L’opposant kazakh Moukhtar Abliazov, réfugié politique en France, a déclaré jeudi à l’AFP qu’une " révolution " était en marche dans son pays et dénoncé " l’occupation " du Kazakhstan par des forces russes, appelées à la rescousse par le pouvoir en place.

" En trois jours littéralement, une révolution s’est produite. C’est une vraie révolution ", a-t-il lancé lors d’un entretien à Paris, où il vit.

" Le changement de régime n’a pas encore eu lieu mais la révolution a déjà eu lieu dans les esprits ", considère l’ex-banquier et ex-ministre de 58 ans tombé en disgrâce dans son pays à la fin des années 1990.

" Je considère que c’est la fin du régime, la question c’est seulement combien de temps cela va prendre ", dit-il. " Il peut tenir un an mais tout peut aussi basculer en deux semaines ", esquisse-t-il.

L’ex-république soviétique, plus grand pays d’Asie centrale, est ébranlée par une contestation qui a éclaté dimanche dans l’ouest après une hausse des prix du gaz avant de gagner Almaty, la capitale économique, où les manifestations ont viré à l’émeute contre le pouvoir.

Jeudi, les autorités ont fait état de " dizaines " de manifestants tués et plus d’un millier de personnes blessées.

Dix-huit membres des forces de sécurité ont aussi été tués et 748 blessés, ont par ailleurs rapporté les agences de presse, citant les autorités.

Nazarbaïev à Abou Dhabi ?

Sous la pression de la rue, le président Kassym-Jomart Tokaïev a limogé le gouvernement et concédé une baisse du prix du gaz.

Pour Moukhtar Abliazov, après trois décennies de régime autoritaire, " les gens ont compris qu’ils ne sont pas faibles, qu’ils peuvent contraindre le régime à écouter le peuple ".

" Ils ont commencé à faire tomber les statues de Noursoultan Nazarbaïev ", l’ancien président qui conserve une grande influence après avoir dirigé le pays de 1989 à 2019, a-t-il raconté.

Selon lui, l’ex-président, considéré comme le mentor du chef de l’Etat actuel, s’est réfugié à Abou Dhabi après le début des émeutes. Cette information n’était pas immédiatement vérifiable de manière indépendante.

" Les gens maintenant voient que s’ils s’unissent, ils peuvent renverser des statues, faire chuter le gouvernement ", assure-t-il.

Le président kazakh a aussi demandé l’aide de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), une alliance militaire qui rassemble plusieurs anciennes républiques soviétiques autour de la Russie. Des troupes russes sont arrivées jeudi au Kazakhstan pour appuyer le pouvoir en place.

Pour l’opposant, le pouvoir " a eu peur et a demandé l’aide de Poutine qui veut rebâtir l’ancienne Union soviétique (…) et a profité de la situation " pour intervenir militairement.

Premier ministre

" Pour nous c’est une occupation ", a-t-il martelé en appelant les Kazakhs à " organiser des grèves et bloquer les routes ".

L’opposant compte lui-même poursuivre son combat depuis Paris – où il a créé un parti d’opposition, le Choix démocratique du Kazakhstan – en attendant de pouvoir rentrer dans son pays, et va demander à rencontrer le président français Emmanuel Macron.

Il se dit prêt à devenir Premier ministre d’un gouvernement provisoire et promet l’instauration d’un régime parlementaire, sans président.

" Je dis toujours que je dirigerai le gouvernement temporaire qui renversera Noursoultan Nazarbaïev, pendant six mois ", fait-il observer.

Ancien ministre du président Nazarbaïev, Moukhtar Abliazov a passé 14 mois dans les prisons kazakhes après sa disgrâce, avant de s’exiler au Royaume-uni puis en France.

Il est accusé d’avoir détourné des milliards de dollars quand il dirigeait la banque BTA, des accusations qu’il a toujours démenties.

Le Kazakhstan a aussi porté plainte contre lui en France, où il a été mis en examen mais a aussi obtenu le statut de réfugié, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) estimant que les accusations portées contre lui ont un " mobile politique ".

En 2017, l’ancien oligarque a été condamné au Kazakhstan en son absence à vingt ans de prison dans cette affaire de détournement de fonds. Puis à la perpétuité l’année suivante pour avoir commandité le meurtre d’un associé en affaires en 2004, alors que l’enquête initiale avait conclu à un accident de chasse.

Par Valérie LEROUX et Stuart WILLIAMS (AFP)