Le mois de juin a eu son lot de féminicides. Des femmes tuées pour la seule raison qu’elles étaient des femmes. En Égypte, un juge a tué sa femme, Shaima Gamal, une présentatrice de télévision de renom. Toujours en Égypte, une étudiante, Naira Ashraf, a été abattue aux portes de son université. Une troisième victime, Iman Irsheed, étudiante également, a été tuée sur le campus en Jordanie.

Au Liban, le souvenir du meurtre de Fatima Abbas et de ses trois filles, en mars dernier, reste très vif dans les esprits. L’horreur du crime a été largement relayée par les médias, tandis que d’autres actes horribles commis contre des femmes durant le même mois n’ont pas bénéficié du même traitement médiatique. C’est le cas notamment de l’affaire de la jeune fille à besoins spécifiques, violée dans un camp palestinien par son oncle et un agent de la sécurité palestinienne. Dès que la nouvelle du viol s’est répandue, la sécurité palestinienne s’est fendue d’un communiqué condamnant l’atteinte portée à la réputation des agresseurs.

Il y a une dizaine de jours, Tahani Harb (30 ans), mère de deux garçons, a été violemment agressée par son mari. Un rapport médical délivré à la suite de son hospitalisation indique que les violences conjugales dont elle a été victime ont provoqué une hémorragie de la rate, entraînant l’ablation de celle-ci, en plus de quatre côtes fracturées. Le mari, quant à lui, est un fugitif protégé et caché par sa famille.

La nouvelle du suicide d’une adolescente de 14 ans, Diaa Mahmoud al-Ghoul, a presque été passée sous silence. Originaire de la ville de Qerjaya dans le caza de Denniyé, au Liban-Nord, la jeune fille avait subi des pressions familiales afin d’épouser une personne qu’elle refusait.

Le plus révoltant, c’est la question posée systématiquement dès qu’une femme est agressée: "Qu’a-t-elle fait?"

Une telle question prouve bien que les femmes ne sont toujours pas considérées dans la conscience collective de larges franges des sociétés arabo-islamiques comme des personnes à part entière. L’absence de lois qui luttent contre la discrimination à leur encontre n’est pas à imputer à une application rigoureuse des textes religieux, mais plutôt à une éducation patriarcale qui perpétue une vision inférieure des femmes, voire qui légitime leur meurtre. Comme si le sort de la victime était une punition pour un crime qu’elle a commis. Souvent, des positions négatives adoptées et véhiculées dans ce cadre par la société, sont là pour justifier l’échec collectif de celle-ci à protéger les femmes. D’emblée, une suspicion préalable plane toujours sur les circonstances des agressions… Dans de nombreux cas, les femmes sont accusées d’avoir elles-mêmes provoqué les agressions dont elles sont pourtant les victimes. La violence à laquelle elles peuvent être exposées, allant jusqu’au meurtre dans certains cas, résulte soi-disant d’une réaction à un acte qu’elles auraient commis et qui aurait incité un homme à lui infliger une correction ou à s’emporter parce qu’il se considère poussé à bout.

Même les familles des victimes ont peur du "déshonneur" qui pourrait toucher la victime d’une agression ou d’un meurtre. Par conséquent, au lieu d’exiger des sanctions à l’encontre de l’agresseur, elles se retrouvent à défendre la victime contre toute attaque qui pourrait ternir sa réputation à titre posthume.

Malgré certaines avancées, les femmes sont toujours méprisées, même dans l’usage linguistique, dans le sens où l’on utilise toujours l’insulte contre la mère, la sœur, l’épouse ou la fille afin d’atteindre un homme dans son honneur. C’est à croire que l’honneur des hommes réside dans les organes reproducteurs des femmes. En réalité, la dégradation vécue par les sociétés arabes gonfle à bloc la masculinité. Les femmes sont dévalorisées et considérées comme un "défouloir" pour exprimer une colère refoulée, une sorte de réponse instinctive à l’oppression et à l’injustice, où les faibles se lâchent sur plus faibles qu’eux encore.

D’aucuns affirmeront que la violence contre les femmes n’est pas l’apanage des sociétés arabo-islamiques en citant des rapports mondiaux selon lesquels un tiers des femmes à travers le monde sont maltraitées et gardent le silence à ce sujet, et une victime sur dix seulement se présente à la police pour demander de l’aide. D’autres feront référence aux scandales liés au harcèlement et à la violence qui se produisent dans les pays occidentaux.

Mais, dans ces pays, lorsque des scandales liés à des célébrités ayant commis des crimes de harcèlement, de viol et de violence éclatent, ces dernières se trouvent incriminées moralement et professionnellement, sans compter les poursuites judiciaires dont elles font l’objet. Et ce, justement parce que les lois dans ces pays rendent justice aux femmes et les protègent dans une certaine mesure.

Au Liban, les conditions économiques, sociales et sanitaires semblent constituer un prétexte pour agresser les femmes. Les rapports publiés par les Forces de sécurité intérieure indiquent que le nombre de signalements de violence domestique a augmenté de 100% depuis le début de la crise en 2019.

En dépit de cette dégradation au niveau de la sécurité des femmes, aucun effort n’est fourni pour remédier aux failles juridiques qui permettent de perpétuer ce genre de comportements. Il est regrettable qu’un grand nombre de législateurs de la précédente Chambre se soient opposés à l’adoption d’une loi unifiée sur le statut personnel, qui abolirait la discrimination entre les femmes et les hommes, en leur permettant d’avoir la garde de leurs enfants, en protégeant leur intégrité physique, et en les considérant comme des êtres indépendants des hommes et non sous leur tutelle en permanence.

Il ne reste plus aux femmes qu’à suivre les débats liés à l’adoption des lois relatives à leurs droits les plus élémentaires, comme celui d’accorder la nationalité à leurs enfants, de refuser d’épouser leur violeur, de poursuivre ce violeur à hauteur de son crime, ou d’obtenir une pension alimentaire juste en cas de divorce, pour elles et pour leurs enfants, dont l’approbation ou l’exécution reste entravée là encore par des hommes, qu’il s’agisse de prélats ou de légistes.

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