Pour Serge Jaumain, professeur à l’Université libre de Bruxelles et spécialiste des Etats-Unis, "ceux qui avaient jugé que Biden serait un vieux président de transition se sont trompés".

Un an après son accès au bureau ovale, quel bilan peut-on tirer de ce "président normal" sur la scène interne ?

S.J. : Le bilan est mitigé, mais on doit tenir compte du fait que Joe Biden a accédé à la présidence dans des conditions extraordinairement difficiles. Il faut rappeler le contexte : d’une part, le fait que le mandat de son prédécesseur Donald Trump a été marqué par toute une série d’actions inconnues jusque-là pour un président des États-Unis, qui a tenté de saboter le plus possible l’action de son successeur. Deuxièmement, l’arrivée de Joe Biden en pleine pandémie. Et enfin, un élément d’ordre politique qui a eu une influence considérable : les démocrates sont majoritaires au Sénat grâce à Kamala Harris, sa vice-présidente, mais ils ont obtenu une trop courte majorité.

Ces trois éléments sont importants pour comprendre son bilan sur la scène intérieure. D’abord, les États-Unis ont désormais un " capitaine dans la tempête " lié à la pandémie. On se rappelle que Trump n’a absolument pas géré cette question. Biden est apparu à cet égard comme un homme d’État, même s’il n’a pas jugulé la pandémie.

Le deuxième élément sur la scène interne, c’est que Biden est venu avec des plans d’investissements d’une ampleur jamais vue jusque-là. Ceux qui avaient jugé que Biden serait un vieux président de transition se sont trompés, dans le sens où il a vraiment voulu faire bouger les lignes. Par exemple, avec le plan de réinvestissement dans les infrastructures ou le plan " Built Back Better " qui est un package pour l’amélioration sociale et écologique.

Le troisième élément, c’est la volonté de protéger le vote des électeurs les plus pauvres, et notamment des Afro-Américains. Globalement, il est venu avec de nombreux projets. L’ennui, c’est que les éléments soulignés ci-dessus l’empêchent de faire passer son plan social et son plan de protection. A cela s’ajoute une inflation galopante s’élevant à 7%, un chiffre jamais vu depuis quarante ans.

Comment Joe Biden appréhende-t-il le retour probable de Donald Trump et les élections de mi-mandat ?

S.J. : Je pense qu’il n’y a pas de "retour" puisque Trump n’a en réalité jamais quitté la scène politique, dans le sens où le président n’a jamais pris de recul. En raison de son absence des réseaux sociaux, il a pu apparaitre comme en retrait, ce qui n’est pas le cas. Il est très actif sur le plan politique, il a pris en main le Parti républicain. C’est un élément qui est une des causes du bilan mitigé de Biden : l’ombre de Trump est toujours là et continue à planer sur les États-Unis. Le rôle de Trump contribue à radicaliser le Parti républicain puisque tous ceux qui ne le suivent pas sont l’objet de ses foudres, certains élus risquent de perdre leur mandat. Tous les élus républicains se sont donc rangés derrière Donald Trump même s’ils connaissent ses limites, mais pour des raisons électorales, ils n’ont d’autre choix que de le soutenir.

Donald Trump va peser lourdement sur les mid-terms en novembre prochain. À titre personnel, je ne suis pas du tout sûr qu’il sera candidat aux prochaines élections présidentielles comme certains le disent déjà. Les élections de mi-mandat sont généralement perdues par le parti du président au pouvoir, même si les observateurs avaient pensé qu’il en irait différemment. Le fait que Biden n’ait pas concrétisé ses promesses sur le plan intérieur va affaiblir le Parti démocrate. Les divisions internes au Sénat jouent également dans le maintien d’une majorité démocrate dans les deux Chambres. En novembre, si les Républicains retrouvent une majorité dans l’une des deux Chambres, ce sera une catastrophe pour Joe Biden.

Il faut rappeler que Trump a connu un grand succès électoral même s’il a été battu, il s’est affirmé plus que jamais et il a gagné des électeurs, ce qui a surpris. On a l’impression que les Américains vivent dans deux bulles distinctes qui ne se parlent pas et s’autoalimentent en informations. C’est le rôle tragique des médias sociaux qui sont une porte vers la liberté, mais qui ont inversement pour effet de renforcer les croyances. Une majorité de républicains continuent de penser que l’élection leur a été volée. Trump va lancer son propre média Truth Social, mais malheureusement pour lui il n’aura pas l’audience qu’il avait sur Twitter.

Sur la scène internationale, l’Afghanistan a été le premier revers majeur pour Joe Biden. Comment expliquer ce fiasco ? Le dossier ukrainien serait-il mieux géré selon vous ?

S.J. : L’Afghanistan est effectivement un fiasco pour les Américains, mais il ne porte pas à lui seul la responsabilité de ce fiasco : cet accord avec la Talibans a été très mal négocié, voir pas négocié du tout par Donald Trump. Ce dernier avait accepté les conditions des Talibans, et donc lorsque Biden est arrivé il y avait un accord qui préexistait. Il a essayé de retarder le départ des troupes américaines mais il y a eu une grande erreur d’appréciation de la part des Américains. J’ai tendance à croire que Joe Biden était l’homme le mieux informé du monde au moment de prendre la décision du retrait. Et probablement qu’il y a eu une erreur globale d’évaluation de la part de ses conseillers. Ceux-ci avaient pensé que les troupes afghanes tiendraient plus longtemps.

L’image de Joe Biden s’est ensuite affaiblie sur la scène internationale, au moment où il voulait redorer le blason des Américains. Cela va le poursuivre : il restera l’homme qui a permis aux troupes de rentrer, mais dans des conditions très problématiques.

Un autre élément important, c’est le retrait unilatéral, sans concertation avec les alliés, et cela est particulier car Joe Biden voulait donner une autre image de la politique des Etats-Unis, loin des courriels furieux de Trump. Si on a effectivement une diplomatie apaisée, les alliés espéraient des contacts plus rapprochés avec l’administration Biden, ce qui n’a pas eu lieu, avec cette politique du fait accompli sur l’Afghanistan.

Par contre, sur l’Ukraine, c’est différent. Biden a pris depuis le début une position dure à l’égard de la Russie, de façon assez nette. Nous sommes sur un terrain qui touche directement les Européens, l’administration américaine a été très attentive et a dit qu’elle ne ferait rien sans l’accord des Européens. Cependant il faut rappeler que Poutine souhaite négocier exclusivement avec les Américains, et ce dernier n’a pas réussi à diviser le front occidental. Le résultat est encore flou à l’heure actuelle.

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