©Une usine de puces de TSMC en Chine, à Nanjing. La Chine reste fortement dépendante de la technologie taïwanaise des puces, malgré ses efforts pour développer une production domestique. (AFP)
Au-delà de la garantie sécuritaire américaine, la puissance économique et technologique de Taïwan constitue sa plus solide défense contre une invasion chinoise. Une véritable interdépendance s'est instaurée au fil des années entre les "deux Chines", dans une complémentarité économique qui profite aux deux parties. L'industrie des puces électroniques, véritable trésor national, constitue une arme de choix avec laquelle Taïwan peut dissuader la Chine de l'envahir.
Près de 92% des puces dotées d'une technologie de pointe sont produites à Taïwan. (AFP)
Après la visite de Nancy Pelosi à Taïwan le 2 août dernier, la première d’un haut-responsable américain depuis 1997, les tambours de la guerre ont retenti, les médias du monde entier s’inquiétant d’un possible scénario à l’ukrainienne dans la région. Un véritable défilé militaire a eu lieu dans le détroit de Taïwan, entre incursions d’avions de guerre et de navires chinois dans l’espace aérien et maritime taïwanais, et exercices militaires taïwanais soutenus par les États-Unis.
Maillon essentiel de la « chaîne des îles » visant à contenir l’influence chinoise dans le Pacifique, Taïwan constitue un partenaire essentiel de Washington dans la guerre froide qu’il mène contre Pékin. Cependant, Taïwan n’est pas qu’un simple rempart anti-communiste dans la politique étrangère américaine. Farouchement attaché à son indépendance, le pays possède un atout dans sa poche dont Pékin est bien conscient: son industrie high-tech.
Malgré sa politique visant à diversifier les relations commerciales de Taïwan, l'île reste fortement dépendante de ses échanges avec la Chine continentale. (AFP)
Véritable paradoxe des relations sino-taïwanaises, les deux États se haïssent autant qu’ils dépendent l’un de l’autre. La Chine est ainsi le principal partenaire commercial de Taïwan, avec un volume d’exportations qui a atteint les 188 milliards de dollars en 2021. Un commerce excédentaire dont le dynamisme contraste fortement avec les tensions qui caractérisent les relations bilatérales. La Chine était ainsi la destination de 44% des exportations taïwanaises en 2019.
L’île exporte principalement des produits de haute-technologie à la Chine, et notamment des puces, équipements électroniques, ordinateurs, produits chimiques et instruments de précision. Des équipements dont l’industrie chinoise, en plein rattrapage technologique, a cruellement besoin, surtout dans un contexte de sanctions américaines sur les importations technologiques chinoises.
En effet, les exportations taïwanaises de semi-conducteurs et de puces ont crû de 27% en 2020, suite à l’augmentation de la demande mondiale de produits informatiques durant la crise sanitaire, et en réponse aux sanctions américaines. En effet, les firmes chinoises importent massivement des puces de Taïwan afin de constituer des réserves stratégiques.
Une dépendance que certains désignent comme une épée de Damoclès menaçant Taïwan, la Chine pouvant adopter une stratégie de chantage économique pour mettre le gouvernement indépendantiste à genoux.
Selon Jean-François di Meglio, directeur du think tank "Asia Centre",« la Chine a imposé récemment des sanctions sur l’économie taïwanaise, qui visent essentiellement l’agroalimentaire et concernent 100 millions de dollars d’échanges, soit une véritable goutte d’eau dans l’océan». Le chercheur estime que la dépendance économique est totalement réciproque. « Pékin ne s’en est jamais pris au commerce des puces, qui constitue le gros du commerce, car son industrie dépend des importations taïwanaises » ajoute-t-il.
Si la Chine est devenue le géant économique que l'on connaît actuellement, c’est en grande partie grâce aux capitaux et au savoir-faire taïwanais. Au début des années 90, période correspondant à l’ouverture économique de la Chine, les capitaux et les entrepreneurs taïwanais se sont rués vers le marché chinois, y apportant transferts technologiques, main d’œuvre qualifiée, et investissements.
Ainsi, l’île constituait le premier investisseur étranger en Chine continentale au début des années 90, tandis que trois à cinq millions de Taïwanais y vivaient entre 2003 et 2010. De nombreuses entreprises taïwanaises comptent principalement sur le marché chinois pour maintenir leur chiffre d’affaires, comme le géant de l’électronique Foxconn, ou la plupart des firmes agroalimentaires de l’île.
