Près de neuf mois après le début du soulèvement contre le régime des mollahs, la jeunesse d’Iran est une nouvelle fois en ébullition. Un mot d’ordre: " Na! " (Non !), abondamment relayé sur les réseaux sociaux et dirigé contre l’imposition de la ségrégation vestimentaire imposée par les Mollahs.

Neuf mois se sont écoulés depuis les manifestations provoquées par la mort de la jeune femme kurde Mahsa Amini, à Téhéran, entre les mains de la Police des mœurs iranienne, le 16 septembre 2022.

Écumant les grandes villes du pays au rythme du slogan "Jin, Jiyan, Azadî" (Femme, Vie, Liberté), ces protestations avaient fini par marquer le pas. En cause, la sanglante répression orchestrée par le régime des mollahs. La fronde pourrait néanmoins trouver un nouveau souffle au sein des universités iraniennes.

L’université d’arts de Téhéran, nouvel épicentre de la contestation

Selon plusieurs médias de l’opposition en exil, relayés par le compte Twitter " Lettres de Téhéran ", le conseil étudiantin de l’Université d’art de Téhéran a publié samedi 17 juin un communiqué dénonçant la répression particulièrement ciblée et brutale pratiquée par le régime à l’encontre des étudiants, incluant notamment de nombreuses détentions arbitraires. À l’origine de cette répression: le refus par les étudiants d’appliquer les codes de ségrégation vestimentaires imposés par le pouvoir, plus particulièrement le voile obligatoire pour les femmes, ou maghna’e, en farsi.

Voici un extrait du communiqué en question relayé et traduit le 18 juin par le compte Twitter " Lettres de Téhéran ":

" Il y a une mer de sang entre nous et vous. Nous qui sommes ensemble depuis bientôt un an, n’avons rien à vous dire à part un mot : NON. Après votre accent renouvelé sur l’apartheid des genres et l’obligation d’aller à l’université avec un maghna’e, après avoir coupé l’eau et utilisé la violence contre nos amis qui ne faisaient qu’organiser un sit-in pour l’égalité au Campus, nous réitérons que nous ne ferons pas marche arrière. "

Solidarité inter-universitaire

Ce communiqué fut rapidement repris par une dizaine d’autres universités à travers le pays, venant apporter leur soutien aux étudiants en arts. " Lettres de Téhéran " relaie alors celui de l’Université d’Ahvaz, ville située à l’ouest du pays, proche de la frontière irakienne:

" La répression tourne en rond et engloutit toute personne libre, ignorant que le désir de liberté et de choix ne fait que se renforcer à chaque coup porté à sa racine.
Vous, étudiants de l’université d’art, enseignez-nous la résistance et nous serons à vos côtés jusqu’à ce que nous atteignions la liberté.
…Le voile obligatoire est un symbole de discrimination sexuelle dans notre société et il est contraire à tous nos droits humains. Nous ne resterons pas silencieux face à cette obligation. Nous lutterons contre cela où que nous soyons et de toutes les manières possibles, et nous ne permettrons pas que la répression nous fasse reculer.
Notre objectif est d’atteindre une université libre et exempte de préjugés, et rien ne peut nous empêcher d’y parvenir. "

Le mouvement " NA! " (" Non ! ") montre une nouvelle fois que les idées de la contestation ne sont pas mortes. Au contraire: ce mouvement contribue à renforcer le postulat selon lequel plus rien ne sera comme avant en Iran.

Le refus des étudiants d’appliquer les codes de ségrégation vestimentaire montre qu’une partie de la population n’accepte plus les anciennes règles de la République Islamique depuis septembre 2022.

Les réseaux sociaux, nouvel espace de mobilisation

C’est notamment le cas d’une jeunesse toujours plus ouverte sur le monde. Cela s’exprime tout d’abord par l’expression de représentations: face à l’idéologie du martyre déifiée par les mollahs, les jeunes iraniens opposent ce que le sociologue franco-iranien Farhad Khosrokhavar résumait tout simplement, en avril 2023, par la " joie de vivre ". Cette notion incarne parfaitement le mouvement Femme, Vie, Liberté.

 

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D’autre part, pour la chercheuse au CNRS Marie Ladier-Fouladi s’exprimant dans la revue Esprit en avril 2023, la spécificité de la jeunesse iranienne " se distingue par sa maîtrise des médias numériques, par son omniprésence sur les réseaux sociaux et sa consultation frénétique des espaces virtuels (…) comme toutes les générations Z dans le monde ".

Cette particularité propre se traduit aujourd’hui par la profusion de publications sur les réseaux sociaux du terme calligraphié " NA! ". Privés d’un champ d’expression physique par une répression permanente, la jeunesse iranienne s’approprie donc l’espace virtuel à cet égard.

C’est d’ailleurs pour cette raison que le régime cherche à strictement réglementer cet espace. Les applications les plus populaires, telles que Twitter, Instagram ou encore WhatsApp, sont toutes censurées sur le territoire iranien. L’unique solution pour y accéder consiste donc à installer un réseau privé virtuel (Virtual Private Network, VPN), afin de contourner les restrictions, ce que font nombre de jeunes iraniens.

 

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Surtout, ce nouveau cri de ralliement pourrait bien constituer l’une des formes d’expression d’une résurgence du mouvement de septembre.

Dans un entretien accordé à Libération lundi 19 juin, le chercheur Kasra Aarabi, spécialiste de l’Iran, déclarait que " tous les indicateurs sont réunis pour qu’une nouvelle vague de protestations de masse se mette en marche ".

M. Aarabi met en avant plusieurs facteurs, non seulement économiques, mais aussi au regard du fossé séparant la jeunesse du régime depuis les événements de septembre 2022. Parallèlement, la fuite en avant répressive du régime, qui multiplie les exécutions, y compris publiques, montre à quel point celui-ci se sent menacé.

Il est bien entendu trop tôt pour pouvoir se prononcer sur l’impact du mouvement " Na! " sur les processus de mobilisation en Iran. Néanmoins, celui-ci reste révélateur des dynamiques marquant la jeunesse iranienne. Jusqu’à en arriver au point de non-retour ?