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Olivier Rouquan, politologue et chercheur associé au Centre d’études et de recherches de sciences administratives et Politiques (Cersa), a répondu aux questions d’Ici Beyrouth sur les enjeux des élections législatives anticipées en France.

Les électeurs français se rendent aux urnes les dimanches 30 juin et 7 juillet pour le premier et le second tour des élections législatives anticipées – décidées dans la foulée de la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée le 9 juin par le président Emmanuel Macron. Objectif: élire les 577 députés français. La campagne éclair pour ces élections législatives a officiellement débuté le 17 juin. Elle a été précédée d’une folle semaine de manœuvres politiques de toutes parts afin de constituer des coalitions, dans l’espoir de former une majorité à l’Assemblée nationale. Ces manœuvres ont été pleines de surprises et de rebondissements.

Parmi les plus marquantes, figure la division du parti de droite Les Républicains (LR) après l’alliance nouée par son président, Éric Ciotti, avec le Rassemblement national. M. Ciotti a, par la suite, été exclu de la présidence du parti, sans que cette exclusion ne soit pour autant validée par la justice. Sans mentionner le parti d’extrême droite "Reconquête!" – dirigé par Éric Zemmour – qui a, lui, tout simplement explosé.

Les différentes formations de gauche (Parti socialiste, la France insoumise [LFI], Parti communiste…) se sont, de leur côté, et malgré leurs différences et divergences, unies sous la bannière d’un Nouveau Front populaire (NFP), en référence au mouvement ayant gouverné la France de 1936 à 1938. À l’heure actuelle, cette alliance n’a pas encore désigné de leader et de candidat au poste de Premier ministre.

Du côté de la majorité présidentielle, connue sous le nom de "Ensemble pour la République", c’est le chef du gouvernement, Gabriel Attal, qui mène la campagne. Les sondages donnent dans leur globalité le Rassemblement national en tête, suivi du Nouveau Front populaire, puis de la majorité présidentielle. Ici Beyrouth fait le point sur les enjeux de ces élections législatives anticipées avec Olivier Rouquan, politologue et chercheur associé au Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques (Cersa).

Dans quel contexte politique se tiennent ces élections? 

Le contexte politique est celui d’une dégradation des conditions de l’exercice du pouvoir par Emmanuel Macron depuis au moins 2022, d’abord du fait de l’absence de majorité à l’Assemblée nationale, mais aussi de l’usure du pouvoir présidentiel. Il y a un affaiblissement que le résultat des élections européennes renforce.

Il faut également ajouter les inquiétudes fortes sur l’état de l’économie française, et particulièrement sur le budget de l’État. La décision de dissoudre (l’Assemblée, NDLR) a notamment été prise pour éviter qu’à l’automne, le budget ne soit censuré. Cela permet au président de la République de garder la maîtrise du calendrier.

Tout comme lors des élections européennes, la majorité présidentielle est mal positionnée dans les sondages. Est-ce que Gabriel Attal peut parvenir à réconcilier les électeurs avec la majorité ou est-ce une mission impossible?

Il y a un choix du président de la République de dramatiser cette élection. Un choix en partie assumé par le Premier ministre. Cette dramatisation vise à faire un électrochoc auprès de l’électorat du président qui s’est abstenu lors des élections européennes. L’idée est de dire à ces électeurs: ‘Il faut aller voter pour le camp raisonnable que, jusqu’à présent, vous souteniez.’ Mais cette stratégie de dramatisation et de polarisation n’est pas sans risque.

Est-ce que le NFP peut tenir malgré une certaine fragilité et l’absence de leader?

Dans le contexte actuel, avec une campagne électorale très courte, le NFP a posé des bases d’entente, notamment programmatiques, qui semblent assez solides. Bien sûr, il y a des différences. Des différences que l’on note partout, par exemple au sein du programme économique de la coalition qu’essaie de monter le RN avec Éric Ciotti, ou même au niveau de la majorité sortante qui est très fragmentée. Il y a certes des tensions au sein de LFI, et entre LFI et ses partenaires, mais le NFP n’a pas l’exclusif de ce type de conflit.

Par ailleurs, le fait qu’il n’y ait pas de Premier ministre autoproclamé ne semble par ailleurs pas être un handicap. Il faut rappeler que c’est le président de la République qui nomme le Premier ministre et que ce ne sont pas les députés qui votent pour sa désignation. Certes, il y a le point de cristallisation négative qu’est devenu Jean-Luc Mélenchon qui n’aide pas trop le NFP à gagner des électeurs. Mais c’est le président qui nomme le Premier ministre. Et pour cela, il faut tenir compte de la configuration des groupes parlementaires. Tout cela n’est pas lisible aujourd’hui, y compris pour la majorité sortante.

Pour le Rassemblement national, ce qu’il y a de plus lisible, c’est la posture de Jordan Bardella. Mais je ne suis pas sûr que le fait que ce soit plus flou à gauche sur la question du Premier ministre soit un vrai handicap vis-à-vis des électeurs.

L’alliance entre LR et le Rassemblement national signe-t-elle la fin de LR?

Il va être difficile pour LR de survivre à la période. Cela va beaucoup dépendre du nombre de députés qui seront sauvés. Si le Rassemblement national arrive au pouvoir, un certain nombre de députés et, au-delà, d’élus des LR seront tentés par une alliance. Si le jeu est différent, avec une majorité plus introuvable, il faudra bien composer, éventuellement, avec la démarche d’Édouard Philippe (ancien Premier ministre, président du parti Horizons NDLR) et de Gérald Darmanin (ministre de l’Intérieur, NDLR).

Il va y avoir des recompositions. Et conserver l’unité et la force de la marque LR me semble désormais difficile, même si ce n’est pas totalement mort.

Le RN peut-il espérer obtenir la majorité absolue à l’Assemblée nationale du fait de cette alliance?

Au-delà de la question de la projection en sièges qui me semble très hasardeuse aujourd’hui, il y a quand même la dynamique, semble-t-il, des intentions de vote, puisque le Rassemblement national semble progresser. Et dans l’histoire politique récente, on a vu un parti obtenir une majorité absolue avec moins de pourcentages d’intentions de vote. Mais il faut prendre tout cela avec beaucoup de réserve. Les projections en sièges avant, au moins, le résultat du premier tour me semblent avoir une teneur informationnelle assez faible.

Doit-on craindre une abstention comme lors des précédentes législatives, ou l’enjeu est-il tel que les électeurs vont davantage se déplacer?

Il semblerait qu’il y ait un taux de participation beaucoup plus élevé que lors des législatives de 2022. On retrouve le décalage d’avant le quinquennat qui survenait parfois entre la présidentielle et les législatives. Et cela permet de rappeler aux électeurs l’importance de l’élection des députés. On est dans un cas de figure où les législatives prennent de la valeur, et il y aura un taux de participation relativement élevé. Cela aura peut-être des conséquences sur le nombre de triangulaires (plus de deux candidats présents au second tour), ce qui change la donne du second tour. En cas de forte participation, il y a plus de probabilité qu’il y ait de triangulaires. À ce moment-là, ce n’est pas le même choix pour les électeurs, ce n’est pas le même résultat, et cela rendra le scrutin d’autant plus imprévisible aujourd’hui.

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