Rares sont ceux qui se souviennent de l’accord d’Adana signé le 20 octobre 1998 entre la Syrie (du vivant du président syrien Hafez el-Assad) et la Turquie. Cet accord, qui célèbre cette année son 24ᵉ anniversaire, est l’un des textes précurseurs de la normalisation des relations entre les deux pays. Il est intervenu suite à la forte pression politique et militaire exercée par la Turquie sur la Syrie, et la mobilisation des troupes terrestres turques à la frontière syrienne. À l’époque, Ankara était préoccupé par l’hébergement par Damas des dirigeants et des cadres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et de son chef Abdullah Öcalan, qualifiés de terroristes par les autorités turques.

Quelques semaines après la signature de l’accord d’Adana, Öcalan a fui la Syrie vers la Russie, puis l’Italie et la Grèce, avant de se réfugier à l’ambassade de Grèce à Nairobi (Kenya), où il a été arrêté et extradé vers la Turquie en février 1999.

À l’époque, le régime Assad ne se souciait pas trop de signer un accord, fut-il à caractère sécuritaire, avec un État qu’il accuse justement d’occuper une partie de son territoire, Alexandrette (Iskenderun) la "spoliée" en l’occurrence, comme décrit dans la rhétorique politique officielle de la Syrie. Le pragmatisme politique et la nature des rapports de force à ce moment-là l’avaient emporté.

Aujourd’hui, une "normalisation" attendue entre Ankara et Damas revient sur le devant de la scène. À cet effet, des réunions entre les forces de sécurité et des renseignements auraient déjà commencé entre les deux parties, conduisant à l’annonce par le président turc Recep Tayyip Erdogan de la possibilité d’une rencontre avec son homologue syrien "au moment approprié". À noter que pendant des mois, Ankara avait laissé entendre qu’il était disposé à lancer une opération militaire dans le nord de la Syrie pour frapper les poches de résistance qu’il considère comme une menace imminente pour sa sécurité nationale. Si aujourd’hui la Turquie a provisoirement gelé cette opération en raison de l’absence d’une couverture internationale, cela ne signifie pas pour autant que cette option a été écartée.

Le nord de la Syrie regorge de forces étrangères et de multiples factions militaires, en particulier américaines, russes et turques, sans compter les réseaux iraniens et leurs milices, ainsi que les Forces démocratiques syriennes, l’Organisation de libération du Levant (Hay’at Tahrir al-Cham), les cellules et poches subsistantes de l’État islamique (Daech) et du Front al-Nosra. Partant, la réalité sur le terrain est particulièrement complexe dans cette région, et l’absence de consensus politique entre les forces actives et influentes dans le conflit syrien n’arrange en rien la situation. Par conséquent, les déclarations politiques et médiatiques qui parlent de victoire du régime Assad relèvent du populisme, guère plus.

Certes, le régime syrien a repris du poil de la bête alors qu’il était sur le point de sombrer, et ce grâce à l’intervention militaire russe directe en 2015 et aux bombardements brutaux du pouvoir en place, y compris son usage de barils explosifs. Cependant, la survie du régime au détriment de sa population et au prix de la destruction du pays, avec la plus grande vague de déplacés et de réfugiés aussi bien à l’intérieur du pays que vers l’extérieur, ne peut pas être qualifiée de victoire.

Par ailleurs, l’accord conclu entre Washington et Moscou qui a conduit à une neutralisation des armes chimiques syriennes a transmis en contrepartie un message clair au régime syrien, selon lequel il est libre de massacrer son propre peuple, mais pas au moyen d’armes chimiques. Évidemment, Israël a été le premier bénéficiaire, non seulement de cet accord, mais surtout de la fragmentation syrienne en général. Sachant que ce n’est pas la première fois que le régime de Damas sert les intérêts d’Israël. Preuve en est, le calme qui prévaut sur le front du Golan occupé, où pas une seule balle n’a été tirée depuis des décennies dans le but de libérer ce territoire.

En outre, le traité d’Astana, signé le 4 mai 2017 entre la Russie, l’Iran et la Turquie, a réussi à maintenir la situation sur le terrain sous contrôle des trois puissances, tout en évitant un enchevêtrement de leurs intérêts, et des affrontements entre leurs forces et les factions qui gravitent dans leur orbite. Ce traité a aussi transformé la réalité existante dans le sens où la priorité n’est plus d’éliminer Assad et de renverser son régime, mais de circonscrire les forces de la révolution et les factions armées dans des zones géographiques spécifiques.

Cependant, cet accord demeure insuffisant pour régler le volet politique qui, lui seul, mettrait fin à la guerre en Syrie et à l’effondrement du pays. Enfin, compte tenu du repli américain et de l’attention de la communauté internationale fixée sur la guerre russo-ukrainienne, et les problèmes qui en ont découlé, notamment dans le domaine de l’approvisionnement en énergie et en gaz, il semblerait que le statu quo risque de se prolonger en Syrie, perpétuant la souffrance du peuple syrien et, dans la foulée, celle de la population libanaise également!

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