Aussi bien en Syrie, en Tunisie, en Égypte qu’aux Émirats arabes unis, les Frères musulmans, massacrés, emprisonnés ou exilés, ne font plus partie du paysage politique et peinent à émerger.
Dans le conflit actuel entre Palestiniens et Israéliens, les Frères musulmans ont la plus grande peine à se positionner, même avec leur duplicité habituelle, entre un soutien incontestable au Hamas palestinien, une formation frériste et une haine du régime chiite iranien. C'est ce qu'a confirmé à Mondafrique le responsable du département de formation des Frères musulmans en Syrie, Samir Abou Al-Laban, pour qui «Khomeiny est une anomalie».
Les ouvrages consacrés à la confrérie des Frères musulmans, fondée en Égypte par Hassan al-Banna, en 1928, ne comportent habituellement pas une multitude de schémas et de tableaux aux couleurs variées.
Une étude fort instructive de l’université de Montréal, intitulée Index de la puissance globale des Frères musulmans, analyse l’indicateur de puissance politique et sécuritaire de cette organisation. Elle se penche aussi sur sa puissance à trois autres niveaux: économique, médiatique et social, en se fondant sur des chiffres et des pourcentages.
Le résultat est le suivant: les Frères musulmans seraient en perte de vitesse dans les pays arabes et en Europe. Mais ils gagnent du terrain en Afrique, dans les Amériques et en Asie.
Cette perte d’influence s’explique par l’atomisation de cette mouvance après les revers subis en Égypte et en Tunisie. Depuis le coup d’État militaire qui a porté au pouvoir le maréchal Abdel-Fattah Sissi, en 2014, les Frères musulmans se sont divisés en trois factions: une, clandestine, au Caire, une autre à Londres et une troisième à Istanbul.
À ce tableau, il faut ajouter le fait que leurs plus ardents défenseurs, à savoir la Turquie et le Qatar, se sont réconciliés avec l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte, qui classent les Frères musulmans parmi les organisations terroristes.
En 2022, la confrérie a perdu ses deux figures les plus marquantes, le prédicateur qatari Youssef Qaradawi, longtemps animateur, sur Al-jazeera, de l’émission La Charia et la vie, et l’Égyptien Ibrahim Mounir, le guide suprême par intérim de cette formation, en exil à Londres.
Les «Frérots» syriens marginalisés
«Nous sommes encore présents sur la scène syrienne comme n’importe quel autre parti», explique à Mondeafrique le responsable du département de formation des Frères musulmans en Syrie, Samir Abou Al-Laban. Du moins, a-t-il ajouté, «autant que les circonstances le permettent».
Permettons-nous de noter que cette présentation est un peu optimiste. Depuis le massacre de milliers de militants dans la ville de Hama par le régime alaouite, en 1982, dans une atroce «Saint-Barthélémy» anti-sunnite, les Frères musulmans syriens n’ont plus relevé la tête.
Au début de la mobilisation populaire contre le président syrien, Bachar el-Assad, en 2013, une poignée de Frères musulmans sont descendus dans les rues pour manifester à Hama et à Alep, deux grandes villes désertées par les combattants du groupe jihadiste, État islamique (Daech).
Entre les jihadistes et les Frères musulmans, le courant ne passe pas, la cohabitation est impossible. Aujourd’hui encore, dans la ville d’Idlib, dernier bastion jihadiste dans le nord-est de la Syrie, où un chef de guerre islamiste fait régner l’ordre coranique dans une espèce d’entente avec le régime de Damas, «les Frères» n’apparaissent plus, pas même dans les rangs des opposants qui ont manifesté en mars dernier.
Emprisonnés en très grand nombre par le régime d’Assad et le plus souvent torturés, les Frères musulmans ont tenté, du moins leurs chefs, de se réfugier en Turquie.
Fin stratège, le président turc, Recep Tayyip Erdogan est le dernier chef d’État à abriter «les Frérots», une appellation qu’on colle parfois à la mouvance des «Frères».
Stratège cynique aussi, le leader turc pourrait demain transformer ce soutien à une mouvance en perdition en monnaie d’échange dans ses négociations avec les autres pays arabes. Les Émiratis et les Égyptiens, qui se sont rapprochés de la Turquie, sont en effet obsédés par la volonté d’éliminer cet Islam politique qui triomphait durant les années 2011-2012.
