Depuis le début des manifestations qui ont enflammé l’Iran en réaction à la mort de Mahsa Amini, un important mouvement de solidarité s’est organisé en France. En première ligne, la diaspora iranienne installée dans l’Hexagone qui espère la fin du régime islamiste.

Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Rennes, Nice… Les rassemblements se multiplient en France en solidarité avec le peuple iranien. A Paris, à l’initiative de plusieurs associations dont Amnesty International et la Ligue des droits de l’homme, une manifestation a eu lieu ce dimanche 2 octobre : au moins 10 000 personnes ont battu le pavé, de la place de la République jusqu’à celle de la Nation.

Déjà le samedi 24 septembre, plusieurs centaines de manifestants s’étaient réunis place d’Italie, à l’appel de la Ligue des femmes iraniennes pour la démocratie et de l’Association des Kurdes résidant en France. Aux bruits de " femme, vie, liberté ", devenu le principal cri de ralliement des Iraniennes et des Iraniens qui s’élèvent contre le régime des mollahs, les participants aux manifestations, venus " crier ensemble [leur] colère " après la mort de Mahsa Amini, n’hésitent pas à témoigner de leur espoir de voir naître un Iran " libre, démocratique et égalitaire ".

" Femme, vie, liberté " clament des milliers de personnes rassemblées place de la République à Paris, venues manifester en soutien avec le mouvement de contestation en Iran déclenché par la mort de Mahsa Amini arrêtée par la police des moeurs.

 

Parmi eux, de nombreux membres de la diaspora iranienne à Paris – pour beaucoup sous le statut de réfugiés politiques – mais aussi des Françaises et des Français émus par la mort de la jeune femme, en particulier des féministes et des étudiants engagés pour les droits humains.

Plusieurs partis de la gauche française ont aussi répondu à l’appel, notamment des militants de l’Union populaire de Jean-Luc Mélenchon, et des élus du Parti communiste, comme Ian Brossat, adjoint à la maire de Paris, qui a voulu saluer les femmes iraniennes " qui se battent pour leur liberté et la fin de cette théocratie ".

Alors que plusieurs mouvements de protestation ont eu lieu ces dernières années en Iran sans mener à des changements profonds, les manifestants se montrent cette fois plus optimistes. " Cette fois, c’est vraiment différent, les Iraniens sont très sérieux dans leur volonté de dégager ce régime dictatorial ", estime Massoud, installé en France depuis 2010. Pour lui, " le point fort de ce mouvement, c’est qu’il réunit toutes les ethnies d’Iran : les Kurdes, les Arabes, les Persans ".

La classe moyenne

Maryam, 36 ans, a, elle aussi, " beaucoup d’espoir " : " C’est différent des autres manifestations parce que cette fois-ci, la classe moyenne a rejoint la classe populaire. C’est toujours la classe populaire qui s’est battue contre le régime, qui est morte pour la liberté des Iraniennes et des Iraniens : cette fois-ci, ils ne sont plus seuls ! " Celle dont les sœurs se battent aujourd’hui dans les rues de Téhéran espère " une grande victoire du peuple d’Iran ".

 

Si la plupart des participants souhaiteraient un plus important soutien de la communauté internationale, ils ne se font cependant guère d’illusions. C’est que la rencontre entre Emmanuel Macron et le président iranien Ebrahim Raïssi à New York, le 20 septembre, a du mal à passer. Dans un contexte de risque de pénuries énergétiques cet hiver, sur fond de guerre en Ukraine, Paris lorgne sur le gaz iranien et n’hésite pas à mettre de côté les principes que sa diplomatie revendique. " Macron veut réchauffer la France avec le sang du peuple iranien ", déplore Maryam.

Pour Massoud, la poignée de main entre les deux chefs d’État est " une honte pour la France ". Il constate que " les États en Occident regardent d’abord leurs intérêts économiques avant ceux des populations ". Claire, qui " lutte depuis cinquante ans pour la cause des femmes partout dans le monde ", souhaiterait que son pays soit " capable de dire non à ces régimes fascistes, destructeurs, dictatoriaux ". Soulignant les sanctions qui touchent aujourd’hui la Russie, elle juge " intolérable " qu’il y ait " deux poids, deux mesures en fonction des intérêts des gouvernements ". " Où on est du côté de la démocratie, où on ne l’est pas ", conclue-t-elle tandis que les manifestants entament un " Raïssi, assassin ! Macron, complice ! "

Influence " très oppressante "
Samedi dernier déjà, un important rassemblement a eu lieu Place d’Italie, à Paris.

 

Keffieh palestinien sur la tête, Tina, 27 ans, est venue par " solidarité " et " sororité " avec les femmes d’Iran. Se réclamant " de gauche, marxiste et féministe ", elle se veut aux côtés " des peuples qui souffrent des mêmes régimes autoritaires et patriarcaux partout dans le monde et en particulier au Moyen-Orient ". Syro-Libanaise, elle s’indigne contre l’influence " très oppressante " de l’Iran dans ses deux pays d’origine : " En Syrie, on a vu le régime iranien intervenir pendant la révolution, en soutien au régime de Bachar Al Assad ; au Liban, l’Iran soutien le Hezbollah qui est un parti mafieux, dont les opposants, surtout chiites, risquent leur vie ".

Mais les manifestations ne sont pas exemptes de tensions. Le dimanche 25 septembre, le cortège parti de la place du Trocadéro s’est accroché avec la police. Réunissant plusieurs milliers de personnes, une partie d’entre eux a voulu atteindre l’ambassade de la République islamique et a fait l’objet de multiples tirs de gaz lacrymogènes par les forces de l’ordre. Une personne a été interpellée tandis qu’un policier a été légèrement blessé par des manifestants ayant tenté de forcer les barrages.

Samedi dernier, un important rassemblement a eu lieu Place d’Italie, à Paris.

 

Le rassemblement du dimanche 2 octobre, plus massif encore que les précédents, a été rallié par de nombreux anonymes mais aussi un nombre important d’élus de la gauche française comme Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, Laurence Rossignol, sénatrice connue pour son engagement féministe, ou encore Alexis Corbière, l’une des principales figures de l’Union populaire.

Si les discours de ces derniers ont fait l’objet d’applaudissements, celui de Sandrine Rousseau, députée écologiste de Paris, a été largement hué par la foule, rendant inaudible son intervention. Interrogés, plusieurs manifestants se sont déclarés " scandalisés " par la présence d’une élue qui se montrerait " ambiguë avec l’islam politique " et à qui ils reprochent " d’instrumentaliser la cause des femmes à des fins politiciennes ".

La manifestation s’est cependant terminée dans le calme, place de la Nation, où des drapeaux de la République islamique et des foulards ont été brulés par les manifestants, aux cris de " Khamenei dégage de l’Iran ". D’autres rassemblements sont prévus cette semaine, à Paris et dans d’autres villes françaises : refusant que " Mahsa soit morte pour rien ", les participants interrogés ont tous déclaré souhaiter y participer, jusqu’à ce que " les Iraniennes et les Iraniens soient enfin libres de décider souverainement de leur destin ".

A ce jour, selon l’ONG Iran Human Rights, la répression du mouvement de contestation en Iran aurait fait au moins 92 morts.