Le Yémen subit depuis 2014 une guerre civile particulièrement dévastatrice sur fond de conflit tribal. Dès 2015, le conflit s’est internationalisé avec l’intervention de la coalition menée par l’Arabie Saoudite en soutien au président Abdrabbo Mansour Hadi, contre la milice des Houthis. Ces derniers, issus du chiisme zaydite, sont soutenus par l’Iran. Depuis avril, une trêve a été instaurée sous l’égide de l’ONU. Elle a été prolongée de deux mois ce mardi, en attendant de trouver une solution plus viable.

Huit ans après le début du conflit, le Yémen semble être dans une situation inextricable, marquée par de violents affrontements entre Houthis et loyalistes. Malgré l’intervention de puissances étrangères comme l’Arabie Saoudite et l’Iran, les deux parties peinent à affirmer leur supériorité. Les Houthis contrôlent le nord du pays, soit 30 % du territoire, mais qui comprend 70 % de la population. Les zones loyalistes au sud bénéficient cependant de la majeure partie des arrivées de marchandises.

En 2015, le président Abdrabbo Mansour Hadi est contraint à la démission en raison de la prise de Sanaa par les Houthis. Le gouvernement est alors transféré à Aden. Malgré une certaine supériorité militaire, les Houthis ont échoué l’année dernière dans la prise de la ville pétrolière de Marib, en raison du soutien important de l’Arabie Saoudite aux loyalistes. Sous l’égide de l’ONU, une trêve a été mise en place en avril et a été prolongée ce mardi pour une durée de deux mois.

La trêve a permis de réaliser la plus longue période de paix depuis le début du conflit, malgré de nombreuses violations. Au cœur de l’accord, la reprise des vols commerciaux depuis Sanaa et la réouverture du port de Hodeidah afin d’importer du carburant et de l’aide humanitaire pour les Houthis. En échange, ceux-ci se sont notamment engagés à rouvrir l’accès à la ville de Taïz, qu’ils assiègent. Cependant, les Houthis refusent d’ouvrir une des routes principales, privilégiant une route secondaire menant vers la ville.

Des différends importants

La ville de Taïz est au cœur des négociations en vue d’une prolongation durable de la trêve. En effet, bien que 80 % de la population vive dans la zone tenue par le gouvernement, les Houthis contrôlent les hauteurs de la ville, limitant ainsi les voies de circulation. Ils craignent en effet que l’ouverture des routes favorisent les loyalistes. Selon le chercheur David Rigoulet-Roze, " La question des routes autour de la ville de Ta’izz est très sensible, car l’ouverture des voies d’accès permettrait de briser le siège imposé par les Houthis sur l’importante ville de Ta’izz ".

Les combats ont lieu dans des montagnes particulièrement escarpées et difficiles d’accès.

Les Houthis ont en outre menacé d’attaquer de nouveau la ville de Marib. Riche en pétrole et en gaz, la province de Marib est d’une importance stratégique et permettrait aux Houthis d’avoir une certaine autonomie économique. En effet, comme le souligne le politiste yéménite Mustapha Aljabzi " L’échec de la prise de Marib les a contraints à accepter une trêve pour se reconstruire et se reformer ". Les Houthis en ont profité pour développer leurs capacités militaires, notamment grâce aux armes fournies par l’Iran. Ils disposent en outre d’une région bien organisée avec un gouvernement établi à Sanaa, un système de police, et des relations fortes avec l’Iran.

Manifestation contre le siège de Taïz. (AFP)

A côté, le pouvoir du conseil présidentiel de Rashad al-Alimi basé à Aden semble limité, malgré le soutien de l’Arabie Saoudite. Composé de huit membres, ce conseil présidentiel a été formé suite au départ du président Hadi. Il réunit plusieurs chefs de factions opposées aux Houthis. " Le gouvernement yéménite avait également besoin de cette trêve afin d’assurer la transition du pouvoir suite au départ du président Hadi ", souligne Moustapha Aljabzi. Face au refus des Houthis d’ouvrir les axes principaux de la ville de Taïz, le gouvernement a menacé de suspendre les négociations. Il demande en outre une partie des recettes du port de Hodeidah.