C’est tout naturellement vers la Chine que se tournent les investisseurs et entrepreneurs taïwanais, attirés par son large marché intérieur, sa proximité culturelle, et les nombreux liens familiaux qu’ils conservent avec le continent. Une forme d’intégration économique qui rappelle le principe « d’une seule Chine » auquel, tant bien que mal, les deux pays restent fidèles jusqu’à présent.
L’entreprise Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) est considérée comme un joyau national. (AFP)
Les États-Unis sont, comme la Chine, à la merci de l’industrie high-tech taïwanaise. Jean-François di Meglio estime même que cet argument économique se situe à égalité avec l’impératif géopolitique de contenir la Chine, pour les Américains. « L’industrie taïwanaise des puces a bénéficié d’apports de la Silicon Valley et des techniciens japonais, et il est très difficilement possible de rattraper son avance technologique. Aujourd’hui, seuls les Coréens et les Japonais peuvent rivaliser avec Taïwan dans ce domaine. » explique-t-il à Ici Beyrouth.
L’entreprise Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) est considérée comme un joyau national. Née suite à l’ouverture politique de Taïwan à la fin des années 80, l’entreprise est un véritable symbole de la réussite du modèle démocratique et libéral taïwanais. La valeur de son action est la plus élevée d’Asie, et elle se classe au 11e rang mondial en termes de capitalisation boursière.
La domination de Taïwan sur l’industrie des puces, à travers TSMC, est totale : le pays a produit 63% de l’offre mondiale de semi-conducteurs en 2020, et 92% des puces les plus avancées au monde. En un mot, le pays détient un véritable monopole technologique, un atout indéniable alors que la plupart des produits industriels nécessitent aujourd’hui ce matériau.
La domination de Taïwan sur cette industrie essentielle représente un potentiel goulot d’étranglement pour les circuits d’approvisionnement mondiaux, en cas d’invasion chinoise. C’est pourquoi de nombreuses puissances économiques, dont la Chine, les États-Unis et l’Union européenne, ont mis en place une stratégie de substitution aux importations pour développer leurs capacités de production domestique.
Le Sénat américain a récemment approuvé une législation prévoyant l’octroi de 52 milliards de dollars aux producteurs américains de puces, suivis par l’Union européenne et ses 32 milliards d’euros pour augmenter sa part de marché mondiale de 10 à 20%. Des investissements massifs à la hauteur de l’enjeu, mais qui ne suffiront probablement pas à résorber le retard technologique occidental, devenu abyssal, avec l’industrie taïwanaise.
Consciente de cette faiblesse stratégique, la Chine tente de développer sa production de puces, avec quelques prouesses technologiques à son actif. Cependant, elle n’est en mesure de couvrir que 15 à 20% de ses besoins en la matière, et continue de dépendre des talents de sa Némésis: deux des principales entreprises chinoises de puces sont dirigées par des Taïwanais.
Connue pour son industrie high-tech, Taïwan produit près de la moitié des semi-conducteurs du monde. (AFP)
Ainsi, le chantage économique n’est pas exercé par les Chinois, mais par Taïwan. Le dirigeant de TSMC, Mark Liu a récemment averti qu’une invasion chinoise « rendrait les usines de TSMC non-opérationnelles », leurs infrastructures étant sensibles à tout choc. Il a ajouté qu’il n’y avait aucune raison de penser que les forces taïwanaises laisseraient ces usines intactes en cas de défaite militaire, et que « personne ne peut contrôler TSMC par la force ».
Le message est clair et adressé au monde entier : l’industrie des puces taïwanaises serait la première victime en cas d’invasion chinoise, ce qui provoquerait une crise économique majeure.
Par conséquent, les usines de TSMC constituent un élément majeur de la politique de défense taïwanaise. Les usines de la firme sont situées stratégiquement le long de la côte ouest de Taïwan, considérée comme la zone la plus vulnérable à une attaque chinoise. Preuve de la centralité de TSMC, Nancy Pelosi a dîné avec deux dirigeants de l’entreprise lors de sa visite à Taïwan.
Cette théorie du « bouclier de silicone » constitue la meilleure protection de l’île et un argument imparable pour la communauté internationale. Loin de seulement agiter le spectre de la destruction de ses usines, Taïwan a fait de cette supériorité technologique un outil de diplomatie économique.
TMSC a ainsi complété cette année la construction d’une usine de fabrication de puces en Arizona, pour un montant de 12 milliards de dollars. En échange de la garantie sécuritaire américaine, Taïwan semble disposer à partager son savoir-faire, tout en conservant son avancée technologique.
