Deux ans après son arrivée au pouvoir, Joe Biden a obtenu un premier accord avec l’Iran: la libération de prisonniers américains détenus par Téhéran. Selon les Iraniens, l’accord a permis de débloquer six milliards de dollars gelés par la Corée du Sud. Mais, avec une présidentielle US qui pointe à l’horizon et une opposition républicaine qui s’insurge, l’Administration US doit se limiter à ce menu fretin, sans l’espoir d’une percée concernant l’accord sur le nucléaire.

L’accord entre l’Iran et les États-Unis sur la libération de cinq Américains détenus constitue, certes, un arrangement fragile, mais il témoigne d’un certain apaisement des tensions entre ces deux adversaires de longue date sans toutefois laisser entrevoir un nouvel accord sur le programme nucléaire iranien, estiment experts et diplomates.

Les Gardiens de la révolution iraniens participant à un exercice naval près de l’île d’Abou Mousa, au large de la ville de Bandar Lengeh, dans le sud de l’Iran. (AFP)

" Je pense que les deux parties ont intérêt à utiliser cet arrangement initial pour renouer le dialogue, mais pas forcément pour arriver à un accord ", souligne Ali Vaez, spécialiste de l’Iran au sein de l’organisation International Crisis Group.

L’an dernier, des négociations menées par les Européens ont échoué à raviver l’accord sur le nucléaire iranien de 2015, moribond depuis le retrait unilatéral des Etats-Unis en 2018, sous la présidence de Donald Trump. En décembre, Joe Biden a même jugé que l’accord était " mort ".

Selon une source proche des négociations, l’accord sur les prisonniers est totalement distinct de la question nucléaire.

Les tractations sur les prisonniers ont toutefois permis de réchauffer les relations avec l’Iran, ajoute cette source, notant par exemple, le maintien de la trêve d’avril 2022 au Yémen, où les rebelles Houthis sont proches de Téhéran.

" Les tensions sont toujours très présentes, mais les deux gouvernements communiquent et ça fait la différence ", analyse-t-il.

Des responsables américains et iraniens ont repris leurs efforts diplomatiques en mai, lors de réunions indirectes organisées par le sultanat d’Oman. Selon des diplomates, certaines discussions portaient sur des mesures visant à limiter le programme nucléaire de l’Iran, sans pour autant rétablir pleinement l’ancien accord.

L’USS Bataan (LHD 5), un navire d’assaut amphibie américain transite par le canal de Suez avec la 26e Marine Expeditionary Unit (MEU). Plus de 3.000 militaires américains sont arrivés le dimanche 6 août en mer Rouge à bord de deux navires de guerre, dans le cadre d’une réponse renforcée de Washington après la saisie de pétroliers par l’Iran. (DVIDS)

" Le contexte de désescalade est bien en place ", considère Ali Vaez. Mais cet analyste doute que Joe Biden, candidat à sa réélection en 2024, se hâte à conclure un nouvel accord nucléaire alors que l’élection arrive à grands pas.

" Tout accord significatif avec l’Iran requiert un allégement important des sanctions, ce qui sera très critiqué aux Etats-Unis ", ajoute-t-il.

" Du côté iranien, étant donné la proximité des élections américaines, renoncer à la plupart de leurs moyens de pression sans savoir qui sera le prochain président américain n’a guère de sens, d’un point de vue stratégique ", précise M. Vaez.

Donald Trump, dont l’administration s’était retirée de l’entente sur le nucléaire, ou tout autre candidat républicain, se débarrasseraient probablement d’un nouvel accord sitôt élu.

Celui sur les prisonniers a déjà été fermement critiqué par les milieux conservateurs américains, qui accusent Joe Biden d’enrichir un régime hostile aux Etats-Unis.

D’après les termes de l’entente, qui restent provisoires selon les responsables américains, la Corée du Sud pourrait transférer six milliards de dollars de fonds iraniens gelés vers un compte spécial au Qatar. L’Iran pourrait ensuite utiliser ces sommes pour des achats humanitaires tels que des denrées alimentaires et des médicaments.

Les Gardiens de la révolution iraniens participant à un exercice militaire près de l’île d’Abou Mousa, dans le sud de l’Iran. (AFP)

En contrepartie, Téhéran a placé cinq Américains, jusque-là détenus en Iran, en résidence surveillée, première étape de l’accord visant à terme leur libération complète.

Pour Holly Dagres, analyste du groupe de réflexion Atlantic Council, cet arrangement constitue " une mesure qui renforce la confiance et pourrait raviver les discussions sur le programme nucléaire iranien ".

Mais cela prouve aussi à Téhéran que " sa politique de prise d’otages " lui permet d’obtenir des gains, " ce qui pourrait pousser les autorités à maintenir le statu quo ", estime cette analyste qui s’interroge sur le timing de l’accord.

L’Iran a été secoué pendant plusieurs mois par des manifestations sans précédent, déclenchées par le décès en septembre 2022 de Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs qui lui reprochait d’avoir enfreint le code vestimentaire strict imposé aux femmes.

Pour Téhéran, " parvenir à un accord avec les Etats-Unis à une période si sensible revient à dire aux protestataires que Washington ne se soucie guère de votre sort ", souligne-t-elle.

Georges Haddad, avec AFP