Rien appris, rien oublié
Depuis le printemps arabe, devenu un sombre hiver avec le retour des dictatures en Tunisie et en Égypte, les Frères n’ont en tout cas rien appris, rien oublié. Leur positionnement est constant, comme si le monde était figé à jamais. «Les Frères musulmans, nous explique Samir Abou al-Laban, disposent de quatre documents résultant de réflexions qui ont eu lieu dans les années 1990 en Syrie. Ce sont ces écrits qui décrivent notre projet d’un État moderne et non militaire, notre vision pour la Syrie future.»
Faisant référence à une éventuelle réduction du rôle des Frères musulmans en Turquie, notre interlocuteur explique qu’ils n’ont subi «aucune perte d’influence». Ce que ce notable pieux ne pourrait pas contester en revanche, c’est que les multiples réunions entre les mouvements fréristes nationaux qui se tenaient, voici un quart de siècle, à Londres, au Koweït ou encore au Soudan, n’ont plus lieu. La confrérie est plus atomisée que jamais, disloquée.
La politique des Frères musulmans va-t-elle évoluer? Cette mouvance n’évolue guère, comme si l’éternité lui appartenait. «Nous n’avons jamais demandé à aucune personnalité politique de nous rapprocher du régime syrien, malgré les offres que nous avait faites le régime au début de la révolution», commente Samir Abou al-Laban avant d’ajouter: «Nous sommes trop intelligents pour nous lancer dans une aventure perdue. Le choix politique reviendra au peuple syrien dans le cadre des résolutions des Nations unies» concernant la Syrie.
Notre frère le Hamas
Les Frères musulmans considèrent le Hamas comme «un mouvement de libération populaire» qui a «le droit de s’engager dans une action politique et de construire son propre État». «Nos relations avec le Hamas sont plus fortes que jamais: une action commune, une unité de vision et un échange d’expérience, mais chacun d’entre nous avec sa propre organisation nationale», poursuit-il. Tout sera pardonné au Hamas qui a mené la bataille d’Al-Aqsa «en raison des persécutions qui ont précédé cette opération», selon lui. Les 1.200 morts juifs sont ainsi à mettre sur le compte «d’un développement naturel pour un mouvement de libération», ajoute le responsable du département de formation des Frères musulmans en Syrie.
Le Hamas en sortira-t-il vainqueur? «La bataille continue, les problèmes ne sont pas encore résolus», répond-il prudemment.
Seul souci, les relations du Hamas avec l’Iran, l’allié du régime syrien, détesté à ce titre par les Frères syriens. Le premier livre qui mettait en garde contre la révolution islamique en Iran était celui de cheikh Saeed Hawa, l’un des principaux théoriciens des Frères musulmans en Syrie, intitulé Khomeiny est une anomalie dans les positions et une anomalie dans les opinions. Là encore, la duplicité est de mise pour dédouaner son allié palestinien de ses relations coupables avec Téhéran.
«Le Hamas a été contraint à cette coopération avec l’Iran», estime le responsable du département de formation des Frères musulmans en Syrie, rappelant que «tous les pays arabes lui étaient fermés».
Les Émirats et la répression
Aux Émirats comme en Syrie ou en Égypte, l’heure est à une répression féroce. Les Émirats arabes unis ont récemment déféré les membres des Frères musulmans arrêtés depuis 2013 devant la Cour de sûreté de l’État pour un nouveau procès, après que de nouvelles preuves ont été révélées sur la création d’une autre organisation secrète.
Le procureur général des Émirats, le conseiller Hamad Saif al-Shamsi, a ordonné le renvoi de 84 accusés, dont la plupart sont membres de l’organisation des Frères musulmans des Émirats, devant la Cour d’appel fédérale d’Abou Dhabi (Cour de sûreté de l’État). Ils y seront jugés pour «le crime de création d’une autre organisation secrète dans le but de commettre des actes de violence et de terrorisme sur le territoire de l’État».
Depuis 2014, les Émirats arabes unis classent les Frères musulmans parmi les organisations terroristes. Selon l’agence de presse émiratie (WAM), «les accusés avaient dissimulé ce crime et ses preuves avant d’être arrêtés et jugés dans le cadre de l’affaire n°17 de 2013 relative aux peines liées à la sécurité de l’État».
Il convient de noter que l’un des accusés, Hassan al-Dokki, est un membre des Frères musulmans résidant en Turquie. La plupart des informations confirment qu’il est en pleine coordination avec des organisations terroristes telles que l’État islamique et qu’il incite constamment contre la France qu’il désigne comme un État croisé qui doit être combattu.
Les Frères musulmans des Émirats arabes unis ne bénéficient plus d’aucun soutien populaire.
Dans un prochain article, Mondafrique étudiera la présence des Frères musulmans au Liban où la mouvance, certes minoritaire, continue de jouer sa partition.
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