Au mois d’Aban 2019, l’année des 40 ans de la Révolution islamique d’Iran, un mouvement de contestation sans précédent a surgi en Iran. Au prix d’une brutale répression, les autorités avaient rétabli l’ordre. Un panel d’avocats internationaux enquêtant sur ces faits a accusé vendredi le gouvernement et les forces de sécurité de la République islamique de " crimes contre l’humanité ". Ces experts tirent la sonnette d’alarme alors que la mort de Mahsa Amini a déclenché une nouvelle vague de manifestations dans le pays.

Le Tribunal des atrocités en Iran (Aban), basé à Londres et mis en place par des organisations de défense des droits humains, a entendu plus de 250 témoins durant son enquête visant à déterminer si le régime iranien a transgressé le droit international dans sa répression de ces protestations inédites depuis la révolution islamique de 1979 et déclenchées après un bond du prix des carburants. Les autorités n’avaient réussi à ramener le calme dans le pays qu’au prix d’une répression violente, qui selon Amnesty International avait fait au moins 304 morts, illustrant l’intention délibérée de la police de tirer sur les manifestants.

 

Les protestations de 2019 étaient inédites depuis la révolution islamique de 1979 et déclenchées après un bond du prix des carburants.
1.515 tués

Le tribunal affirme que les éléments récoltés par les experts suggèrent que le nombre de morts serait bien plus élevé, et aurait même pu atteindre 1.515 tués. " Le panel considère à l’unanimité (…) qu’au-delà de tout doute raisonnable, le gouvernement iranien et les forces de sécurité ont conçu et mis en place un plan pour commettre des crimes contre l’humanité ", écrivent les six experts judiciaires du tribunal dans la synthèse de leur jugement.

Selon eux, différentes composantes du régime – du ministère de l’Intérieur à la redoutée milice Basij – ont perpétré des meurtres, arrestations, disparitions forcées, tortures et des violences sexuelles pour réprimer les manifestants, puis ont caché leurs crimes. Ils dressent une liste de 161 personnes impliquées dans ces accusations de crimes contre l’humanité, notamment le guide suprême Ali Khamenei, l’ancien président Hassan Rohani, ainsi que près d’une douzaine d’autres hauts responsables du régime.

Le Tribunal Aban – nommé en référence au mois durant lequel les évènements ont eu lieu – a été fondé par plusieurs ONG, dont Justice for Iran, basée à Londres, et Iran Human Rights, basée à Oslo en Suède. Comme d’autres témoins et proches de personnes mortes ou emprisonnées à l’époque, Mohammad Amin, 42 ans, était présent à Londres pour assister à la lecture du jugement.

 

Une station essence de Téhéran dévastée après une manifestation contre l’augmentation des prix du carburant en 2019.

 

Le choc Amini

Ce travail du tribunal " me rend très heureux, cela aurait dû être fait bien avant ", s’est félicité cet Irakien habitant au Royaume-Uni depuis l’an dernier, et qui a vécu les protestations dans sa région du Balouchistan, au sud-est de l’Iran. " Il y eu beaucoup de morts et de blessés dans ma région, ma ville. (…) J’ai vu les Gardiens de la révolution islamique et les forces de sécurité tirer sur les manifestants ", raconte-t-il. Le gouvernement iranien n’avait pu être joint dans l’immédiat pour réagir aux conclusions du tribunal.

Elles sont rendues publiques au moment où l’Iran est de nouveau agité par des manifestations après la mort d’une jeune femme arrêtée par la police des mœurs pour infraction au code vestimentaire strict du pays sur le port du voile islamique. " Les manifestations actuelles ressemblent à celle du mois d’Aban 2019, et la réponse du gouvernement a l’air d’être la même ", s’est inquiété Wayne Jordash, l’avocat ayant présidé le panel, interrogé par l’AFP après la lecture du jugement.

Avec AFP