Le président de la République Michel Aoun a enfin fixé à ce jeudi, soit un mois après la tenue des élections législatives, la date des consultations parlementaires contraignantes pour la désignation du Premier ministre qui formera le prochain gouvernement. Le président n’était pas pressé puisque, comme le dit l’adage, rien ne sert de courir, il faut partir à point. Cependant, tout laisse à penser que le point de départ de ces consultations et leur feuille de route seront voués à l’échec et aboutiront à un blocage programmé à l’avance.

Dans ce cas précis, avancer au rythme de la tortue pour désigner le prochain chef du gouvernement ne signifie pas atteindre l’objectif, somme toute logique, de former un gouvernement qui prendra en charge la gestion du pays à l’aune du vide présidentiel qui s’annonce. Les expériences antérieures avec Michel Aoun, depuis qu’il était dans l’action politique, en tant que député et chef d’un bloc parlementaire, puis en tant que président de la République, indiquent que gagner la course ne se fait pas à la régulière, c’est-à-dire, en respectant la Constitution, la logique et l’intérêt national suprême.

En effet, les intérêts particuliers suivent les dédales d’un labyrinthe et se traduisent par la perturbation de la formation du gouvernement ainsi que l’usage de manœuvres trompeuses, qui conduisent à des impasses et des fausses routes, dont le but est de maintenir l’heureux élu, nommé par les parlementaires pour former le gouvernement, captif du labyrinthe.

Ces manœuvres n’ont rien d’étonnant, dans la mesure où le seul objectif de l’utilisation du pouvoir, selon le président de la République et son gendre choyé, est de gagner encore plus de pouvoir, de contourner la Constitution et d’instrumentaliser la paralysie gouvernementale prévisible pour établir un fait accompli qui permettrait de se maintenir au palais de Baabda même avec un pays en ruines.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’appel à des consultations contraignantes a traîné en longueur, un mois durant, et si ce n’était les critiques internationales, il aurait tardé encore plus, afin de permettre au député Gebran Bassil d’imposer ses conditions inaccessibles, au risque de priver le pays de gouvernement jusqu’à l’élection présidentielle.

Plus précisément, Gebran Bassil veut sanctionner l’actuel Premier ministre, Nagib Mikati, pour ne pas s’être plié à ses desiderata, après ses tentatives infructueuses d’insérer dans l’ordre du jour du gouvernement intérimaire, le limogeage du gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, et du chef de l’armée, Joseph Aoun, dans la foulée, et après avoir retiré le projet de l’électricité afin de garder la main sur ce dossier.

Il est clair que M. Bassil veut placer à tête de la Banque centrale et au commandement de l’armée des fonctionnaires qui suivent ses ordres et exécutent ses instructions, et non des fonctionnaires au service de l’État libanais, tout comme c’est le cas avec les ministres de l’Énergie, qu’il refuse de nommer de l’extérieur du cercle restreint de ses conseillers qui lui assurent une loyauté indéfectible. En effet, après qu’il a renoncé au portefeuille de l’Énergie au profit de celui des Affaires étrangères, puis sa réticence à accepter un portefeuille quel qu’il soit, M. Bassil affiche une ambition encore plus grande et sans limites, celle de succéder tout bonnement à son beau-père. Et s’il se trouvait dans l’impossibilité d’atteindre cet objectif dans l’immédiat, il ne perd rien à placer des subalternes à ces postes sensibles, en attendant que les conditions qui lui permettraient d’arriver à ses fins, soient réunies.

Il se trouve que M. Bassil veut aussi faire chanter Nagib Mikati, d’autant plus que ce dernier est très désireux de poursuivre son action en tant que Premier Ministre. Pour ce faire, Gebran Bassil cherche à prendre le dessus d’emblée en utilisant ses outils perturbateurs, qui ne sont pas sans nous rappeler l’épisode avec l’ancien Premier ministre Saad Hariri, qui avait jeté l’éponge après moult tentatives de former un gouvernement qui ont duré plus de 230 jours, un record soit dit en passant, et sa suspension de toute activité politique par la suite.

Cette stratégie, lancée par Gebran Bassil et cautionnée par le Hezbollah, comme on le voit à chaque échéance, enfonce le Liban de plus en plus dans cet imbroglio.

À vrai dire, si le parti n’avait pas voulu de cette stratégie, il n’aurait pas mis tout son poids pour soutenir Bassil et lui assurer un bloc parlementaire significatif qui lui permettrait de faire obstruction. De même, on n’aurait pas assisté à la farce de l’élection du président et du vice-président de la Chambre avec ce consensus pour le moins surprenant. Sans compter la souplesse dont a fait preuve le parti de Dieu, et peut-être la collusion avec le président Aoun, sur la question de la démarcation des frontières maritimes, avec la concession faite aux Israéliens par l’intermédiaire du médiateur américain Amos Hochstein, en échange d’un accord sans grande importance lié à l’avenir politique de Gebran Bassil et à la possibilité de lever les sanctions américaines contre lui.

S’y greffent également à ce qui précède les objectifs plus larges en rapport avec l’agenda iranien et le marchandage avec les États-Unis et Israël, par ricochet, aux dépens du Liban et de sa richesse pétrolière dans le but de relancer les négociations de Vienne et lever les sanctions contre l’Iran.

Partant, les consultations de jeudi ne revêtent aucune importance, dans le sens où même si elles aboutissent à la nomination d’un Premier ministre chargé de former un gouvernement, elles resteront vaines. Ce président de la République et le Liban sont ballotés par ceux qui hypothèquent le sort du pays, en attendant la fin du bras de fer interne et externe qui dissipera la confusion et déterminera la façon d’utiliser la carte libanaise.