Les récents événements tragiques en Libye ont détourné l’attention portée sur le chaos politique dont souffre ce pays pour révéler une réalité encore plus pénible: l’énorme bilan humain de la catastrophe de Derna et le sort de milliers de personnes toujours portées disparues.

Certains experts s’écartent nettement de la compréhension traditionnelle des catastrophes naturelles en mettant en avant le rôle de l’homme. Un facteur ayant une influence décisive sur l’ampleur des conséquences.

Jesús Eduardo Robles Chávez, titulaire d’une maîtrise en gestion internationale des catastrophes de l’Université de Manchester, affirme à Ici Beyrouth que la catastrophe de Derna est tout sauf " naturelle ", bien au contraire, il insiste que " les catastrophes sont plutôt le résultat d’actions tangibles ".

Certes, certaines régions peuvent être prédisposées à des phénomènes météorologiques ou géologiques extrêmes comme de fortes pluies, des ouragans ou des tremblements de terre. Mais ce sont surtout les activités humaines qui exercent une influence significative sur les conséquences de ces phénomènes.

Robles pointe du doigt les structures urbaines, le développement économique, l’accès aux services d’urgence et la gestion des ressources publiques comme les principaux facteurs liés à la situation politique qui contribuent à la vulnérabilité de cette nation nord-africaine.

En 2022, l’ingénieur et universitaire Abdel Wanis Ashour a publié une étude dans laquelle il avertit qu’une catastrophe menaçait Derna si l’entretien des barrages vieillissants n’était pas effectué rapidement.

Malheureusement, cette prédiction s’est concrétisée lorsque deux barrages se sont effondrés: d’abord, le barrage d’Abou Mansour, situé à 13 km de Derna, suivi du barrage d’Al Bilad, situé à seulement un kilomètre de cette ville côtière.

Depuis la Révolution de 2011, un budget est alloué chaque année pour réparer les deux barrages, mais force est de constater qu’aucun des gouvernements successifs n’avait entrepris les travaux.

Cependant, comme l’a souligné Robles, si les conditions actuelles continuent de prévaloir en Libye, la tragédie pourrait se reproduire, prolongeant potentiellement le processus de redressement du pays de plusieurs années.

Entretemps, les deux gouvernements rivaux pourraient politiquement exploiter le désastre, en le prenant comme prétexte pour reporter les élections nationales et maintenir leur emprise sur le pouvoir. C’est ce qu’affirme l’experte de la Libye, Claudia Gazzini, de l’International Crisis Group: " Cette crise permet aux hommes politiques libyens de maintenir le statu quo ", affirme-t-elle.

La Libye est au bord de l’éruption après avoir enduré plus d’une décennie de division, caractérisée par de violents conflits récurrents, ainsi que des tentatives avortées d’établir des institutions étatiques stables.

Depuis 2014, la Libye est divisée en deux administrations rivales: un gouvernement internationalement reconnu à Tripoli, à l’ouest, et une autorité distincte siégeant à Benghazi, dirigée par l’homme fort de l’est, le maréchal Khalifa Haftar.

Selon un rapport de l’OCDE, la situation de la Libye est intrinsèquement précaire sur plusieurs fronts, notamment sur les plans politique et environnemental.

Cette faiblesse est un facteur déterminant de la vulnérabilité d’un pays face aux catastrophes. La Libye a besoin de la mise en œuvre de mesures préventives et de moyens de secours et de recouvrement face aux catastrophes à venir.