Arrivé dimanche soir au Mexique pour le sommet des dirigeants d’Amérique du Nord, le président américain Joe Biden devra affronter de nombreux dossiers qui comptent parmi les plus périlleux de son mandat, qui souhaitait rompre avec l’ère Trump.

Crise migratoire sans précédent, fléau du fentanyl, relations fraîches avec le chef d’État mexicain Andrés Manuel López Obrador… malgré ses succès politiques intérieurs récents, le démocrate de 80 ans peine à garantir des solutions régionales. Joe Biden espère améliorer ses relations avec Mexico en ce sens, au sommet des dirigeants d’Amérique du Nord, un format diplomatique qui réunit États-Unis, Mexique et Canada, liés par un traité de libre-échange depuis 1994.

Arrivée du président américain Joe Biden au Mexique, reçu par son homologue mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO). (AFP)
Chocs diplomatiques

Alors qu’il entretenait des rapports cordiaux avec le gouvernement de Donald Trump, le président Andrés Manuel López Obrador a infligé plusieurs camouflets diplomatiques inattendus à l’administration Biden-Harris depuis janvier 2021. Lors d’une de ses très suivies conférences matinales le 5 mai dernier, il avait notamment diffusé en direct le clip musical Somos más americanos (" Nous sommes plus américains que vous " en espagnol) du groupe Los Tigres del Norte, en réponse à une remarque du gouverneur du Texas Greg Abbott.

Dans ces mêmes conférences matinales, AMLO avait à plusieurs reprises joué sur la carte de l’anti-impérialisme et de l’anticolonialisme pour critiquer à demi-mots le gouvernement Biden, rappelant l’emploi incorrect d' "Amérique " pour désigner les seuls États-Unis, ou invoquant les territoires perdus lors de la guerre américano-mexicaine de 1848 au profit de Washington.

La relation entre les États-Unis et le Mexique " n’a jamais été aussi forte ", avait déclaré le président américain Donald Trump alors qu’il recevait son homologue mexicain, Andrés Manuel Lopez Obrador, à la Maison-Blanche en 2020. (AFP)

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, le chef d’État mexicain a, au nom de la doctrine Estrada de non-ingérence, refusé de s’allier au bloc occidental pour condamner ouvertement l’invasion russe. Enfin, il avait bouder le Sommet des Amériques à Los Angeles en août dernier. Joe Biden et AMLO essayeront donc cette fois, à Mexico, d’accorder un peu leurs violons en matière de production d’énergie et de politique industrielle.

Les projets du président mexicain, chantre de la souveraineté énergétique, en faveur des entreprises publiques du secteur, font grincer des dents aux États-Unis et au Canada. Les grands plans de Joe Biden pour stimuler la production de voitures électriques américaines inquiètent quant à eux ses voisins.

L’exode américain

Mais le dossier le plus périlleux politiquement pour le président démocrate est l’exode massif de millions de migrants forcés, originaires principalement du Triangle Nord de l’Amérique centrale (Honduras, El Salvador, Guatemala), du Venezuela, d’Haïti, du Mexique, du Nicaragua, ainsi que de certains pays africains.

Aux États-Unis, malgré la volonté de Biden de réparer avec " humanité " un système d’immigration " cassé " par quatre années de trumpisme, c’est en réalité la prolongation de ces mêmes politiques par son administration qui maintiennent une pression migratoire sur le nord du Mexique.

Des migrants sont tirés à travers le Rio Grande par des passeurs alors qu’ils traversent la frontière américano-mexicaine sur des radeaux à Roma, au Texas. (AFP)

Le Département américain de la Sécurité intérieure a expulsé un nombre record de 2,5 millions de personnes au nom d’une politique sanitaire datant de 1944, le Titre 42, mise en place par Donald Trump au début de la pandémie de Covid-19. Au lieu d’annuler la mesure par décret, Biden l’a maintenue malgré un feuilleton judiciaire en cours pour l’abolir. L’administration Biden-Harris avait également maintenu à deux reprises le programme Restez au Mexique, autre politique controversée de l’ère Trump.

Celle-ci violait le principe de non-refoulement du droit international, empêchant les demandeurs d’asile de demeurer en territoire américain le temps de leur procédure. Avec un système douteux de listes et d’audiences sans cesse repoussées, près de 75,000 réfugiés ont dû attendre dans des conditions sécuritaires et sanitaires déplorables pendant près de deux ans à la frontière nord du Mexique.

La guerre interminable

Or, le président mexicain AMLO ne parvient pas à garantir un contrôle efficace de ses frontières, notamment intérieures, dans un contexte sécuritaire catastrophique. Malgré une très controversée militarisation du territoire et des institutions mexicaines depuis 2019, en grande partie financée par les États-Unis, le gouvernement central peine à contrôler l’influence des cartels. La violence provoquée par ces derniers a atteint un niveau inouï depuis le début de la guerre contre les drogues en 2006.

Culiacán, capitale de l’État du Sinaloa, avait été le théâtre de véritables scènes de guerre lors d’une première tentative d’arrestation en 2019 du " trafiquant-clé de Fentanyl ", Ovidio Guzman, fils du narco-trafiquant " Chapo " Guzman. (AFP)

Le fentanyl, une drogue synthétique responsable de la grande majorité des overdoses aux États-Unis, est à l’origine d’une crise des opiacés sans précédent que Joe Biden souhaite aborder avec son homologue mexicain. La ville de Culiacán, capitale de l’État du Sinaloa, avait été le théâtre de véritables scènes de guerre lors d’une première tentative d’arrestation en 2019 du " trafiquant-clé de fentanyl ", Ovidio Guzman, fils du narco-trafiquant " Chapo " Guzman, qui purge une peine de prison à vie aux États-Unis. Les médias évoquaient le Culiacánistan, en référence à l’Afghanistan mexicain.

Les narcotrafiquants avaient alors encerclé la ville, forçant les autorités à relâcher le baron de la drogue. L’épisode avait été perçu comme un échec de la politique Abrazos no balazos du président AMLO (" des câlins, pas des balles "). Jeudi dernier, l’administration d’AMLO avait de nouveau lancé une opération, fructueuse cette fois-ci, pour appréhender Ovidio Gúzman. L’administration Biden a d’ores et déjà salué l’arrestation sanglante qui a fait au moins 29 victimes parmi les civils et les forces de l’ordre.

Maxime Pluvinet