Le Liban a rendez-vous avec deux échéances constitutionnelles majeures. La première est la formation d’un nouveau gouvernement qui se fait toujours attendre. Le président Michel Aoun vient certes de fixer au 23 juin la date des consultations parlementaires contraignantes afin de désigner le nouveau Premier ministre chargé de constituer le futur cabinet, mais la tâche semble ardue en raison des clivages politiques autour de la nature et de la vocation de la prochaine équipe ministérielle ainsi que des intérêts personnels et partisans qui s’y greffent.

Car, il ne faut pas l’oublier, c’est bien ce gouvernement qui sera en place lorsque le mandat du président Michel Aoun prendra fin au milieu de craintes d’un vide à la tête de l’État. Au cas où ces craintes se confirmeraient, ce sera le cabinet qui assumera les prérogatives du numéro un de la République si la présidentielle, qui représente la deuxième échéance, ne se tient pas dans les délais, à savoir avant le 31 octobre. D’où l’importance accordée à la composition de la nouvelle équipe ministérielle.

Si la Constitution prévoit un délai de quinze jours, une fois les législatives terminées, pour l’élection du président et du bureau de la Chambre, elle n’en prévoit aucun pour la désignation d’un Premier ministre et la formation d’un gouvernement. Elle maintient aussi le flou quant aux délais pour l’élection d’un président de la République. L’article 73 de la Constitution stipule ainsi qu’"un mois au moins et deux mois au plus avant l’expiration des pouvoirs du président de la République, la Chambre se réunit sur la convocation de son président pour l’élection du nouveau chef de l’État. À défaut de convocation, cette réunion se tiendra de plein droit le dixième jour avant le terme de la magistrature présidentielle".

Or, rien ne dit jusqu’à l’heure si les deux échéances seront maintenues conformément aux délais constitutionnels. Certaines parties cherchent à provoquer un vide pour aller vers une Constituante qui concrétisera leur projet politique. En revanche, d’autres privilégient le vide en réponse au refus de certains candidats au poste de Premier ministre de former un gouvernement conforme aux aspirations du camp présidentiel, d’autant que ces derniers souhaitent limiter sa mission à fixer l’agenda d’un accord avec le FMI plutôt que d’appliquer celui des partis politiques. Il y a bien sûr aussi ceux qui plaident pour une application stricte de la Constitution, en redonnant aux institutions leurs lettres de noblesse et en respectant les échéances constitutionnelles. À ce titre, l’allusion de M. Mikati au vide était claire lorsqu’il a déclaré: "Les élections présidentielles peuvent être retardées, mais elles auront bel et bien lieu."

Sauf que les développements dans la région qui s’oriente vers une stabilisation font que des pressions sont exercées sur le Liban afin qu’il mène ses échéances constitutionnelles dans les délais prévus. La communauté internationale refuse d’avoir à gérer un "casse-tête" libanais surtout s’il risque d’être un facteur de déstabilisation. La France, qui porte le dossier libanais, a ainsi informé les parties concernées de la nécessité de former un gouvernement sans plus tarder pour parachever l’accord avec le FMI afin d’aider le Liban à bénéficier des 17 milliards de dollars que pourrait générer cette signature, comme l’a rappelé l’ambassadrice de France Anne Grillo dans son interview accordée à Ici Beyrouth, la semaine dernière.

Un responsable français serait d’ailleurs attendu à Beyrouth après les élections législatives françaises pour assurer le suivi des contacts avec les forces politiques dans le cadre de l’initiative du président Emmanuel Macron. Ce dernier plaide pour la formation d’un gouvernement de technocrates, apolitique et non partisan, loin des répartitions confessionnelles et sectaires, pour sortir le Liban de sa crise et l’accompagner pendant cette phase économique critique, en activant notamment le Fonds commun franco-saoudien à travers des associations caritatives et des organisations non-gouvernementales dans divers domaines. Pierre Duquesne, le coordinateur spécial français de l’aide internationale au Liban, a d’ailleurs récemment signé, alors qu’il se trouvait à Riyad avec des responsables de ce Fonds, de nombreux accords en guise de soutien au Liban.

Dans certains milieux diplomatiques occidentaux, on affirme que le dossier de l’élection présidentielle fera partie de ceux qui seront suivis par le président Macron lors de son second mandat. La France considère avoir accompli un bel exploit au Liban avec la tenue des élections législatives dans les délais et s’efforce de rééditer le même avec la présidentielle.

