Riyad ne voit aucune possibilité de changement à travers les prochaines élections, en raison de la mainmise du Hezbollah sur l’État et Téhéran ne veut pas perdre «sa» majorité parlementaire actuelle.


L’Arabie saoudite n’a pas initié ses mesures de rétorsion contre le Liban fin octobre dernier en raison des critiques du ministre de l’Information Georges Cordahi contre l’implication de Riyad dans la guerre du Yémen et son soutien aux rebelles houthis, soutenus par Téhéran, notent des sources diplomatiques occidentales. Le Royaume entendait en fait protester par sa démarche contre la mainmise du Hezbollah sur l’État libanais et son hégémonie sur le processus de décision politique et sur les institutions, notamment la présidence de la République qui a fait allégeance au projet de la "résistance" et opté en faveur de l’option iranienne.

Riyad considère que le Hezbollah tire systématiquement à boulets rouges sur l’Arabie, et envoie, de surcroît, ses combattants au Yémen pour entraîner les houthis et leur fournir des missiles de précision, des fusées balistiques et des drones avec lesquels ils attaquent l’Arabie saoudite – sans oublier son trafic de drogue à destination de l’Arabie.

En dépit de tous ces agissements, Riyad a tenu à préserver ses relations avec le Liban et décidé de maintenir l’aide à sa population, qui plus est en ces temps de crise politique et socio-économique. Cependant, les velléités iraniennes grandissantes et le durcissement du siège imposé à la ville yéménite stratégique de Ma’reb, afin d’en provoquer la chute pour influer sur les rapports de forces avant la relance lundi des négociations sur le nucléaire entre la communauté internationale et Téhéran, à Vienne, ont poussé les pays du Golfe à quitter à contrecœur un Liban incapable d’imposer sa souveraineté sur tout son territoire et de juguler le Hezbollah et ses armes.

Un front international contre l’Iran et le Hezbollah

C’est à ce stade que les intérêts des pays du Golfe et d’Israël ont convergé au sujet du Liban, et la décision a été prise de frapper le Hezbollah à partir de la Syrie et de démanteler son organisation armée en vue de la désarmer. Cette convergence ne se limite plus aux pays du Golfe et Israël, mais englobe désormais la Russie, les États-Unis et l’Europe ; un front pour faire face à l’Iran qui cherche à se doter de l’arme nucléaire, profitant de la faiblesse de l’Administration Biden.

Les intérêts de ces pays ont convergé à la suite des sondages d’opinion qui annoncent une victoire des Républicains aux élections de mi-mandat du Congrès américain en 2022, l’objectif étant de contrer l’Iran au Liban. Téhéran s’enorgueillit de la carte libanaise dont elle dispose à sa guise afin d’adresser un message fort et brûlant à l’Occident, qui cherche à démanteler l’organisation paramilitaire du Hezbollah même au prix de la chute de l’État. Un processus de refondation du pouvoir conformément aux accords de Taëf suivrait, une fois le Liban libéré des pressions et sa Constitution affranchie de sa mauvaise mise en œuvre et des diverses hérésies dans l’interprétation du texte au gré des intérêts et desiderata des parties prenantes.

Ce bras de fer puissant accroît la peur de voir éclater des incidents sécuritaires capables de se transformer en "mini" guerre si l’Administration Biden échouait face à l’intransigeance iranienne et finissait par accepter les conditions de Téhéran, notent ces milieux diplomatiques, qui lèvent le voile sur un accord entre les Russes, les Israéliens et les pays du Golfe (l’Arabie saoudite précisément) visant à mettre fin au rôle joué par l’Iran dans la région du Moyen-Orient et contrer son influence dans ces pays, dans le but notamment de lui retirer toute possibilité de préserver son contrôle sur la rive orientale de la Méditerranée par le truchement du Hezbollah.

Une concordance pour torpiller le scrutin

Face à ces données, des milieux européens responsables indiquent que les intérêts saoudo-iraniens ont convergé sur une annulation des prochaines législatives au Liban. L’Arabie saoudite ne voit aucune possibilité de changement à travers ces élections, notamment dans le contexte actuel et compte tenu de la mainmise du Hezbollah sur l’État et les rapports de force qui prévalent en ce moment. Les élections, si toutefois elles avaient lieu, n’amorceraient aucun renouvellement en l’absence de toute présence significative pour l’instant du mouvement de changement apparu le 17 octobre 2019 et aussitôt disparu après avoir été torpillé par le Hezbollah et l’État à travers des contre manifestations sectaires et des attaques répétées contre les protestataires, dans une tentative systématique orchestrée par le Hezbollah et le Courant patriotique libre (CPL) pour faire avorter ce mouvement révolutionnaire. Ce dernier s’est donc mis en veilleuse pour remettre de l’ordre dans leurs rangs.