De leur côté, les Houthis accusent l’Arabie Saoudite de limiter le nombre de navires citernes arrivant au port de Hodeidah ainsi que les vols internationaux à partir de Sanaa.

Le rôle central de l’Arabie Saoudite

Pays frontalier, le royaume saoudien a toujours joué un rôle important dans la vie politique yéménite. Cependant, la nomination du prince héritier Mohammed ben Salmane, comme ministre de la Défense va renforcer l’implication saoudienne. En mars 2015, il lance l’opération " Tempête décisive " contre la milice Houthi, s’appuyant sur les armes américaines modernes dont dispose l’armée saoudienne. Cependant, malgré des bombardements massifs et la mise en place d’un blocus maritime et aérien, la coalition n’a obtenu que de maigres résultats. D’autant que les incursions récurrentes des Houthis dans les provinces du sud-ouest de l’Arabie Saoudite ont provoqué le mécontentement croissant d’une partie de la population.

Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (AFP)

A l’international, l’intervention a terni la réputation de l’Arabie Saoudite, déjà entachée par l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Le président américain Joe Biden avait à l’époque qualifié le royaume " d’État paria " et avait imposé des restrictions sur les ventes d’armes. Le Yémen subit une des pires crises humanitaires au monde. On dénombre des centaines de milliers de morts et le pays a plongé dans la famine.

Début 2022, le royaume saoudien a profondément changé sa stratégie, démontrant une volonté d’en finir avec le conflit. Ainsi, le pays a appuyé la demande de trêve de l’ONU, réalisée en avril 2022. " Les Saoudiens savent qu’ils ne peuvent pas gagner la guerre, ils voudraient se retirer du Yémen. Mais les paramètres du conflit ne sont pas uniquement yéménites, et une perspective de sortie de crise passe pour partie par l’Iran, soutien avéré des Houthis ", souligne David Rigoulet-Roze.

Renforcement de l’influence de l’Iran

Après l’intervention saoudienne, l’Iran s’est peu à peu investi dans le conflit. " La guerre au Yémen a considérablement rapproché l’Iran et les Houthis qui ne relèvent pourtant pas de la même obédience chiite. Mais il y a une forme d’instrumentalisation confessionnelle pour faire prévaloir des intérêts géopolitiques. Avant, il n’y avait pas véritablement de problèmes confessionnels au Yémen, mais plutôt des conflits politiques entre le Nord et le Sud, ou sous-tendus par affiliations à caractère tribal et/ou clanique. La confessionnalisation s’est développée à la faveur d’un conflit élargi régionalement parlant ", souligne David Rigoulet-Roze.

Des combattants houthis lors d’un échange de prisonniers (AFP)

L’Iran va apporter un soutien diplomatique et militaire aux Houthis, notamment par l’envoi d’armements et de conseillers militaires. Ainsi, l’intervention saoudienne a eu pour effet paradoxal de fortement augmenter l’influence de l’Iran au Yémen. " Initialement, l’Iran est intervenu au Yémen pour fragiliser la frontière méridionale des saoudiens car il s’agit d’une frontière sensible et imposée manu militari au Yémen par les Saoudiens en 1934. Dans ce contexte, les Houthis apparaissent en quelque sorte comme un proxy iranien utilisé en fonction d’intérêts géopolitiques régionaux. Mais les Houthis suivent également leur propre agenda yéménite qui ne coïncide pas toujours totalement avec celui de Téhéran, et ils sont moins inféodés à l’Iran que ne l’est par exemple le Hezbollah ", rappelle David Rigoulet-Roze.

Une sortie de crise ?

Malgré les tensions, l’ONU a annoncé ce mardi une prolongation de la trêve pour une durée de deux mois. Cet accord " comprend un engagement des parties à intensifier les négociations pour parvenir à un accord de trêve élargi dès que possible ". L’objectif à terme est de trouver une solution durable au conflit. En effet, comme l’affirme l’envoyé spécial de l’ONU pour le Yémen, "soyons clairs, l’alternative à la trêve est un retour aux hostilités et probablement une phase d’escalade du conflit avec toutes ses conséquences prévisibles pour les civils yéménites et la sécurité régionale".