Propagande, désinformation, radicalisation des opinions… Au-delà du champ de bataille, la guerre entre Israël et le Hamas fait aussi des ravages sur le terrain de l’information. Pour les deux camps, tous les coups sont permis dans le but de rallier l’opinion publique à leur cause… souvent au prix de la réalité et de la rationalité.

Dans la précédente partie, nous avons abordé l’utilisation de l’information par Israël et le Hamas pour justifier le bien-fondé de leurs actions. Une attention particulière avait été portée aux stratégies de communication mises en place par les deux belligérants.

Ce second article propose d’aller plus en avant, en abordant les questions liées à la désinformation, la liberté d’action de la presse, ainsi que la place des réseaux sociaux sur le champ de bataille numérique.

La foire à la désinformation

Chaque nouvelle ressource potentielle sur le plan médiatique est utilisée par l’un des deux camps pour retourner l’opinion publique à son avantage. Dans ce cadre, les tentatives destinées à propager de fausses informations pour atteindre cet objectif sont légion. Un premier exemple réside dans l’affaire des nourrissons décapités au sein du kibboutz de Kfar Azza. Lorsque les forces israéliennes y pénètrent après l’attaque du Hamas, des rumeurs commencent à circuler sur une quarantaine de cas découverts sur place.

Un soldat israélien se tient devant une maison détruite dans le kibboutz Kfar Aza, l’un des kibboutzim attaqués par les militants palestiniens du Hamas au début du mois, près de la frontière sud d’Israël avec la bande de Gaza. (FADEL SENNA, AFP)

Très vite, le gouvernement israélien reprend l’information, suivi par de nombreux médias. Quelques heures plus tard, les journalistes présents sur le terrain tempèrent l’emballement médiatique, précisant que rien ne permet sur le moment de confirmer un tel récit.

S’il est désormais certifié que des enfants en bas-âge ont bel et bien été exécutés par les combattants du Hamas, rien n’indique que les enfants aient subi ce genre de mutilation à grande échelle.

Autre exemple: celui du bombardement de l’hôpital Al-Ahli al-Arabi à Gaza, le 17 octobre. Très vite, le ministère de la Santé de Gaza donne le chiffre d’environ 500 tués, avant d’annoncer un millier de victimes plus tard dans la soirée. Il finit pourtant par se rétracter pour s’en tenir à 471 morts et 314 blessés.

À l’heure actuelle, le bilan de l’explosion reste sujet à caution. Selon les sources, celui-ci varie de 50 à 471. Interrogé par France 24, le responsable de l’hôpital voisin d’al-Shifa, Mohammed Abu Selmia, estimait le 18 octobre que le nombre de victimes s’élevait à environ 250.

L’origine de la frappe reste quant à elle, officiellement, indéterminée. Dernièrement, si les résultats d’une enquête publiée par le New York Times restent prudents, une autre menée par l’ONG Forensic Architecture penche pour l’hypothèse d’un tir d’artillerie israélien.

Étouffement médiatique

Précisons ici que les deux cas étudiés en amont demeurent synonymes de la pire des horreurs. Il n’en demeure pas moins que la manipulation de ce type d’information, en jouant sur les émotions des publics concernés, n’est pas sans conséquence.

Dans les deux cas, l’opinion publique s’embrase avant même que l’information soit vérifiée, avec des conséquences parfois dramatiques. La cause de ces réactions est à chercher dans ce que l’ONG Reporters sans frontières (RSF) qualifie d' "étouffement médiatique ".

En effet, de nombreuse restrictions sont imposées aux journalistes à Gaza comme en Israël, sans compter les formes de coercition. La mort de plusieurs journalistes palestiniens opérant dans la Bande de Gaza en est un exemple particulièrement éloquent.

les médias doivent donc se reposer avant tout sur les sources officielles, " sans pouvoir vérifier leur véracité ", comme l’a déploré la Fédération internationale des journalistes (FIJ) dans un communiqué. Et d’y ajouter que " confondant vitesse et précipitation, de nombreux médias ont ainsi publié des informations et des images fausses, non contextualisées, non vérifiées ".

L’espace numérique, véritable épicentre de la bataille

Cette difficulté à réaliser une couverture médiatique indépendante revêt un effet pervers: elle alimente le désaveu d’une partie de l’opinion publique. En conséquence, celle-ci se tourne davantage vers les réseaux sociaux pour s’informer.

Pour reprendre les mots d’Idriss Fassasi dans un article publié en 2017, " le principe actif des réseaux sociaux […] est la réactivité ". Dans ce cadre, cette rapidité de circulation des informations transforme les échanges sur ces plateformes en véritables champs de bataille numériques. Toute nouveauté y est instantanément reprise pour alimenter le débat, souvent sans aucun recul.

(ALAIN JOCARD, AFP)

Cela favorise dans un premier temps l’effet " chambre d’écho ": en raison des algorithmes régissant les réseaux sociaux, les utilisateurs ont tendance à s’intéresser davantage au contenu validant leurs idées. Il en résulte une spirale dans laquelle les utilisateurs, confortés dans leurs opinions, s’isolent progressivement de tout discours ne correspondant pas à leurs attentes.

Pire encore, la réactivité des réseaux sociaux favorise l’émotivité au détriment de la rationalité. Face à des publications destinées à susciter un sentiment d’injustice et de colère, l’opinion devient ainsi plus encline à répondre de manière violente.

Ainsi, l’affaire des nourrissons décapités a contribué à braquer l’opinion publique israélienne et lui faire davantage approuver une forme de vengeance. Celle de l’hôpital a provoqué des manifestations de colère devant les représentations diplomatiques occidentales dans de nombreux pays arabes, à l’image de l’ambassade des États-Unis au Liban, située à Aoukar.

Enfin, cela contribue à la montée de l’antisémitisme à travers le monde, mais aussi à celle de l’islamophobie. L’invasion d’un aéroport par des émeutiers souhaitant s’en prendre à des membres de la communauté juive au Daguestan dimanche 29 octobre en est un exemple. Le meurtre dans sa maison du jeune Wadea al-Fayoume, Américano-Palestinien âgé de 6 ans à Chicago le soir du 15 octobre, en est un autre.