Le 15 mars 2011, en pleine ruée du Printemps arabe, la révolution syrienne est lancée avec de vastes manifestations réclamant la fin du régime autoritaire de Bachar al-Assad. Il s’ensuivit une guerre civile meurtrière venue allonger la liste d’innombrables conflits sans issue apparente.

Le 6 février 2023, un séisme dévastateur et meurtrier remet la Syrie au cœur des évènements. Dernier en date: l’annonce de l’organisation d’une réunion quadripartite à Moscou entre les vice-ministres des Affaires étrangères turc, russe, iranien et syrien en vue d’organiser ultérieurement une réunion au niveau ministériel. C’est le point départ d’une volonté d’ouverture, notamment arabe, mais aussi turque, à l’égard de Damas. Une "diplomatie du séisme" porteuse d’espoir pour un autocrate aux abois et un peuple sacrifié et meurtri.

Pour le président syrien, la rupture de son isolement diplomatique est une priorité absolue. Pour rappel, la Turquie avait amorcé un rapprochement par l’intermédiaire de la Russie. Le président turc avait même émis le souhait de rencontrer son homologue syrien, proposition rejetée par Assad qui exige le retrait des troupes turques de son pays. Cependant, le séisme fut le coup d’accélérateur à une possibilité de réconciliation, une réponse à la main tendue par Ankara.

Côté arabe, la politique d’ouverture est belle et bien amorcée. Pourtant, plus de 300.000 civils sont morts depuis le début de la guerre civile, dont plus de la moitié tuée par les forces du régime. Cela n’a visiblement pas empêché de nombreux dirigeants arabes d’exprimer leur empathie après le tremblement de terre.

Coup de théâtre : le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi contacte son homologue syrien, un évènement surprenant et sans précédent depuis son arrivée au pouvoir en 2014.

Le roi de Bahreïn Hamad Ben Issa al-Khalifa va plus loin en ayant une première conversation officielle en plus de dix ans, bien que le royaume ait rétabli des relations diplomatiques avec la Syrie depuis quatre ans.

De son côté, le président tunisien, Kaïs Saïed, a même annoncé une élévation du niveau de la représentation diplomatique à Damas, alors que les relations entre les deux pays sont rompues depuis plus de 10 ans.

Par ailleurs, le président des Émirats arabes Unies, Mohammad ben Zayed, a contacté Assad, ainsi que plusieurs autres dirigeants arabes.

Selon le journal syrien d’opposition Enab Baladi, "ces messages reflètent une attitude plus douce envers Assad, alors que la révolution syrienne achève sa douzième année".

Cette politique d’ouverture arabe s’est surtout concrétisée avec les visites à Damas du ministre des Affaires étrangères émirati, cheikh Abdallah ben Zayed, de ses homologues égyptien, Sameh Choukri, et jordanien, Ayman el-Safadi.

Il y a donc un consensus clair parmi les pays arabes (à l’exception de l’Arabie saoudite) sur une volonté d’apaisement à l’égard du régime syrien et sa possible réintégration dans la Ligue arabe.

Afin d’atténuer les différends entre l’Arabie saoudite et la Syrie, le sultanat d’Oman s’est imposé comme médiateur. N’ayant jamais coupé les ponts avec le régime syrien, Muscat est le plus à même de composer avec Bachar al-Assad. Pour cause, la visite du président syrien à Oman le 20 février dernier fut le point de départ de toutes les manœuvres diplomatiques qui s’ensuivirent.

La position saoudienne reste mitigée quant à la réintégration de Damas: Ryad ne cache pas ses réticences et maintient son boycott diplomatique. Depuis peu, les yeux sont rivés sur le royaume wahhabite qui commence à montrer des signes de changement.

Durant la conférence de Munich sur la sécurité, mi-février, le chef de la diplomatie saoudienne, Fayçal ben Farhane, a acté le consensus régional en faveur d’un rapprochement avec Damas. Il ajoutera plus tard depuis Moscou que "la réintégration de la Syrie à la Ligue arabe est toujours prématurée".

En tout état de cause, les Saoudiens ne cèderont rien à Damas. Ils attendent des changements concrets, principalement sur le dossier du Hezbollah. Tous ces contacts ne garantissent pas un retour de Damas à la Ligue arabe dont elle a été exclue en 2011, il s’agit avant tout de realpolitik. Assad est assis sur un pays dévasté, son retour en scène ne sera donc que relatif.

En novembre 2022, d’ailleurs, l’Arabie saoudite avait explicitement apposé son veto quant à la participation de la Syrie au sommet d’Alger. En tout état de cause, si la Syrie parvient à améliorer ses relations avec Ryad, la route vers la normalisation arabe sera grande ouverte.

Si le chemin de la réintégration de Damas au concert des pays arabes semble long, le processus de rapprochement est, lui, déjà amorcé.

Mais, déjà, un fleuve de questions surgit: Cette ouverture est-elle le fruit d’une stratégie concertée, ou s’arrête-t-elle aux portes de l’effort humanitaire?

Si elle est authentique, permettrait-elle pour autant au régime de Bachar al-Assad de se détourner de son allié iranien pour rejoindre la famille arabe? Là, le Big Bang du 10 mars doit porter beaucoup de réponses.

Le rétablissement, soudain et inattendu, des relations diplomatiques entre l’Arabie et l’Iran et les suites de ce rapprochement décideront de l’avenir de la Syrie. Damas fait-elle partie du " package " négocié entre Ryad et Téhéran, si " package " il y a? Ou bien la question reste entière?

Après tout, Fayçal ben Farhane a tenu à préciser que l’accord irano-saoudien " ne règle pas tous les différends entre les deux pays ".

Une dernière question, et non des moindres: cette ouverture suffira-t-elle à réhabiliter un président coupable de massacres et d’autres exactions contre son propre peuple?