Le retour du médiateur américain, Amos Hochstein, dans la perspective d’une relance des négociations indirectes entre Tel-Aviv et Beyrouth constitue une étape qui s’ajoute au processus en cours dans la région en termes de changement souhaité en vue d’aboutir au grand règlement qui se prépare et qui permettra la résolution des crises de la région, à commencer par la question palestinienne. Dans les mêmes milieux, on précise cependant que le Liban ne peut pas attendre le grand règlement pour élire un président qui s’adaptera aux changements en cours, alors que le pays est au bord de l’effondrement, comme l’a si bien rappelé le roi de Jordanie: "Si l’effondrement se produit, il portera préjudice à la région et aux pays voisins."

Dans la même ligne, le médiateur américain Amos Hochstein a déclaré à la veille de son arrivée à Beyrouth que "l’effondrement du Liban ne sera ni dans notre intérêt ni dans l’intérêt de la région". Selon certaines sources, cet avertissement devrait inciter les Libanais à trouver une solution sur-le-champ à la crise et à assumer leur responsabilité nationale au lieu de tabler sur l’extérieur pour "prévenir" l’effondrement. Comme l’élection d’un nouveau président sera le point de départ du dénouement de la crise, on penche dans certaines capitales pour le choix d’un chef d’État modéré et non partisan. Selon ces mêmes milieux, si un gouvernement n’est pas formé, il en sera probablement de même pour l’élection présidentielle. Et, si un gouvernement monochrome est formé, en d’autres termes un gouvernement représentatif des forces du 8 Mars, le président sera issu de la même formation, donc de l’axe iranien, comme cela s’était produit en 2016. Néanmoins, cette éventualité sera exclue compte tenu de l’équation régionale qui prévaut.

De ce fait, plusieurs scénarios se préparent à en croire ces milieux, parmi lesquels on compte:

– L’élection d’un président issu de la classe politique pour gérer la crise, dans laquelle le Liban restera plongé en attendant le règlement régional. Par la suite, des élections législatives anticipées seront organisées, et un nouveau président élu.

– L’élection d’un président apolitique pour mener l’opération de sauvetage qui bénéficiera d’une couverture internationale et d’un soutien extérieur sans précédent pour sauver le Liban. Des noms circulent déjà, et le défilé des présidentiables vers Paris a commencé. En principe, ce scénario est censé être précédé d’un accord sur la démarcation des frontières maritimes avec Israël par l’intermédiaire du médiateur américain, à la suite de quoi le différend concernant les 13 points sur les frontières terrestres sera résolu, mettant ainsi fin au rôle des armes qui se retrouveront exclusivement entre les mains du pouvoir légitime, avec le concours de la Syrie en la matière.

– Une phase transitoire de moins d’un an pendant laquelle l’armée fera le "ménage", comme elle le fait déjà à Baalbeck, afin de mettre un terme à la prolifération des armes illégales et d’en concentrer l’usage aux appareils de l’État, en attendant le règlement majeur et le changement espérés dans la région.

– Le parrainage par le Caire d’une conférence – moins ambitieuse que celle de Doha –  en vue de réconcilier les Libanais et élaborer une feuille de route pour une solution, sans pour autant aborder la question d’un changement de régime ou d’un amendement de la Constitution. Ainsi, il ne s’agira nullement d’une nouvelle constituante, mais plutôt de marquer l’attachement à la Constitution et à l’accord de Taëf, afin de poursuivre sa mise en œuvre dans sa totalité et permettre de la sorte au Liban de passer d’un État confessionnel et sectaire à un État civil.

Les milieux politiques occidentaux confirment que le climat régional et international n’est pas favorable à un changement de régime ou à un amendement de Taëf, ni à un changement de l’équation politique pour passer à un tripartition du pouvoir, comme le souhaiterait le Hezbollah dans le but d’obtenir des gains politiques qui l’inciteraient à rendre les armes, au vu de l’évolution régionale remarquable qui tend vers la stabilité, l’apaisement et la paix, là où les armes n’auront plus lieu d’être. Les milieux informés disent que la conférence du Caire débouchera sur un accord sur le nom du président de la République, la voie d’une solution et le rôle du Liban, et qu’elle bénéficiera d’un soutien international et régional.

Des milieux diplomatiques bien informés affirment que le choix entre les différentes options susmentionnées n’est toujours pas arrêté. Cependant, il ne fait aucun doute que les États-Unis, la France, le Vatican, l’Arabie Saoudite et l’Égypte s’opposent au vide présidentiel. Parallèlement, ils œuvrent d’arrache-pied pour redresser le Liban et empêcher son effondrement.

Partant, lequel de ces scénarios sera choisi? Un ancien responsable avance que la situation dans la région est encore brumeuse et qu’il ne nous reste plus qu’à "attendre et de voir venir", c’est-à-dire "to wait and see".