Un exemple de realpolitik qui prouve que, loin des discours sur le modèle démocratique taïwanais et les valeurs libérales promues par l’île, les dirigeants américains s’occupent avant tout de leurs intérêts économiques en défendant Taïwan.
Près de 92% des puces dotées d'une technologie de pointe sont produites à Taïwan. (AFP)
Après la visite de Nancy Pelosi à Taïwan le 2 août dernier, la première d’un haut-responsable américain depuis 1997, les tambours de la guerre ont retenti, les médias du monde entier s’inquiétant d’un possible scénario à l’ukrainienne dans la région. Un véritable défilé militaire a eu lieu dans le détroit de Taïwan, entre incursions d’avions de guerre et de navires chinois dans l’espace aérien et maritime taïwanais, et exercices militaires taïwanais soutenus par les États-Unis.
Maillon essentiel de la « chaîne des îles » visant à contenir l’influence chinoise dans le Pacifique, Taïwan constitue un partenaire essentiel de Washington dans la guerre froide qu’il mène contre Pékin. Cependant, Taïwan n’est pas qu’un simple rempart anti-communiste dans la politique étrangère américaine. Farouchement attaché à son indépendance, le pays possède un atout dans sa poche dont Pékin est bien conscient: son industrie high-tech.
Une interdépendance totale entre les "deux Chines"
Malgré sa politique visant à diversifier les relations commerciales de Taïwan, l'île reste fortement dépendante de ses échanges avec la Chine continentale. (AFP)
Véritable paradoxe des relations sino-taïwanaises, les deux États se haïssent autant qu’ils dépendent l’un de l’autre. La Chine est ainsi le principal partenaire commercial de Taïwan, avec un volume d’exportations qui a atteint les 188 milliards de dollars en 2021. Un commerce excédentaire dont le dynamisme contraste fortement avec les tensions qui caractérisent les relations bilatérales. La Chine était ainsi la destination de 44% des exportations taïwanaises en 2019.
L’île exporte principalement des produits de haute-technologie à la Chine, et notamment des puces, équipements électroniques, ordinateurs, produits chimiques et instruments de précision. Des équipements dont l’industrie chinoise, en plein rattrapage technologique, a cruellement besoin, surtout dans un contexte de sanctions américaines sur les importations technologiques chinoises.
En effet, les exportations taïwanaises de semi-conducteurs et de puces ont crû de 27% en 2020, suite à l’augmentation de la demande mondiale de produits informatiques durant la crise sanitaire, et en réponse aux sanctions américaines. En effet, les firmes chinoises importent massivement des puces de Taïwan afin de constituer des réserves stratégiques.
Une dépendance que certains désignent comme une épée de Damoclès menaçant Taïwan, la Chine pouvant adopter une stratégie de chantage économique pour mettre le gouvernement indépendantiste à genoux.
Selon Jean-François di Meglio, directeur du think tank "Asia Centre",« la Chine a imposé récemment des sanctions sur l’économie taïwanaise, qui visent essentiellement l’agroalimentaire et concernent 100 millions de dollars d’échanges, soit une véritable goutte d’eau dans l’océan». Le chercheur estime que la dépendance économique est totalement réciproque. « Pékin ne s’en est jamais pris au commerce des puces, qui constitue le gros du commerce, car son industrie dépend des importations taïwanaises » ajoute-t-il.
Si la Chine est devenue le géant économique que l'on connaît actuellement, c’est en grande partie grâce aux capitaux et au savoir-faire taïwanais. Au début des années 90, période correspondant à l’ouverture économique de la Chine, les capitaux et les entrepreneurs taïwanais se sont rués vers le marché chinois, y apportant transferts technologiques, main d’œuvre qualifiée, et investissements.
Ainsi, l’île constituait le premier investisseur étranger en Chine continentale au début des années 90, tandis que trois à cinq millions de Taïwanais y vivaient entre 2003 et 2010. De nombreuses entreprises taïwanaises comptent principalement sur le marché chinois pour maintenir leur chiffre d’affaires, comme le géant de l’électronique Foxconn, ou la plupart des firmes agroalimentaires de l’île.
C’est tout naturellement vers la Chine que se tournent les investisseurs et entrepreneurs taïwanais, attirés par son large marché intérieur, sa proximité culturelle, et les nombreux liens familiaux qu’ils conservent avec le continent. Une forme d’intégration économique qui rappelle le principe « d’une seule Chine » auquel, tant bien que mal, les deux pays restent fidèles jusqu’à présent.
