La signature de l’accord de Pékin scellant la normalisation des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite fut un coup de théâtre. Depuis le 10 mars dernier, la rapidité de l’application de cet accord fut fulgurante. Si les deux parties manifestent leur désir d’enterrer une fois pour toute la hache de guerre, rien n’est gagné à long terme.

Cette détente, obtenue après plus de deux ans de pourparlers secrets à Bagdad puis à Mascate, pourrait constituer un tournant géopolitique. Elle prévoit notamment que Ryad et Téhéran rouvrent leurs ambassades dans un délai de deux mois et qu’ils réactivent les accords sécuritaire et économique signés dans les années 2000.

Le président iranien Ebrahim Raïssi lors de sa visite à Pékin en février dernier.

Pour rappel, la période 1990-2005 fut qualifiée par certains observateurs de "l’âge d’or" des relations entre Ryad et Téhéran, durant les deux mandats consécutifs des présidents iraniens Akbar Hashemi Rafsandjani et Mohammad Khatami. D’ailleurs, en 2001 est signé un accord de sécurité entre les deux pays qui sera relancé avec la signature de l’accord de Pékin, le 10 mars 2023.

Néanmoins, avec l’élection du président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad, en 2005, commence une période de tension. Cette dégradation n’a cessé de s’accroître au rythme de la reprise du programme nucléaire de la République Islamique. Étant officiellement toujours suspendue, l’enrichissement de l’uranium à l’usine d’Ispahan avait secrètement repris, de quoi mettre le feu aux poudres entre les deux pays.

Ainsi, l’alternance politique en Iran entre réformateurs et conservateurs définit le sort des relations entre ces deux puissances régionales, ce qui montre la difficulté de composer durablement avec Téhéran.

Radicalisation

Avec l’élection de 2005, les rapports ne pouvaient que se dégrader par la radicalisation de la politique iranienne. Les pays arabes, et à leur tête l’Arabie Saoudite, redoutaient autant l’ambition décuplée que donneraient à Téhéran le statut de puissance nucléaire que la riposte que susciterait toute initiative militaire destinée à entraver ce projet.

En 2009, plusieurs escarmouches ont lieu entre milices houthis (financées par le régime iranien) et l’armée saoudienne à la frontière yéménite. En 2014 les Houthis s’emparent de la capitale Sanaa, prémices à l’intervention militaire de l’Arabie Saoudite à la tête d’une vaste coalition de pays arabes en 2015.

L’entrée de l’ambassade, fermée, d’Arabie saoudite à Sanaa est couverte de graffiti témoignant de l’animosité des Houthis contre le royaume wahhabite.

L’Iran a maintenu son grand rival sous pression à travers l’influence qu’il exerce sur le mouvement houthi. Celui-ci a enchaîné les tirs de roquettes et de drones contre le territoire saoudien, tandis que les attaques contre des pétroliers dans le détroit d’Ormuz se multipliaient.

Finalement, en janvier 2016, l’exécution du religieux chiite saoudien pro-iranien Nemer El-Nemer provoque l’émergence de contestations qui visent le consulat saoudien dans la ville de Machhad, en Iran. Simultanément, l’ambassade de Ryad à Téhéran est prise d’assaut par des manifestants qui la saccagent. Le 3 janvier, le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Joubeir annonce la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays.

Pour une relation de confiance

L’accord sous l’égide de Pékin survient à un moment crucial pour la République islamique. Après avoir fait face à un soulèvement d’une ampleur inédite suite à la mort de Mahsa Amini, Téhéran est confronté à une chute historique de sa monnaie face aux devises étrangères.

Des voix s’élèvent, même parmi certains soutiens de l’Iran, pour dénoncer le président ultraconservateur, Ibrahim Raïssi, qualifié d’incompétent par un nombre croissant d’Iraniens. Sur la scène internationale, la République islamique est de plus en plus isolée par ses violations répétées de l’accord sur son programme nucléaire.

L’absence d’avancées sur ce dossier semble avoir convaincu Ryad, engagé dans une offensive diplomatique au Moyen-Orient, de manœuvrer pour s’assurer que Téhéran ne dépasse pas certaines lignes rouges.

Le président Xi Jinping s’est, lui, rendu à Ryad en décembre dernier. Pékin a donc fait jouer discrètement sa diplomatie pour rapprocher les deux puissances régionales. 

Aujourd’hui, avec la signature de l’accord de Pékin, un grand enthousiasme est à signaler de part et d’autre de la table des négociations. Nombreux sont les dossiers à traiter par ces deux puissances régionales concurrentes.

Depuis le 10 mars dernier, les choses se sont accélérées. D’abord, l’Arabie Saoudite a lancé une invitation officielle au président Raïssi à se rendre à Ryad. Simultanément, Téhéran a convié le roi Salmane ben Abdelaziz Al-Saoud à une visite officielle. Parallèlement, plusieurs entretiens téléphoniques ont eu lieu entre de hauts responsables saoudiens et iraniens.

Le 6 avril dernier, les deux ministres des Affaires étrangères se sont rendus une fois encore à Pékin afin d’officialiser l’accord au plus haut niveau. À cette fin, des équipes techniques se sont rendues à Ryad et Téhéran pour inspecter et rouvrir les portes des ambassades respectives.

Scepticisme

Concernant le dossier yéménite, une délégation saoudo-omanaise s’est rendue à Sanaa pour rencontrer les responsables houthis et négocier la mise en place d’une feuille de route en vue d’une solution politique au conflit qui ravage le pays depuis 2014.

Par ailleurs, les campagnes de propagande entre les deux pays semblent avoir cessées. À Beyrouth, notamment, les observateurs relèvent que les diatribes, généralement fréquentes, du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah contre l’Arabie Saoudite ont disparu comme par enchantement. L’Arabie Saoudite a de son côté pris ses distances avec la chaîne télévisée d’opposition " Iran International " basée à Londres.

Des spéculations émergent même quant à une sortie de crise au niveau de la présidentielle au Liban, qui pourrait être facilitée par l’alignement sur une figure consensuelle. Sans, pour autant, une concrétisation apparente pour l’instant.

Certains se disent confiants pour la bonne raison que les deux parties ont intérêt à enterrer la hache de guerre. D’autres, plus sceptiques, estiment que c’est trop beau pour être vrai et que les deux pays se feront toujours concurrence. Il reste que l’accord démarre sur de bonnes bases. En vérité, le réel problème réside dans le fait que la rivalité entre Ryad et Téhéran a toujours été la conséquence de la politique interventionniste iranienne dans le monde arabe, que ce soit en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen, à Gaza ou dans les Pays du Golfe.

L’Iran semble avoir intérêt à respecter et s’investir dans la réconciliation avec l’Arabie Saoudite. Toutefois, rien ne garantit que cela durera à long terme. Affaire à suivre…