L’Iran, quant à lui, ne souhaite pas la tenue des élections dans la mesure où ses alliés au Liban, emmenés par le Hezbollah notamment, contrôlent le Parlement avec une majorité de 74 députés pour les forces dites du "8 Mars". C’est pourquoi le Hezbollah ne veut pas s’aventurer dans une échéance électorale dont l’issue n’est pas garantie, notamment avec la baisse de popularité de 60% de son allié aouniste dans les régions chrétiennes (Mont Liban) et la difficulté pour le Hezbollah de compenser cette perte. Plusieurs indicateurs abondent dans ce sens, y compris le recours en invalidation présenté par les députés du CPL devant le Conseil constitutionnel contre la loi, et la contestation de la date des élections entre le 27 mars et le 15 mai ; sachant qu’il n’existe pas beaucoup de différence entre les deux dates. Les prétextes avancés par le chef du CPL, le député Gebran Bassil, ne sont guère convaincants ni en ce qui concerne les conditions météorologiques, ni pour ce qui est du jeûne des chrétiens le dimanche, piètre justificatif. Ces positions, entre autres, conduisent à ne pas respecter les délais impartis pour l’échéance, rendant la tenue des élections difficiles.

Les milieux des Forces libanaises avancent que les "entourloupes bassiliennes" visent tout simplement à faire voler en éclats les élections. En dépit des pressions internationales pour qu’elles se tiennent, des sources politiques proches du Hezbollah affirment que l’extérieur ne fera aucune démarche pour forcer la tenue du scrutin. Cela s’était produit par le passé lorsque le pays avait connu un vide présidentiel pendant plus de deux ans. A cette époque, la communauté internationale s’était contentée de prodiguer des conseils et d’appeler à l’organisation de l’élection présidentielle au plus vite. Il en sera de même avec les élections législatives, pense le Hezbollah. Cependant, des sources sécuritaires bien informées révèlent que le vide serait cette fois accompagné d’incidents sécuritaires qui pousseraient la communauté internationale à voler à la rescousse du Liban.

Mettre fin au mini-Etat dans l’Etat

Dans ce contexte, les milieux politiques indiquent que l’initiative du patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, sur la neutralité positive et la tenue d’une conférence internationale sur le Liban a constitué une démarche proactive pour prémunir le Liban de l’effondrement et revenir à la déclaration de Baabda, élaborée par l’ancien président Michel Sleiman et adoptée par toutes les parties libanaises, le Hezbollah inclus, lors d’une séance de la conférence de dialogue national à Beiteddine en juin 2012. Cette initiative n’aspire pas à la neutralité selon le modèle suisse, mais plutôt à distancier le Liban des répercussions du conflit sous un parrainage international et avec l’appui de l’armée libanaise dans la phase de transition.

Les développements rapides dans la région dans le but de parvenir à un compromis rendent impératifs une levée de la mainmise iranienne sur le Liban, une libération de la prise de décision libanaise et un rétablissement de la souveraineté sur l’ensemble du territoire national. Le Hezbollah ne peut plus maintenir son contrôler hégémonique sur l’État et ses institutions. Il est impossible d’édifier un Etat dans l’ombre d’un mini-Etat qui dispose de 100 000 combattants, selon les dires du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et dont le nombre et les capacités dépassent celui de l’armée légale.

Les lubies de Gebran Bassil

La période actuelle ne verra aucun dénouement des différentes crises notamment au Liban, mais plutôt du rafistolage. Le soutien de la communauté internationale exprimé quasi quotidiennement par les grandes capitales au cabinet Mikati n’est autre qu’une volonté internationale de maintenir ce gouvernement comme pouvoir constitutionnel légitime auquel il serait pourrait de recourir en cas de vide au pouvoir. D’autant que l’Occident considère le pouvoir décisionnaire comme absent au niveau de Baabda et que le président de la République paraît plus soucieux de léguer son fauteuil à son gendre Gebran Bassil – un vœu pieux en raison des sanctions américaines imposées a ce dernier – que de veiller à la bonne marche du pays, selon des sources de l’opposition.

Le pari de Michel Aoun sur l’Iran, la Syrie et le Hezbollah pour introniser Gebran Bassil à la Magistrature suprême avec les biceps du Hezbollah, comme lui-même l’a été en 2016, est complètement irréaliste, au regard des mutations politiques sur la scène interne et des développements externes, ainsi que le basculement des rapports de forces aux dépens de l’axe iranien. Cette élection sera concoctée à l’étranger, et ce n’est qu’une fois la question murie que le nom du président sera mis en avant sur le plan interne.

Au contraire du statu quo interne, la donne change continuellement dans la région, comme le prouvent les positions fluctuantes des pôles d’influence tels que les États-Unis, la France, le Vatican, la Russie, l’Arabie saoudite et l’Égypte, qui se concertent sur le choix du président sans qu’Israël n’interfère. Par conséquent, tous les noms avancés et les candidatures en lice disparaîtront ultérieurement au profit d’autres noms et personnalités qui seront imposés par les derniers développements attendus au Liban et dans la région, les rapports de force qui en découleront et la situation en Syrie à la suite du nouveau positionnement du président Bachar el-Assad, avec le début de son nouveau mandat et son retour dans le giron arabe après la rupture de son alliance avec l’Iran.