Les élections législatives ont constitué un tournant pour le Courant patriotique libre (CPL) qui a, semble-t-il, révisé sa stratégie en l’adaptant à ses intérêts du moment. Un des signes de cette nouvelle stratégie s’exprime par une tentative de prise de contact avec l’Arabie saoudite.

À quelques semaines du scrutin du 15 mai 2022, les dirigeants du CPL et le président Michel Aoun ont pris connaissance avec effroi des résultats pessimistes de sondages d’opinion et de statistiques et s’étaient préparés au pire. Ces résultats n’avaient en fait rien de surprenant. En perte de vitesse au niveau populaire, les aounistes s’y attendaient compte tenu du ressentiment populaire manifesté à leur égard. Et pour cause: ils n’avaient pas réalisé leur programme de "réforme et de changement", porté par une majorité parlementaire et ministérielle, mais aussi par le le chef de l’État en personne jusqu’au palais de Baabda, ni proposé des solutions pour freiner l’effondrement économique et financier qui a caractérisé le mandat Aoun. Sans oublier l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, qui a mis en relief l’irresponsabilité des gouvernants. Tout cela a nourri le ressentiment populaire mais a aussi poussé des centaines d’adhérents et de partisans à prendre leur distance par rapport au courant aouniste. Évidemment, ces personnes ne tiennent pas le CPL pour seul responsable de la situation désastreuse du pays, mais elles ont préféré opter pour le "changement", afin de donner une chance à de nouvelles personnalités et projets.

Les aounistes avaient réagi en essayant de faire assumer à leurs détracteurs la responsabilité du ressentiment populaire à leur égard, les accusant d’avoir contribué à l’échec du sexennat et menaçant pratiquement de se venger. Ils anticipaient les résultats des élections qui, au final, n’étaient pas aussi mauvaises qu’ils le redoutaient. Le CPL a réussi, avec l’aide de ses alliés chiites surtout, à avoir un bloc de 18 députés, un chiffre inespéré selon les pronostics des experts électoraux.

Partant, tous les calculs antérieurs ont été révisés et la revanche abandonnée à la faveur d’une ouverture politique dans l’intérêt direct du courant fondé par le chef de l’État, qui semblait prêt à faire des concessions pour atteindre ses objectifs. La première concession faite d’ailleurs a été l’alliance électorale de Gebran Bassil avec son "ennemi juré" Nabih Berry. Le chef du CPL a cru bon mener les législatives main dans la main avec le président de la Chambre, malgré qu’il l’avait diabolisé dans le passé et qualifié de "grand corrompu", faisant fi des répercussions de cette alliance électorale sur son public, "qui a sans doute peiné à assimiler cette claque", selon des sources politiques proches du CPL.

De mêmes sources, on indique à Ici Beyrouth "que c’est bien évidemment un accord similaire qui a permis à Nabih Berry, Élias Bou Saab et Alain Aoun d’obtenir 65 voix lors des élections la semaine dernière à la présidence, à la vice-présidence et au bureau de la Chambre.

Gebran Bassil a ainsi confirmé son alliance avec Nabih Berry dans le seul but de réaliser des gains supplémentaires et de consolider sa présence au sein des institutions de l’État, dans la perspective notamment de la présidentielle, à cause des indicateurs qui suggèrent une difficulté à organiser l’élection au terme du mandat Aoun et du recul des chances de M. Bassil d’accéder à la magistrature suprême.

Cependant, le chef du CPL, qui refuse de s’avouer vaincu de sitôt, a décidé d’étendre sa politique d’ouverture à l’étranger, dans une tentative d’obtenir le plus grand nombre de soutiens potentiels en vue de la prochaine bataille présidentielle. C’est ainsi qu’un des cadres supérieurs aounistes a révélé à Ici Beyrouth sous couvert d’anonymat, que " la direction du CPL a frappé aux portes de Riyad récemment et essaie régulièrement de courtiser les responsables saoudiens via des intermédiaires, mais toujours sans succès ". Selon les mêmes sources, les dirigeants du courant aouniste sont même allés jusqu’à faire parvenir aux responsables saoudiens des messages selon lesquels ils seraient prêts à prendre leurs distances avec le Hezbollah en échange d’un rapprochement entre le royaume et le CPL.

Ces sources ont dans le même temps essayé de dénigrer le principal adversaire politique du CPL, le parti des Forces libanaises, et de montrer que c’est la même majorité CPL-Hezbollah-Amal qui prévaut aujourd’hui au Parlement. Leur argument est le suivant: " Le chef des Forces libanaises Samir Geagea a leurré les Saoudiens en leur faisant croire qu’il est capable de juguler le Hezbollah avant de l’achever dans le cadre d’un plan local-régional-international bien ficelé. En outre, les FL avaient également véhiculé aux Saoudiens l’idée qu’ils avaient remporté la bataille parlementaire et la majorité dans la foulée, et ce bien avant la proclamation des résultats officiels des élections. Or les résultats de l’élection du président et du vice-président de la Chambre, ainsi que celle des membres du bureau, ont démenti Meerab, dont le candidat, le député Ziad Hawat, a seulement obtenu 38 voix ".

Ouvertures vaines en direction de Meerab

Le cadre aouniste insiste sur le fait que son courant cherche à tendre la main à tous les protagonistes "sans exception aucune, mais beaucoup, à commencer par M. Geagea, considèrent que le fait d’être en mauvais terme avec nous les sert politiquement". Il révèle dans ce contexte qu’ "il y a eu au cours des derniers mois des tentatives d’ouverture amorcées envers Meerab afin de rapprocher les vues", précisant cependant qu’elles sont restées sans succès. "Le chef des Forces libanaises est convaincu qu’il n’a aucun intérêt à se réconcilier avec le CPL à ce stade", souligne-t-il.

Il semble que la direction aouniste a compensé son échec avec Samir Geagea par une ouverture en direction du chef des Marada Sleiman Frangié. Les relations entre les deux partis n’ont jamais été aussi cordiales depuis les sept dernières années, selon les informations obtenues par Ici Beyrouth. En réalité, les deux partis semblent réaliser qu’ils ont tout intérêt à converger de nouveau, sans compter les efforts considérables déployés par le Hezbollah pour les rapprocher dans la perspective de la bataille présidentielle à venir. Haret Hreik aspire à ce que l’un des deux protagonistes se retire de la bataille présidentielle en faveur de l’autre, en échange d’un retour d’ascenseur aux élections qui suivront. Le parti pro-iranien est conscient que ce scénario idyllique est un peu tiré par les cheveux. Néanmoins, il affiche à ce stade un certain optimisme au vu de l’évolution des rapports entre MM. Frangié et Bassil, surtout après le signal positif envoyé par le chef du CPL à Bnechii, lorsqu’il avait qualifié le chef de Marada d’"authentique", dans un discours lors d’un meeting électoral de son parti à quelques jours des législatives. Ce dernier le lui a bien rendu en votant pour le candidat aouniste, le député Élias Bou Saab, au moment de l’élection du vice-président du Parlement, ainsi que pour le député Alain Aoun lors de l’élection du secrétaire du bureau de la Chambre.

Parallèlement, la déclaration récente et explicite du CPL selon laquelle la ligne 29 est une ligne de négociation dans le dossier de la démarcation des frontières maritimes et pas une ligne définitive à laquelle le Liban adhère atteste, si besoin est, que les aounistes ne ménagent aucun effort pour courtiser les Américains, dans l’optique d’une levée des sanctions frappant Gebran Bassil, et pourquoi pas d’un abandon du veto que Washington oppose à la candidature de ce dernier à la présidence de la République.

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