Le trésor caché de Taïwan
L’entreprise Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) est considérée comme un joyau national. (AFP)
Les États-Unis sont, comme la Chine, à la merci de l’industrie high-tech taïwanaise. Jean-François di Meglio estime même que cet argument économique se situe à égalité avec l’impératif géopolitique de contenir la Chine, pour les Américains. « L’industrie taïwanaise des puces a bénéficié d’apports de la Silicon Valley et des techniciens japonais, et il est très difficilement possible de rattraper son avance technologique. Aujourd’hui, seuls les Coréens et les Japonais peuvent rivaliser avec Taïwan dans ce domaine. » explique-t-il à Ici Beyrouth.
L’entreprise Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) est considérée comme un joyau national. Née suite à l’ouverture politique de Taïwan à la fin des années 80, l’entreprise est un véritable symbole de la réussite du modèle démocratique et libéral taïwanais. La valeur de son action est la plus élevée d’Asie, et elle se classe au 11e rang mondial en termes de capitalisation boursière.
La domination de Taïwan sur l’industrie des puces, à travers TSMC, est totale : le pays a produit 63% de l’offre mondiale de semi-conducteurs en 2020, et 92% des puces les plus avancées au monde. En un mot, le pays détient un véritable monopole technologique, un atout indéniable alors que la plupart des produits industriels nécessitent aujourd’hui ce matériau.
La domination de Taïwan sur cette industrie essentielle représente un potentiel goulot d’étranglement pour les circuits d’approvisionnement mondiaux, en cas d’invasion chinoise. C’est pourquoi de nombreuses puissances économiques, dont la Chine, les États-Unis et l’Union européenne, ont mis en place une stratégie de substitution aux importations pour développer leurs capacités de production domestique.
Le Sénat américain a récemment approuvé une législation prévoyant l’octroi de 52 milliards de dollars aux producteurs américains de puces, suivis par l’Union européenne et ses 32 milliards d’euros pour augmenter sa part de marché mondiale de 10 à 20%. Des investissements massifs à la hauteur de l’enjeu, mais qui ne suffiront probablement pas à résorber le retard technologique occidental, devenu abyssal, avec l’industrie taïwanaise.
Consciente de cette faiblesse stratégique, la Chine tente de développer sa production de puces, avec quelques prouesses technologiques à son actif. Cependant, elle n’est en mesure de couvrir que 15 à 20% de ses besoins en la matière, et continue de dépendre des talents de sa Némésis: deux des principales entreprises chinoises de puces sont dirigées par des Taïwanais.
Une véritable arme économique
Connue pour son industrie high-tech, Taïwan produit près de la moitié des semi-conducteurs du monde. (AFP)
Ainsi, le chantage économique n’est pas exercé par les Chinois, mais par Taïwan. Le dirigeant de TSMC, Mark Liu a récemment averti qu’une invasion chinoise « rendrait les usines de TSMC non-opérationnelles », leurs infrastructures étant sensibles à tout choc. Il a ajouté qu’il n’y avait aucune raison de penser que les forces taïwanaises laisseraient ces usines intactes en cas de défaite militaire, et que « personne ne peut contrôler TSMC par la force ».
Le message est clair et adressé au monde entier : l’industrie des puces taïwanaises serait la première victime en cas d’invasion chinoise, ce qui provoquerait une crise économique majeure.
Par conséquent, les usines de TSMC constituent un élément majeur de la politique de défense taïwanaise. Les usines de la firme sont situées stratégiquement le long de la côte ouest de Taïwan, considérée comme la zone la plus vulnérable à une attaque chinoise. Preuve de la centralité de TSMC, Nancy Pelosi a dîné avec deux dirigeants de l’entreprise lors de sa visite à Taïwan.
Cette théorie du « bouclier de silicone » constitue la meilleure protection de l’île et un argument imparable pour la communauté internationale. Loin de seulement agiter le spectre de la destruction de ses usines, Taïwan a fait de cette supériorité technologique un outil de diplomatie économique.
TMSC a ainsi complété cette année la construction d’une usine de fabrication de puces en Arizona, pour un montant de 12 milliards de dollars. En échange de la garantie sécuritaire américaine, Taïwan semble disposer à partager son savoir-faire, tout en conservant son avancée technologique.
Un exemple de realpolitik qui prouve que, loin des discours sur le modèle démocratique taïwanais et les valeurs libérales promues par l’île, les dirigeants américains s’occupent avant tout de leurs intérêts économiques en défendant Taïwan.
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