que ce soit, mais tout semble se dérouler selon la logique de l’adage latin promoveatur ut amoveatur (promouvoir quelqu’un pour le retirer). Les nouveaux députés, médiatiquement adoubés par l’animateur Marcel Ghanem, ont-ils forcé les portes, brisé la muraille de la forteresse? Ou bien, sont-ils déjà absorbés par la bête insatiable? Pensent-ils vraiment qu’ils vont pouvoir abattre le monstre maintenant qu’ils sont dans ses entrailles?

Nous aurons un début de réponse, au milieu du chaos financier, le 31 mai, lorsque Monsieur Berri sera intronisé, pour la énième fois, comme titulaire exclusif du perchoir.

En attendant, les citoyens n’ont qu’à se complaire dans les ténèbres du ministère de l’Énergie, à mourir d’angoisse ne sachant pas comment nourrir leurs enfants, à paniquer à la seule idée de s’acheter une bonbonne de gaz ou quelques litres d’essence, et à supplier le ciel de les faire mourir si par malheur ils sont atteints d’une maladie grave.

Le navire prend l’eau de partout. Les rats ne se décident pourtant pas à le quitter. Dans les ténèbres cloacales des égouts de la "clique" libanaise, il y a encore des miettes à grappiller par-ci et par-là.

Abonnez-vous à notre newsletter

Newsletter signup

Please wait...

Merci de vous être inscrit !